Après la COVID-19 et sa pléthore de variants, les virus respiratoires chez les enfants, c’est la grippe aviaire qui sévit désormais dans le pays, comme en Europe et chez nos voisins du Sud. Une crise « sans-précédent » d’après certains experts.

Par Hugo BEAUCAMP

Le coupable : l’influenza aviaire H5N1 (IAHP). Découverte en 1997, cette souche mortelle et hautement pathogène de la grippe aviaire a, en l’espace de quelques mois, traversé notre continent d’un océan à l’autre. Laissant dans son sillage plusieurs millions d’oiseaux morts.

Le Canada n’est pas le seul concerné, en Europe aussi le virus s’est répandu dans des proportions dévastatrices. Ce virus se transmet principalement d’individu en individu et le problème avec les oiseaux migrateurs et la faune sauvage plus largement, c’est qu’ils n’ont que faire des frontières. De plus, la grippe aviaire éclot de manière sporadique, ainsi, tout au long de l’année, des cas ont été décelés ci et là autour du globe. Pour Ibrahima Diallo, professeur de microbiologie et zoologie à l’Université de Saint-Boniface, il s’agit d’une véritable « pandémie pour les oiseaux. »

« C’est assez rare, mais c’est ce qu’on appelle une épizootie », ajoute-t-il.

L’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) suit la situation de près et publie des rapports bihebdomadaires à propos de la grippe aviaire depuis le 25 janvier 2020. Ce premier rapport, faisait état de 587 029 oiseaux morts en Asie et en Europe. Le dernier en date, qui couvre la période du 11 novembre au 1er décembre 2022 évalue les pertes animales à 1 880 825 dans le monde entier.

Le professeur Ibrahima Diallo, explique avec pondération : « Le danger est que le virus se transmet beaucoup. Il se multiplie et, comme on l’a vu avec la COVID-19, il arrive parfois qu’il fasse une erreur en réécrivant son code génétique, donnant alors naissance à des variants. »

| Transmission inter espèce

Il ne s’agit pas de céder à la panique ou d’envisager un scénario catastrophe pour autant : « Les virus ont ce que l’on appelle des tropismes pour certaines espèces. Soit une affinité particulière. » Ce n’est donc pas par hasard si la grippe aviaire porte ce nom-là.

Mais si l’on a beaucoup parlé d’H5N1 ces dernières semaines, c’est aussi parce que des cas ont été recensés chez des mammifères marins, notamment des phoques ou encore chez le dauphin. Cette transmission inter espèce ne semble pourtant pas surprendre Ibrahima Diallo outre mesure : « Là où il y a des plans d’eau, il y a des oiseaux. Mammifères marins et oiseaux forment une véritable communauté et se côtoient de manière pro-longée. De plus, le virus est capable de survivre dans l’eau pendant plusieurs semaines et trouver un hôte dans ce laps de temps. »

Il est sûrement inutile de le rappeler, mais l’être humain est lui aussi un mammifère, faut-il alors en déduire que le virus a évolué?

Des cas chez l’être humain ont déjà été observés par le passé. À l’échelle mondiale, les chiffres sont assez anecdotiques (on parle de plus de 800 cas depuis 2003) mais c’est assez pour qu’on s’en méfie. Car la transmission chez les animaux marins et l’être humain est signe indéniable d’une certaine capacité d’adaptation.

« Cette grippe aviaire est particulièrement infectieuse chez les oiseaux, mais ne semble pas l’être autant chez les mammifères, souligne l’expert en microbiologie, pour l’instant il n’a pas beaucoup évolué. Il faudra voir ce que ça va donner sur le long terme. Mais s’il est moins pathogène chez les mammifères c’est que des mécanismes de défense immunitaires existent. »

Wayne Hiltz
Wayne Hiltz directeur exécutif Manitoba Chicken Producers. (photo : Marta Guerrero)

| Du jamais vu au Canada

Retenons tout de même qu’il s’agit là d’un virus connu et surveillé de très près par les autorités sanitaires du monde entier. D’ailleurs les réponses en cas d’éclosions sont rapides et sévères : « Des mesures draconiennes sont prises (par les autorités compétentes), l’abattage des oiseaux domestiques, c’est le meilleur moyen d’étouffer la propagation du virus. » Aux abattages s’ajoutent également plusieurs protocoles sanitaires que les éleveurs se doivent de respecter.

L’ampleur de cette éclosion de grippe aviaire est sans-précédent, particulièrement au Canada qui n’avait jus-qu’alors connu que deux éclosions d’influenza aviaire sur son territoire. Une première fois en 2004 en Colombie- Britannique et une seconde fois en septembre 2007 en Saskatchewan.

