FRANCOPRESSE Les étudiants du postsecondaire francophone font face à un risque d’endettement plus élevé que les étudiants qui poursuivent des études en anglais. Pour ceux qui devront quitter leur région pour étudier, l’accumulation des frais de logement et de déplacement deviennent une source de stress.

Marianne Dépelteau – Francopresse

D’après un sondage de la firme d’analyse Maru, mené en mai dernier, 65 % des personnes de 18 à 24 ans au Canada « craignent de ne pas arriver à payer les dépenses courantes ».

La « dette francophone »

Le rapport final des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire note que les personnes « qui ont étudié en français et qui ont obtenu un diplôme universitaire en 2015 ont une dette moyenne supérieure (35 000 $) à celle des personnes qui ont étudié en anglais (31 000 $) ».

Cet écart s’expliquerait en partie par le fait que les francophones doivent plus souvent déménager que leurs homologues anglophones pour étudier en français, explique le rapport.

La présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne française, Marguerite Tölgyesi, est aussi une étudiante originaire du Yukon. Elle a choisi d’étudier en français à l’Université Laval et complète sa maîtrise à l’Université de Saint-Boniface.

Marguerite Tölgyesi
Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne française. (Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse)

Elle explique que le gouvernement de son territoire, qui ne compte pas d’établissement postsecondaire francophone, a trouvé le moyen d’alléger la pression financière pour les étudiants d’expression française qui choisissent de poursuivre leurs études en français ailleurs au Canada.

« On reçoit une bourse, dépendamment où on va au Canada, d’un maximum de 6 000 $ par année pendant 5 ans. C’est sous contrat […] il faut qu’on revienne travailler au Yukon pendant l’été. »

Les étudiants yukonais peuvent d’ailleurs occuper un emploi d’été rémunéré dans leur domaine d’études dans la fonction publique grâce au Programme de formation et d’emploi pour étudiants (STEP). Pour faciliter le retour des étudiants au Yukon, le gouvernement offre aussi des allocations pour le déplacement.

Des couts élevés au-delà des frais de scolarité

En septembre 2022, le cout du panier d’épicerie affichait la hausse annuelle la plus marquée depuis 1981. En 2021, selon une enquête de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le loyer moyen pour un logement (toutes tailles confondues) s’élevait à 1 133 $ par mois au pays.

Selon Statistique Canada, en 2022, les droits de scolarité pour faire des études postsecondaires de premier cycle au Canada atteignaient une moyenne largement supérieure à 6 500 $ par an.

Le cout du logement source de stress

Le Franco-Colombien Alexis Gasc a l’intention d’étudier à Montréal dès septembre prochain. Conscient qu’il devra trouver une solution abordable pour se loger, il devra faire un choix.

Alexis Gasc
Alexis Gasc. (Photo : Gracieuseté)

Le coût moyen d’un appartement à Montréal s’établit à 932 $ par mois, selon un rapport de février 2022 de la SCHL et le cout annuel d’une chambre partagée en résidence, incluant le forfait repas peut s’élever jusqu’à près de 20 000 $ par année académique (septembre à mai).

Pour éviter de débourser autant d’argent, Alexis Gasc contemple une option familière : « Il y a aussi mon cousin qui achète un appartement en 2023 […] lui aussi va aller à McGill, ce n’est pas loin, donc je vais peut-être déménager avec lui. »

Après le secondaire à Yellowknife, Apollo Sévigny souhaite également étudier à Montréal. « Ma mère et mon père, depuis que je suis bébé, mettent de l’argent dans un [fonds d’études] pour moi. » Avec ces fonds et les économies qu’iel fait en travaillant dans un hôtel cette année, Apollo voit grand.

Apollo Sévigny
Apollo Sévigny. (Photo : Gracieuseté)

« Ce que je voulais faire, avec l’aide de mes parents probablement, c’est d’acheter un condo, rester là et louer des chambres à d’autres personnes. Eux autres paient pour rester là, pour l’électricité et tout ça, mais je ne sais pas comment bien ça va fonctionner. »

Dans un rapport déposé en juin 2022, l’organisme Youthful Cities rapportait une augmentation globale du coût de la vie dans les villes canadiennes. Les 15 à 29 ans accusent en moyenne un déficit mensuel de 750 $, qu’ils occupent un emploi ou non. Ce déficit peut dépasser la barre des 1000 $ par mois dans des villes comme Winnipeg, Moncton, Halifax et Yellowknife. « Le 2/3 des villes restent inabordables même lorsque les jeunes travaillent à temps plein », note le rapport.

