(Une tribune libre de Me Roger BILODEAU)
Comme il a été rapporté dans ces pages et ailleurs dans les derniers mois, les plus récentes statistiques sur l’état de la langue française partout au Canada démontrent que la langue de Molière est en déclin. Et oui, il y a de quoi à être découragé sur l’avenir du français partout au Canada. Dans ce contexte, j’estime que l’avenir du français au Canada – et même ailleurs – ne passera pas uniquement par les francophones de souche et qu’il est aussi temps d’envisager des pistes de solutions d’envergure internationale.
Comme bien d’autres francophones du Canada, je suis issu d’un petit îlot franco-catholique qui était peuplé à 99 % ou presque par des familles francophones. Un voyage en automobile de mon village natal de Ste-Agathe jusqu’à Winnipeg (Manitoba) était une grande aventure.
Depuis les années 1960, les modes de communication et de transports font en sorte que tous les villages – francophones ou autres – sont reliés au monde entier. Grâce à Internet, les médias sociaux, Netflix et les GAFA (Google – Amazon – Facebook – Apple) de ce monde sont très présents. C’est un fait que les frontières nationales ont perdu une large part de leur importance pour plusieurs aspects de la vie quotidienne dans tous les pays du monde.
D’autres changements ont aussi changé la donne. Les mariages exogames foisonnent partout. Le nombre de résidents canadiens partout au pays qui parlent une langue autre que le français ou l’anglais ne cesse d’augmenter : voir par exemple la place occupée par le mandarin dans certains secteurs de Vancouver et de Toronto. De plus, les langues autochtones reprennent leur place – un exemple parmi d’autres fut l’usage de la langue Ojibway par un arbitre Métis lors d’un match de la Ligue canadienne de football (LCF) le 30 septembre 2022 à Winnipeg. Il ne fait aucun doute que le Canada ‘homogène-blanc-francophone-anglophone’ des années pré-1970 est chose du passé.
Quelques constats
À l’extérieur du Canada, le français occupe toujours une large place, en commençant bien sûr avec la France et l’Afrique francophone. Par ailleurs, on sait que l’anglais et d’autres langues prennent du ‘galon’ dans la plupart des pays francophones. La mondialisation et ses effets reliés continuent de faire en sorte que la place du français dans tous les espaces économiques et géo-politiques sera presque certainement toujours à risque.
Ici au Canada, le rêve d’un Canada bilingue d’un océan à l’autre – énoncé par Pierre Elliott Trudeau – est loin de se concrétiser. Par ailleurs, tout n’est pas perdu et on doit aussi prendre note de changements qui se manifestent au Canada, en commençant par l’apport et l’influence des immigrants francophones. À titre d’exemple, il suffit de noter le nombre grandissant d’immigrants francophones qui animent des émissions à la radio ou la télévision partout au pays. Quel beau mélange que d’entendre dans une même émission de Radio-Canada un locuteur originaire d’un pays africain et une acadienne de souche!
De plus, on trouve une forte présence d’étudiants étrangers dans toutes les universités francophones du pays. Dans un autre secteur, on note l’implication d’immigrants francophones au sein de la vie municipale, tel qu’au sein du conseil municipal de Shippagan (Nouveau- Brunswick), à titre d’exemple. On les retrouve aussi en nombres grandissants dans les secteurs privés et publics partout au pays.
Finalement, j’oserais avancer que même si le nombre de locuteurs francophones est en baisse, on retrouve partout au Canada une plus grande appréciation – voire même une acceptation – de la place du français dans la société canadienne : voir les statistiques à cet effet sur le site web du Commissariat aux langues officielles. Bien sûr, nous avons encore des progrès à réaliser mais à mon avis, nous voyons une grande évolution à ce chapitre depuis les 30-40 dernières années.
Quelques pistes de solutions?
La bonification des lois fédérales et provinciales en matière du statut et la protection de la langue française continuera de maintenir le statut du français dans un monde qui devient de plus en plus multilingue et multiculturel. Par ailleurs, il faudra aussi que la conviction des locuteurs eux-mêmes se maintienne et que les communautés francophones fassent preuve de leur dévouement au maintien de leur langue et de leur culture.
L’immigration est certainement une des pistes à poursuivre, dans la mesure où il s’agit d’une action ciblée qui cherche à augmenter partout au Canada le nombre de locuteurs francophones.
Depuis au moins les années 1980 lors de mon implication dans une affaire cherchant à faire reconnaître le statut du français au Manitoba, il ne fait aucun doute à mon avis que l’avenir du français au Canada ne dépend pas uniquement des francophones de souche. Des tableaux produits par Statistique Canada depuis les années 1990 démontrent une progression constante dans le nombre d’étudiants canadiens inscrits dans des pro-grammes d’immersion. Ce phénomène produit déjà des résultats concrets : tout récemment, un diplômé des cours d’immersion a été élu à la vice-présidence de la Société franco-manitobaine (SFM); le français est la langue seconde de la présidente elle-même.
Il m’apparaît toutefois essentiel de prendre les moyens nécessaires pour augmenter encore davantage les inscriptions dans ces programmes d’immersion par des étudiants non-francophones, y inclus les immigrants. Aussi doit-il y avoir de réelles opportunités pour les diplômés de ces programmes afin qu’ils puissent continuer à utiliser et perfectionner leur usage du français dans le monde du travail et en société. Il y a aussi lieu de prendre tous les moyens possibles pour favoriser encore davantage l’épanouissement du français dans le secteur privé et dans le monde des affaires.
Vers une perspective internationale élargie
Le moment est aussi venu de s’arrêter sur la suffisance des mesures que nous pouvons prendre à l’intérieur du Canada, qu’il s’agisse de lois ou autres mesures semblables. Après tout, les menaces au français proviennent en bonne partie de l’extérieur du pays et de sources qui échappent au contrôle des lois fédérales ou provinciales. Le problème auquel nous sommes confrontés déborde largement des frontières du Canada. À différents degrés, tous les pays francophones vivent le problème de la dilution du français par l’anglais ou d’autres langues.
C’est ainsi qu’il est fort à parier que la survie du français au Canada ou ailleurs exige une prise de conscience que la problématique dépasse les frontières d’un seul pays et qu’elle doit être traitée dans une perspective résolument internationale. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et ses pays membres sont bien positionnés pour s’engager davantage par rapport à cette question, peut-être même en concertation éventuelle avec l’Organisation des nations unies (ONU) ou d’autres agences internationales appropriées. Après tout, la plupart des grandes questions de l’heure (par exemple les changements climatiques, l’économie mondiale, etc) doivent être traitées de façon concertée par la voie des organismes internationaux. La même logique pourrait donc s’appliquer aux questions qui touchent le statut et l’usage d’une langue quelconque, que ce soit le français ou une autre, toutes proportions gardées.
En terminant, nous avons récemment appris que la Harvard University offre depuis l’automne 2022 un cours sur la francophonie nord-américaine, une première. Son objectif est de « préserver la flamme de la francophonie nord-américaine ». Il est permis de souhaiter que cette initiative, parmi d’autres, pourra contribuer d’une façon ou une autre à une démarche internationale soutenue en matière du statut et de l’usage du français, dans un monde où la Francophonie n’a plus de frontières.