C’est à la suite d’un référendum, en 1953, que la bibliothèque municipale de Saint-Boniface a été établie. Une trentaine d’année plus tard, le lieu était devenu trop petit pour accueillir la collection de livres. Guy Savoie, alors conseiller municipal de Saint-Boniface, a su jouer de son influence pour que la bibliothèque publique puisse occuper un espace beaucoup plus spacieux. Non sans susciter quelques controverses.

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Depuis bientôt 40 ans, la bibliothèque de Saint- Boniface a pignon sur rue à l’angle de l’avenue Taché et du boulevard Provencher. Il aura fallu le bon mélange de conviction et de sens politique de la part du conseiller municipal Guy Savoie pour mettre sur pied cette institution de Saint-Boniface.

« L’ancienne bibliothèque se trouvait sur l’avenue de la Cathédrale, près de ce qui est maintenant le Centre Notre-Dame. C’était une bibliothèque uniquement francophone. Norwood avait sa propre bibliothèque, au bord du parc Coronation, qui, elle, était anglophone.

« Ça s’est adonné que les deux bibliothèques arrivaient en même temps à leur capacité maximum. Il fallait réfléchir à un autre espace pour offrir des services aux résidents. »

| Des préoccupations

La Liberté du 15 juillet 1983 s’était faite l’écho de ces préoccupations : « Le service pourrait être amélioré pour les usagers de la bibliothèque. […] De fait tout le monde s’accorde pour dire que les 60 000 livres de la bibliothèque située avenue de la Cathédrale sont à l’étroit. »

Guy Savoie avait décidé de voir grand. « Non seulement la bibliothèque de Saint-Boniface était devenue trop petite pour tous les livres disponibles, mais on ne pouvait quasiment pas faire d’activités pour les enfants et il n’y avait pas de place pour l’audiovisuel. Les locaux faisaient environ 6 000 pieds carrés et il en fallait au moins le double pour donner un service adéquat ! Du côté de Norwood, la bibliothèque était confrontée aux mêmes limites.

« La question qui se posait alors, c’était de déterminer si on devait agrandir les bibliothèques existantes ou bien si on devait les déménager. Des architectes nous avaient informés qu’on ne pouvait pas envisager de rallonge aux bâtiments. Alors il fallait réfléchir à un nouvel espace. »

| La construction

Par un concours de circonstances, la construction d’un nouvel édifice était prévue à l’angle de l’avenue Taché et du boulevard Provencher. Guy Savoie se rappelle. « À la même époque, un promoteur privé avait approché la Ville de Winnipeg pour savoir si on était intéressé à louer le deuxième étage de son bâtiment. Au premier étage, il y avait un café et un restaurant.

« C’était forcément intéressant. Le Conseil de Ville a réfléchi et on a décidé de louer une partie des locaux et d’amalgamer les deux bibliothèques. La motion est passée à l’unanimité. À l’époque il y avait pas moins de 29 conseillers municipaux.

« Je m’entendais très bien avec mes collègues. Sur cette motion, j’avais eu leur appui, sans discussion. »

Bibliothèque de Saint-Boniface
L’ouverture officielle de la nouvelle Bibliothèque de Saint-Boniface (à l’angle de Provencher et Taché) a eu lieu le 12 janvier 1988. On reconnaît sur la photo le député fédéral de Saint-Boniface, Léo Duguay, les conseillers Guy Savoie et Chris Lorenc, le maire Bill Norrie et la présidente de la Bibliothèque municipale de Winnipeg Betty Atkinson. (photo : Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface)

Dans La Liberté du 5 octobre 1984, Guy Savoie faisait valoir au grand public l’avantage de sa démarche. « La solution la plus efficace est de louer de nouveaux locaux, au coût d’environ 50 000 $ par année. Il est trop tard pour vouloir une nouvelle bibliothèque, la Ville ayant manqué sa chance d’obtenir de l’aide fédérale. »

Par contre, l’emplacement n’a pas fait l’unanimité auprès de certains résidents de Norwood. En politicien rompu aux réactions citoyennes, il ne pouvait être surpris.

| Des réactions négatives

« Il y a eu quelques résidents anglophones qui se servaient énormément de la bibliothèque de Norwood qui n’étaient pas contents. Des résidents me disaient que j’avais quelque chose contre les anglophones, parce que je leur avais enlevé un service. »

Du côté francophone, les réactions négatives n’ont pas manqué non plus. « La Société franco-manitobaine (SFM) n’était absolument pas d’accord avec l’idée que des livres en anglais cohabitent avec des livres en français.

