C’est à Saint-Malo, en 1937, que la première Caisse populaire manitobaine voit le jour. Sous l’impulsion de l’abbé Arthur Benoît et de 17 membres de la paroisse, le mouvement des caisses se mettait en route dans la Province du Milieu.

Enraciné dans le principe du un membre, un vote, l’esprit des caisses se veut fondamentalement résistant aux différentes logiques financières et économiques en vogue.

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Trois jours après son ouverture, le 1er mars 1937, la Caisse populaire de Saint-Malo avait déjà accueilli 29 membres, qui avaient déposé 96,85 $. Le premier prêt était accordé la semaine suivante au montant de 75 $. Et dès avril, la Caisse populaire accordait son premier prêt hypothécaire pour la somme de 4 000 $.

Ces informations sont consignées dans le livre De la table de cuisine à la rue principale, écrit par Maurice Gauthier et publié en 1987 par le Conseil de la coopération du Manitoba dans le cadre du 50e anniversaire des Caisses populaires au Manitoba.

La Caisse populaire de Saint-Malo est un écho dans les Prairies d’un mouvement similaire qui avait pris pied au Québec. L’ampleur de la crise économique des années 1930 avait accentué la pauvreté et ne laissait pas d’autres choix aux communautés paroissiales que de s’organiser elles-mêmes, souvent avec l’appui du clergé.

Là réside d’ailleurs tout l’esprit des caisses populaires. L’abbé Benoît écrivait ainsi une lettre à la rédaction de La Liberté, publiée dans l’édition du 4 janvier 1939 : « Saint-Malo est une vieille paroisse du Sud-Est du Manitoba jusqu’ici remarquable surtout par la pauvreté de la majorité de sa population. Bien que fondée il y a plus de 40 ans, c’est depuis deux ans seulement que des routes y ont été construites.

La grande difficulté que rencontrait la majorité était le manque de fonds nécessaires pour sortir de l’ornière. Depuis deux ans, une caisse populaire a fait des merveilles. Il y a une succursale de la Banque Canadienne Nationale à Saint-Pierre et croiriez-vous que le travail de la Caisse populaire n’a nui à aucune de ses activités. Presque toutes les affaires négociées par la Caisse populaire sont des affaires que la banque ne peut négocier ou ne se soucie pas de négocier. La Caisse populaire aide ceux qui désirent emprunter de petites sommes que la banque très souvent ne tiendrait pas à inscrire dans ses livres. »

| Prendre ses affaires en main

Le message transmis est clair : la banque, c’est juste les profits; les caisses, c’est avant tout du petit monde qui prend ses affaires en main. En encourageant aussi l’épargne des plus petits. Telle est la mentalité qui régnait dans le mouvement des caisses populaires. Maurice Therrien, ancien directeur général de la Fédération des caisses populaires du Manitoba de 1978 à 1992, met en lumière le rôle de l’Église dans la naissance de ce mouvement.

« Avant la caisse de Saint- Malo, il y a des traces, en 1911, d’une autre caisse populaire à Saint-Jean-Baptiste, menée par l’abbé Clovis St-Amant. Mais en 1919, elle est dissoute à cause du départ de l’abbé. Cette caisse menait des projets avec la volonté propre au monde coopératif : soutenir la communauté dans laquelle elle est implantée.

« Le prêtre du village était souvent la personne la plus instruite et c’était un leader. Les gens lui faisaient confiance. Ils se regroupaient autour de l’église et du prêtre. C’était cette structure qui veillait à la responsabilisation des gens. L’Église et le français étaient extrêmement reliés à cette époque. L’abbé Adélard Couture avait été mandaté par l’Archevêché de Saint-Boniface pour populariser dans les paroisses le concept des caisses populaires. Il a été en quelque sorte l’Alphonse Desjardins du Manitoba. Il était là pour aider les gens à se prendre en main. »

| Services de qualité

La volonté d’obtenir des services de qualité dans sa langue était aussi une forte motivation, comme l’assure Maurice Therrien. « Dans ce temps-là, les banques ne traitaient pas forcément bien leurs clients les moins bien nantis. Beaucoup de gérants de banque les regardaient en prenant un air supérieur. Alors si en plus vous étiez de la minorité, c’est-à-dire si vous étiez francophone, vous aviez encore moins de chances d’être traité correctement. Si on voulait faire pleinement vivre notre langue minoritaire, il fallait qu’on puisse parler en français pour nos finances aussi. »

Au passage des décennies, les Caisses populaires ont organisé un encadrement institutionnel. À partir de 1952, les caisses étaient regroupées sous le nom de Caisse Centrale de Saint- Boniface Credit Union Society Limited. Dans le livre de Maurice Gauthier, De la table de cuisine à la rue principale, il est souligné que « la loi provinciale imposait l’usage de l’appellation anglaise ».

