Il y a 40 ans commençait la construction du premier foyer pour aînés francophones au Manitoba, à l’initiative des Chevaliers de Colomb du Conseil Saint-Boniface. Une série d’embûches a dû être surmontée avant que l’Accueil colombien ne puisse voir le jour rue Masson. David Dandeneau s’en souvient très bien.

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Comme pour d’autres projets novateurs dans la francophonie manitobaine, c’est la volonté de quelques personnes disposant de bons alliés au bon moment qui ont permis l’Accueil colombien. David Dandeneau fait partie du noyau initial des motivés.

« Il y avait un monsieur Doiron, dont je ne suis plus tout à fait sûr du prénom, qui demeurait rue La Vérendrye. Il commençait à atteindre un certain âge. Il rêvait d’un foyer pour aînés dans le vieux Saint- Boniface. On parle de la toute fin des années 1970. De leur côté, les Chevaliers de Colomb du Conseil Saint-Boniface entretenaient le même espoir. Mon beau-père, Guy Mulaire, était le Grand Chevalier. Il m’a fait entrer dans l’organisation pour que je travaille sur un projet qui irait dans ce sens-là.

| Circonstances favorables

« Dans les caisses du Conseil, il y avait environ 10 000 $. Or ça prenait des gros sous pour se lancer dans un projet de foyer. À la même époque, les Soeurs Oblates voulaient vendre la Maison Chapelle. Il y avait un terrain vague adjacent, là où se trouve désormais l’Accueil colombien. »

Les circonstances favorables et l’enthousiasme étant au rendez-vous, le travail pouvait commencer pour David Dandeneau, appuyé par d’autres Chevaliers.

« J’ai approché Étienne Gaboury. Il a développé une vision pour le futur Accueil colombien. Comme le bâtiment allait se trouver dans un quartier résidentiel, on ne voulait pas d’un édifice qui allait complètement dénoter.

« On est aussi intervenu auprès de la Ville de Winnipeg pour élargir la désignation de quartier à besoins afin de pouvoir obtenir des octrois.

« J’ai travaillé de pair avec Neil Gaudry et Napoléon Goulet. Neil m’a incité à prendre le leadership du projet. Les Chevaliers m’ont donné un mandat clair qui me permettait de prendre des décisions sans forcément passer par tout le Conseil des Chevaliers de Saint- Boniface.

| Vieillir en français

« En mai 1982, lorsqu’on a acheté la propriété de la Maison Chapelle rebaptisée Résidence Langevin, l’entente était qu’on mettrait une option d’achat sur le terrain d’un montant de 450 000 $, valable pour deux ans, et qu’on aiderait les Soeurs pour la gestion de la Résidence. Entre temps, on a demandé au Core Initiative Program, conçu pour revitaliser le centre-ville de Winnipeg, la somme de 450 000 $. Mais comme un apport de 5 % était nécessaire, on a dû subdiviser le lot. C’est la valeur du terrain qui a servi d’apport. »

David Dandeneau, qui portait le projet de 147 unités au coût de quelque huit millions $, devait maintenant convaincre les différents paliers de gouvernement de le suivre. Mais à l’époque, la valeur de l’initiative pour aînés ne faisait pas l’unanimité.

« On est allé à la Province. Laurent Desjardins était l’important ministre de la Santé. Pour nous, c’était un gros atout. Les appuis gouvernementaux étaient tièdes, parce que la question d’un foyer pour aînés francophones ne s’était jamais posée. Dans la tête du gouvernement, vieillir c’était la même chose pour tout le monde.

| Revendications

« Pour appuyer nos revendications, on avait sollicité des aînés prêts à déménager dans un foyer du genre. On avait recueilli au moins 600 noms.

« Pour nous, l’atmosphère française était importante. Par exemple, on voulait qu’à l’intérieur les enseignes soient en français, puisqu’on voulait un foyer pour aînés francophones. On se faisait dire qu’on ne pouvait pas faire ça, parce que c’était de la discrimination. Notre philosophie était bien claire : Ici, vous pouvez vivre en français. N’importe qui peut venir, tant qu’il respecte cette volonté. Finalement, ça s’est réglé assez rapidement. »

L’affichage en français était un point non négociable pour David Dandeneau.