Mais le travail à temps plein et les études à temps plein ne sont pas conciliables selon Marguerite Tölgyesi. « Étudier à temps plein, c’est 40 heures par semaine. Travailler à temps plein, c’est 40 heures par semaine. Il n’y a juste pas assez de temps pour qu’on fasse ça. On est humains! »

Les parents d’Anthony Huneault-Thai ont prévu quitter Sudbury, dans le Nord de l’Ontario, pour le suivre à Ottawa l’an prochain. « Ils vont payer l’appartement, le loyer, la nourriture », un avantage selon lui.

Anthony Huneault Thai
Anthony Huneault Thai. (Photo : Gracieuseté)

« Je me suis toujours dit “n’importe quel moyen est bon pour me rendre à un bon but ou une bonne carrière”. Aussi, avec l’argent mis de côté par mes parents, mes grands-parents, mes oncles et mes tantes, on prévoit d’au moins être capables de payer quatre années d’études, peut-être une cinquième. »

Malgré l’appui des membres de sa famille, Anthony n’écarte pas la possibilité de faire des demandes de bourses ou de contracter un prêt en cas de besoin.

Selon Statistique Canada, « en 2020, environ 85 % des enfants dont les parents avaient épargné pour leurs études avaient un régime enregistré d’épargne-études (REEE) ». Ce pourcentage s’établissait à 69 % en 2008 et à 77 % en 2013.

Les bourses, une lame à double tranchant

Pour être en mesure de couvrir leurs dépenses, les étudiants peuvent espérer profiter de deux principaux types d’aide financière : les prêts étudiants, qui doivent bien entendu être remboursés, et les bourses.  

Pour Alexis Gasc, l’obtention d’une bourse lui permettrait de ne plus se soucier des frais d’études ou presque, mais il considère que c’est une lame à double tranchant. « C’est sûr que, [en dernière année du secondaire], j’ai vraiment beaucoup de pression. Je m’en ajoute aussi en voulant mettre le plus de chances de mon côté pour les demandes d’admission d’université et pour les bourses. »

Pour embellir son curriculum vitae, il s’investit dans plusieurs activités extracurriculaires, notamment comme président de l’école et capitaine de l’équipe de soccer. Aussi étudiant au baccalauréat international, « C’est beaucoup de stress, surtout parce que je fais le programme [du Baccalauréat International] », admet-il.

Marguerite Tölgyesi consent que d’accéder à des bourses ajoute de la pression sur les futurs étudiants. Pour les bourses liées au rendement scolaire, « il faut que tu aies de vraiment bonnes notes. Si un semestre, ça va moins bien, tu perds ta bourse », explique-t-elle.

D’autres bourses sont réservées à ceux qui sortent tout juste du secondaire, donc prendre une année pour travailler ou voyager avant d’amorcer le postsecondaire peut couter cher.

Apollo Sévigny a un emploi à temps partiel et passe beaucoup de temps à faire des demandes de bourse. Solliciter les lettres de recommandation, préparer les textes de motivation et tous les documents nécessaires demande du temps et de l’énergie qui n’est pas consacré aux travaux scolaires ou à son emploi.

Mais Apollo a un objectif clair : « Je n’ai pas envie de sortir de l’université soit pauvre, soit en dette. »

Des nouvelles de Nyamae

Après près de trois ans d’attente, la Franco-Terre-Neuvienne d’adoption, Nyamae Alloway, a obtenu sa résidence permanente le 8 novembre 2022. Sans ce précieux document, elle aurait dû s’inscrire à l’université en tant qu’étudiante étrangère, même si elle vit au Canada depuis l’âge de six ans.  Elle a donc vu la facture de ses frais de scolarité diminuer considérablement.

Nyamae Alloway
Nyamae Alloway. (Photo : Gracieuseté)

Selon Statistique Canada, les étudiants étrangers au premier cycle paient en moyenne 29 289 $ de plus par année que les étudiants canadiens. Ils sont aussi limités à 20 heures de travail rémunéré par semaine. Ce plafond est actuellement levé du 15 novembre 2022 jusqu’à la fin de 2023.

Pour Marguerite Tölgyesi, le risque de mener la capacité des étudiants au point de rupture est réel. « Il va falloir qu’on revoit un peu nos attentes de productivité envers les jeunes comme les adultes. Depuis la pandémie, on l’a vu, on ne peut plus continuer comme on faisait avant. On ne peut plus travailler 50 heures par semaine pour être plus productif. Ce n’est pas bon pour notre santé mentale, ce n’est pas bon pour la planète », conclut-elle.