La question peut paraître incongrue : Avons-nous besoin du néant pour vivre? La réponse peut paraître tout aussi évidente. Mais attention! S’il n’y avait pas le néant, nous ne vivrions que dans la plus étroite fenêtre de l’être, là où il nous serait impossible de vivre. Car c’est ainsi : dans la présence de l’instant, le sens manque.
Par Antoine CANTIN-BRAULT
Prenons par exemple cette nouvelle année avec ces fameuses résolutions. Peu importe que nous les tenions ou non. Ce qui compte ici est de voir que les résolutions concernent le néant. Tout comme les bilans de l’ancienne année, d’ailleurs. Bilans et résolutions concernent le néant. Pourquoi? Tout simplement parce que le passé et le futur sont du néant. Le passé n’existe plus, le futur n’existe pas encore. Ils ne sont rien à proprement parler. Et pourtant ne vit-on pas pour eux?
C’est comme ça : que nous voulions les fuir ou vivre en eux plus que tout, le passé et le futur sont des néants dont nous avons besoin. Car le sens de la vie se mesure dans le temps. À l’exemple de la musique qui, pour être vraiment entendue, suppose que nous prêtions attention aux notes passées et que nous supposions les notes à venir. Sans attente ni mémoire, la musique ne serait que suite incohérente de sons.
Saint Augustin avait bien observé que l’humain a cette capacité de retenir le passé par la mémoire et d’anticiper le futur par l’attente. Par la mémoire et l’attente, l’humain est capable d’élargir la fenêtre de l’instant, d’élargir le présent. Ainsi nous rendons présent le néant.
Le néant nous est donc vital, puisque sans lui nous ne serions que de pauvres somnambules réagissant aux stimulations de l’instant. C’est l’évidence même : vivre seulement dans l’instant nous ferait à coup sûr gaspiller certains moments importants, faute de pouvoir les rattacher aux deux néants qui les enserrent. Le passé dévore ce que le futur a mis dans le présent : oublier ce fait nous maintiendrait dans cette instantanéité qui ne veut plus rien dire.
Mais il serait tout aussi néfaste de tenter de s’en tenir au seul néant. Le nostalgique vit dans le passé et refuse ce que le futur a mis dans le présent. Le devin vit dans le futur et attend du présent qu’il devienne le futur. Voilà pourquoi nous devons faire un juste usage de ce néant dont nous avons tant besoin. Tout comme nous devons faire un bon usage du présent, autrement dit de l’être.
Vivre dans l’être et le néant : voilà qui donne tout son sens à notre existence. Voilà qui permet à nos vies de se dérouler comme une symphonie, avec ses moments forts et ses moments faibles, avec ses tensions et ses relâchements, avec ses répétitions et ses nouveautés. Voilà ce qui favorise le sens de la vie : être là, présent, tout en sachant que cette présence émerge constamment du néant.
Il faut vivre au néant pour que l’être fasse sens.