« Il n’existait aucune place pour nous. Les aînés francophones se retrouvaient dans des foyers un peu partout dans Winnipeg. Beaucoup d’entre eux ne se sentaient pas à l’aise. Ils voulaient vieillir dans leur langue maternelle, être capables de s’exprimer dans la langue de leur choix. Parfois aussi leurs familles ne pouvaient pas facilement leur rendre visite. »

Étienne Gaboury
Étienne Gaboury a été l’architecte pour le projet de l’Accueil colombien. (photo : Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface)
Neil Gaudry a participé à l’établissement de l’Accueil colombien. (photo Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface)

| Des appuis bien placés

Comme projet urbain de grande taille, des obstacles n’ont pas tardé à apparaître.

« Il y a eu des contestations au niveau du quartier. Pour des personnes, un bâtiment de huit étages dans un contexte résidentiel, ça ne se faisait pas. Greg Selinger était alors le président de l’Association des résidents du Vieux Saint- Boniface. Il a su se montrer convaincant. Pour ma part, j’avais réussi à convaincre Raymond Hébert, qui vivait juste en face. Raymond Lafond et sa famille habitaient juste au bout de la rue Masson. Une fois l’appui de ces deux personnes directement concernées acquis, la contestation a cessé.

« Au niveau politique, je dois aussi souligner que Guy Savoie, qui était le conseiller municipal pour le quartier de Saint-Boniface, a joué un rôle clé dans le rezonage et l’obtention des permis de construction. Je peux l’affirmer : malgré tous nos efforts, malgré toutes les bonnes volontés, sans son appui, l’Accueil colombien n’aurait pas vu le jour.

« À une autre étape du projet, Étienne Gaboury ne pouvait plus continuer avant d’avoir une assurance côté financement. Surtout qu’à la dernière minute, le Core Initiative Program avait donné 450 000 $ à l’hôtel Marlborough dans le but d’en faire un centre culturel allemand. D’un coup l’argent qu’on nous promettait avait disparu.

| Un projet risqué

« Neil, Napoléon et moi-même avons décidé d’hypothéquer nos maisons pour payer Étienne pour son travail. Finalement, un jour en décembre 1982, je suis allé sans rendez-vous au bureau du député fédéral libéral et ministre de l’Emploi et de l’Immigration, Llyod Axworthy. J’avais décidé de ne pas quitter la place sans lui avoir parlé. Je voulais lui expliquer que j’allais perdre ma maison pour ce projet et que j’allais en parler au Winnipeg Free Press. Le lundi suivant, j’ai reçu un appel de son bureau pour nous dire que son gouvernement travaillait pour que le Core Initiative Program trouve un autre 450 000 $ pour le projet.

« Avec le recul, je me rends bien compte que c’était risqué. Mais je croyais vraiment à ce projet. Progressivement, avec le passage du temps, j’ai réalisé à quel point l’Accueil colombien avait en quelque sorte brisé la glace et fait une grosse différence dans notre communauté. »

Le 12 janvier 1983, un apport de 450 000 $ est confirmé. Cette fois, le projet peut aller de l’avant. La construction a débuté le 1er mars 1983. Un comité d’experts est mis sur pied pour travailler avec Étienne Gaboury : Lucien Desmarais (plombier), Lionel Grimard (électricien), Lucien Rioux (charpentier) et Ted Dupuis (contremaître du chantier des rénovations de la Résidence Langevin). Leur engagement a été vite reconnu : le projet a obtenu en 1984 le Prix Riel dans la catégorie Développement communautaire.

| Quel avenir?

Depuis 2018, l’hypothèque contractée pour l’Accueil colombien a été entièrement repayée. Se pose donc maintenant la question de l’avenir de ce bâtiment aux mains des Chevaliers de Colomb.

David Dandeneau cerne ainsi l’enjeu pour l’avenir. « On va devoir décider si on vend l’Accueil Colombien à un autre organisme à but non lucratif, comme Réseau Compassion, qui dispose de l’infrastructure pour gérer l’Accueil colombien en respectant l’objectif initial des Chevaliers. L’argent de la vente pourrait être remis dans la fondation des Chevaliers pour d’autres projets caritatifs dans la communauté.

« L’autre solution, c’est de garder le bâtiment et de continuer à le gérer. Pour cette option-là, ça prend des bénévoles.

« Or il faut comprendre que les Chevaliers de Colomb vieillissent. Aussi, le fait que l’organisation n’accepte pas de femmes dans les Conseils et dans l’organisation en général, ça n’est plus dans l’air du temps. Déjà à l’époque, quand on entreprenait certains projets, c’étaient les femmes qui menaient le bateau. »