Wayne Hiltz, directeur exécutif de l’organisme Manitoba Chicken Producers souligne le sérieux des producteurs avicoles de la province : « En 2015, les productions américaines étaient dévastées par une épidémie de grippe aviaire, jusqu’à la frontière. Pourtant, pas un seul cas n’a été recensé au Manitoba. Nos producteurs font un excellent travail en termes de biosécurité, mais le virus cette année est particulièrement virulent et beaucoup plus difficile à éviter. »

| Les éleveurs premières victimes

Au Manitoba, 21 locaux ont été confirmés comme « infectés » par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), mais comme l’explique Wayne Hiltz, les voisins aussi en pâtissent : « Lorsqu’une ferme est testée positive à l’IAHP, les zones autours aussi sont concernées. Même si les locaux environnants sont sains, certaines règles s’appliquent à eux aussi. Des mesures additionnelles de sécurité sanitaire, une surveillance renforcée, l’inter-diction de recevoir de nouvelles bêtes mais surtout un stress permanent. » Les retombées psychologiques de ces situations sont trop souvent négligées selon le directeur exécutif. « Ce sont des gens qui passent toute leur carrière à prendre soin de leurs animaux et tous les jours ils se réveillent en se demandant s’ils seront les prochains, s’ils retrouveront leurs oiseaux morts. Et lorsqu’ils voient leurs troupeaux en souffrance, ils ne peuvent rien faire sans l’aval de l’ACIA. C’est une situation compliquée pour les producteurs. »

Au-delà des répercussions sur la santé mentale des éleveurs, financièrement aussi, le coup est dur à encaisser. Cela est principalement dû au fonctionnement du système d’indemnisation de l’ACIA.

Pour les fermiers, le processus classique se déroule comme suit : un taux de mortalité élevé est observé au sein du troupeau. Un vétérinaire vient faire des tests, en fonction du résultat, les protocoles de l’agence d’inspection des aliments entrent en jeu. « Il y en a des pages et des pages, précise Wayne Hiltz. Mais pour aller au plus simple, quarantaine, interruption des déplacements et enfin ils planifient la destruction des animaux qui est suivie par la désinfection et le nettoyage des locaux. »

Et c’est là que les choses deviennent délicates. Chaque étape doit être validée par l’ACIA, et « cela prend des semaines ». Forcément, cela a un impact direct sur les revenus des producteurs.

| Effet papillon et solution

L’ACIA offre une compensation pour la destruction des animaux, car ce sont eux qui en donnent l’ordre. Le montant de cette compensation est défini en fonction du moment où l’extermination intervient. Wayne Hiltz illustre cela un peu plus clairement : « Les troupeaux de production de poussins par exemple. En général leur production s’arrête à 60 semaines. Si leurs oiseaux sont abattus à la 59e semaine, ils n’auront perdu qu’une semaine de production. En revanche s’ils sont abattus à la 25e semaine, alors c’est 35 semaines de production qui sont perdues et la compensation est plus élevée. » Toujours est-il que ces compensations omettent complètement d’autres aspects du métier.

Car pour l’éleveur qui vient de perdre toutes ses bêtes, il s’agit dorénavant de tout reprendre à zéro, et comme mentionné plus tôt, chaque étape peut prendre des semaines. « C’est arrivé que l’un de nos fermiers n’ait pas pu accueillir ses nouveaux poussins en raison des délais. Les poussins étant déjà dans le système ils ont dû être envoyés ailleurs, ça a été une perte financière énorme pour lui. » Le directeur poursuit : « À cause de la grippe aviaire, cette année nous avons perdu 14 000 poules reproductrices, cela représente environ 600 000 oeufs. Les aviculteurs de la région n’ont donc pas pu avoir leurs poussins. Ça fait partie des effets papillons que l’ACIA ne prend pas en compte. »

L’une des solutions qui pourrait être envisagée pour Ibrahima Diallo, professeur en microbiologie et zoologie à l’Université de Saint-Boniface, c’est la vaccination. « On a connu beaucoup de maladies qui s’attaquaient aux volailles, comme la maladie de Gumboro en Afrique. » On parle alors de prophylaxie médicale, le ministère de l’Agriculture français a d’ailleurs déjà présenté son plan vaccinal des volailles prévu pour la rentrée 2023. Le vaccin est encore en face de test, mais les résultats sont « convaincants » selon le siège français du laboratoire Boehringer.