« Je ne voyais pas vraiment l’argument à l’époque, je ne le vois d’ailleurs toujours pas. Si vous voulez prendre un livre en français, prenez-le. Si vous voulez un livre en anglais, prenez-le aussi. À part la SFM, j’ai reçu très peu d’appels. J’ai été très peu interpellé pour rediscuter toute l’affaire de l’amalgamation de Saint-Boniface avec Winnipeg en 1972.

« C’était juste une question d’amener tous les arguments sur la table et de voir ce qui faisait du bon sens. Je pense qu’aujourd’hui les gens ne voient vraiment pas le problème de la cohabitation des services en français et en anglais. »

| Opposition

Cependant, dans les débuts de la nouvelle bibliothèque amalgamée, plusieurs personnes avaient envoyé des lettres à la rédaction de La Liberté pour montrer leur opposition à cette initiative. Ainsi, Huguette Rempel écrivait le 27 avril 1987 : « M. le rédacteur, quelle déplorable initiative que de nous faire perdre notre seule bibliothèque française à Winnipeg. M. Guy Savoie ne semble guère comprendre que nous valorisons à plein coeur ces services exclusivement français, puisqu’il se plaît de supposer que Les associations francophones ont appuyé l’amalgamation avec la bibliothèque Coronation. […] Qu’on se le dise : la bibliothèque de St-Boniface, c’est la nôtre – voilà tout ! »

Le docteur Henri Guyot, un des principaux fondateurs du poste communautaire CKSB en 1946, écrivait le 30 mars 1987 : « […] Comme contribuable de la ville de Saint-Boniface depuis une cinquantaine d’années, comme un des anciens membres fondateurs de la bibliothèque française de Saint-Boniface avec M. l’abbé Deschambault, J.A. Marion et M. Thompson, et comme citoyen canadien-français de la ville, la bilinguisation de notre bibliothèque m’est inacceptable. Notre conseiller, M. Guy Savoie, ne semble pas se préoccuper du caractère français de notre ville et nous devons lui rappeler qu’il nous représente. »

Guy Savoie cultivait un tout autre point de vue. Il voyait la nouvelle bibliothèque comme « un reflet du Canada moderne. On est bilingue, alors avoir une bibliothèque bilingue fait du sens. Il faut desservir la population anglophone autant que la population francophone. »

| Pour tous les contribuables

L’ancien conseiller municipal estime que dans ce dossier il a pris ses responsabilités, conformément aux exigences de son rôle. « Oui, il y a eu quelques personnes qui ont critiqué. Mais est-ce qu’on change de décision pour trois ou quatre personnes? Lorsqu’il y a une trentaine de personnes qui viennent critiquer une décision, d’accord on y repense. Le devoir d’un conseiller municipal est de penser à tous les contribuables. »

Au-delà des positions sur l’aspect linguistique, la nécessité d’une bibliothèque, qu’elle soit bilingue ou francophone, était pour Guy Savoie en soi acquise. « C’était important d’avoir une bibliothèque avec des livres en français à Saint-Boniface. Environ 80 % de l’espace dans les nouveaux locaux était réservé aux livres en français.

« Une bibliothèque est la base pour consolider l’apprentissage d’une langue. C’est tellement nécessaire pour s’éduquer, pour faire évoluer sa langue. Les livres nous permettent d’enrichir notre vocabulaire pour bien exprimer nos pensées. Sans bibliothèque publique, où est-ce qu’on va chercher efficacement ces ressources? Vivre sans bibliothèque, c’est vivre avec un trou dans sa langue. »