Kseniia Chystiakova, son mari Ehsan Farid et leur petit garçon Iliia vivent à Winnipeg depuis maintenant trois mois. La famille qui résidait dans la banlieue de Kiev a vécu de près l’inimaginable. Une expérience qui laisse des marques qui ne s’estompent jamais complètement, mais que la perspective d’une nouvelle vie apaise.
Par Hugo BEAUCAMP
Le 9 septembre, Kseniia Chystiakova aurait souhaité pouvoir enfin poser ses valises, seulement voilà, sur les cinq bagages enregistrés à l’aéroport international de Hanovre Langenhagen en Allemagne, aucun n’est arrivé à Winnipeg.
« Nous étions au courant des problèmes rencontrés par les aéroports cet été, alors heureusement nous avions prévu un bagage en cabine. » Toute fraîchement arrivée, elle précise que la compagnie Air Canada leur a fait livrer leurs affaires deux jours plus tard. Plus de peur que de mal donc, mais cette expérience lui a permis de réaliser une chose :
« Moi qui suis d’ordinaire si stressée, si une péripétie comme celle-là m’était arrivée un an plus tôt j’aurais complètement paniqué. Mais après ce qu’on a vécu en Ukraine ça ne m’a même pas chamboulée. Même Ehsan, mon mari, était surpris. » Vivre ce que la famille a vécu au cours des neuf derniers mois, ça aide à remettre les choses en perspective. « Mon attitude a changé depuis que je suis ici », conclut-elle.
| Le début du cauchemar
Kseniia et sa famille vivaient dans la banlieue de Kiev, l’une des villes prise pour cible le jour du déclenchement de l’invasion russe, et la mère de famille se souvient très clairement des attaques dévastatrices dont elle a été témoin.
« Dans les premières heures qui ont suivi l’attaque, nous avons récupéré mes parents et quitté la maison pour se réfugier à l’ouest du pays. Des hélicoptères survolaient et lançaient des missiles au-dessus de chez nous! Que cela arrive au 21e siècle en Europe, alors que nous avons de la famille et des amis en Russie, on n’arrivait pas à y croire. » Encore loin de s’imaginer les proportions de ce à quoi elle vient d’assister, la famille, convaincue que les choses se tasseraient au bout de quelques jours patiente à l’ouest.
Finalement vient la réalisation : il s’agit d’une guerre ouverte. « Nous nous sommes rendus en Pologne, puis en Slovaquie. Enfin, étant donné que je travaillais pour une compagnie allemande, des collègues là-bas se sont proposés de nous aider. »
Cette étape allemande aurait pu signifier la fin de la fuite pour Kseniia et les siens, mais encore une fois, voir la guerre de près laisse son empreinte. Pour elle et son mari, l’Allemagne n’est pas assez loin du conflit. Elle confie : « Nous avions peur que la guerre ne s’arrête pas aux frontières de l’Ukraine. On voulait s’éloigner le plus possible de la Russie. C’est alors que nous avons vu le programme de soutien aux Ukrainiens que proposait le gouvernement canadien. »
Au-delà de la peur, c’est l’instinct maternel qui va sceller la décision de Kseniia. « Illia ne dormait plus bien depuis des mois, il faisait souvent des cauchemars, se souvient-elle. Il allait à l’école en Allemagne mais ne parlait pas du tout la langue, ça a été très dur pour lui. Alors avec Ehsan, on a décidé qu’il fallait que l’on parte. »
| Un nouveau départ
Et selon toute vraisemblance, ce choix était le bon : « Illia est vraiment heureux d’être ici. Ça, j’en suis certaine. Il adore l’école, il se plaint même d’être en week-end parfois (rires). Je pense que c’est parce qu’on lui donne moins de devoirs ici qu’en Ukraine. » Ses parents aussi ne voient pour le moment que du positif dans cette aventure canadienne. « Tout s’est vraiment bien passé, l’aide que l’on a reçue de la part de la communauté ukrainienne et des Canadiens est incroyable et le temps ne nous fait pas peur! » lance-t-elle dans un sourire gentiment provocateur. Kseniia a même trouvé un travail qui correspond à son expérience professionnelle précédente, dans les ressources humaines. Quant à Ehsan, « il suit un programme pour améliorer ses compétences en langue ».
À l’approche des fêtes de Noël, l’Ukrainienne regrette tout de même l’absence de ses parents, restés en Allemagne dans l’attente de leurs visas. « Nous passerons les fêtes ensemble l’an prochain. » Mais la situation reste « douloureuse » pour Kseniia. Et pour ne rien arranger, les parents de son mari, originaires d’Iran, se trouvent, eux, incapables de quitter un pays en proie lui aussi à de grands bouleversements.
La famille fêtera Noël malgré tout le 24 décembre au soir : « Nous allons célébrer la famille, même si nos parents ne seront pas là. » Après un premier dîner intimiste en famille, les trois nouveaux arrivants rejoindront des amis qu’ils se sont fait ici à Winnipeg : « Nous allons préparer 12 plats, à base de viande rouge, de poisson. Des plats issus de la cuisine ukrainienne. Heureusement, on peut trouver tous les produits dont on a besoin ici. »