C’est en 1982 que l’institution est devenue la Fédération des caisses populaires du Manitoba. Maurice Therrien explique le choix du nom. « Une Fédération, c’est un regroupement d’institutions, de sociétés telle que les Caisses. Et c’est ce qu’on est ». Toutefois, le chemin de cette consolidation des forces n’a pas été sans embûches. Et pour cause : « Forcément, dans les villages où étaient implantées les caisses, tout le monde se connaissait. Alors certains avaient une forme de réticence à accepter que tout le monde connaisse leurs affaires.

| Quelques obstacles

« Au fur et à mesure que les caisses ont dû se professionnaliser, on s’est aperçu que certaines personnes qui étaient impliquées dès le début n’avaient plus les compétences techniques nécessaires à cette nouvelle phase d’évolution de l’institution. On a alors dû leur demander de partir… »

Cependant pour Maurice Therrien, le plus grand obstacle au développement du mouvement des caisses populaires a été la période des années 1980. « Avant ces années-là, l’appariement n’était pas une chose courante dans les caisses (1). Ce qui n’est pas un problème vraiment sérieux tant que les taux d’intérêt ne s’emballent pas. Or au début des années 1980, les taux d’intérêts ont bondi à près de 19 % sur les dépôts.

En effet, dans les années 1970, les institutions financières ainsi que les caisses approuvaient assez librement les prêts avec peu de suivi. Les résultats se sont manifestés ainsi dans les années 1980. Et les caisses n’étaient pas prêtes du tout pour ce scénario. Il y a eu des pertes importantes. Après cette crise, la technique de l’appariement est devenue un outil essentiel dans les caisses. »

Indépendamment de la nécessité de l’aide du gouvernement, si la catastrophe a été évitée sur le fond, c’est parce que les membres sont restés fidèles. Maurice Therrien estime que tout le système des caisses repose sur la confiance des membres : « Dans toute cette période, ce qui est resté fondamental c’est la confiance des membres. J’ai reçu des appels de la part de membres qui étaient inquiets. Mais qui sont restés parce qu’ils nous faisaient confiance. Je le répète : la confiance, c’est fondamental.

René Philippot à Saint-Claude
Première transaction de paiement direct grâce au système Interac dans le magasin de René Philippot à Saint-Claude. Sont présents sur la photo Claude Béland de la Caisse Desjardins et Normand Collet, ancien président de la Fédération des caisses populaires du Manitoba. (photo : Gracieuseté Maurice Therrien)

| Confiance : le maître-mot

« Les caisses sont axées sur la communauté. Je donne un exemple dont je me rappelle très bien. Gaston Bohémier, un agriculteur de Lorette qui est maintenant décédé, m’avait dit : C’est toute la Caisse qui m’a aidé avec ma ferme. Alors quand je reçois mon chèque de lait chaque mois, je fais d’abord mon paiement à la Caisse. Puis je vois après ce qu’il me reste. »

Un témoignage qui montre le réel impact que les caisses populaires ont pu avoir dans la vie de certaines personnes, voire à certaines périodes pour des communautés villageoises entières.

Pour avoir de telles retombées, les Caisses devaient savoir innover, comme le souligne Maurice Therrien. « À un temps, ce sont les Credit Unions qui s’occupaient de la partie informatique, et à un moment donné, ils ont changé de voie sans tenir compte de nous. Alors en 1982, la Fédération des caisses populaires, a mis sur pied notre propre système informatique qui s’appelait et s’appelle encore Télé- Pop.

« Et puis en 1989, les caisses se sont équipées de leur propre guichet automatique, grâce notamment à l’aide du mouvement Desjardins. Ce sont eux qui s’étaient occupés de l’interface et du système électronique.

« Et dès 1991, les Caisses populaires manitobaines ont été les premières à s’être équipées du paiement direct du système Interac. Là encore je m’en souviens très bien, nous nous sommes rendus à Saint- Claude dans le magasin de René Philippot où une transaction a eu lieu en direct. »

| Caisse Groupe Financier

Ce bref aperçu historique montre tout le chemin parcouru par le mouvement des caisses populaires manitobaines pour devenir ce qu’elles sont aujourd’hui : un regroupement dans une institution unique appelée Caisse Groupe Financier.

Maurice Therrien estime que le rôle des caisses reste socialement crucial. « Je trouve encore et toujours qu’elles ont encore un rôle hyper important à jouer. Au moment de construire le nouveau bâtiment de la Caisse populaire Saint-Boniface, Rémi Bisson, le directeur général de l’époque, m’avait approché pour savoir ce que je pensais du choix de l’emplacement pour la visibilité de la Caisse Saint-Boniface. Pour moi aucun doute : pignon sur rue, excellent ! (2)

« Je suis un inconditionnel du mouvement coopératif justement parce qu’il est basé sur l’humain, que tu vailles 200 $ ou deux millions $, tu as le même vote. C’est magnifique ! »

(1) L’appariement (matching) est une méthode par laquelle une caisse fait coïncider les dates d’échéances et les taux d’intérêt des dépôts de ses sociétaires avec les dates d’échéances et les taux d’intérêt des placements et des prêts qu’elle fait pour éviter de sérieux problèmes financiers.

(2) C’est en 2011 que les nouveaux bureaux de la Caisse Saint-Boniface ont ouvert leurs portes.