FRANCOPRESSE – Apollo Sévigny de Yellowknife exprime ce que ressentent plusieurs élèves du secondaire. Conscients des répercussions de la pandémie sur la santé mentale des élèves, certains établissements postsecondaires ont décidé d’ajuster leurs procédures d’accueil des nouveaux étudiants.

Marianne Dépelteau

* Mise en garde: ce texte aborde le sujet du suicide

« C’est sûr que j’ai peur, un peu. […] Tout va changer là, toutes mes habitudes, tous mes repères à l’école. Socialement, ça ne va plus du tout être pareil, tous mes amis vont changer. Je sais que je vais réussir à m’adapter, j’ai confiance en moi, mais il y a toujours des petits doutes », exprime Alexis Gasc qui terminera son secondaire en juin à l’école secondaire Jules-Verne de Vancouver.

D’après le Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada (RCCFC), la combinaison des nombreux facteurs de stress qui accompagnent l’arrivée au postsecondaire et de ceux engendrés par la pandémie affecte les jeunes d’aujourd’hui de manière parfois disproportionnée.

Danielle de Moissac, professeure titulaire en sciences biologiques à l’Université de Saint-Boniface (USB), étudie le bien-être des étudiants au postsecondaire francophone en contexte minoritaire depuis une vingtaine d’années.

Elle confirme qu’à l’heure actuelle, « il y a encore beaucoup de défis au niveau du sommeil, de l’image corporelle, même de l’estime de soi. […] Il y en a beaucoup qui font de l’anxiété sur des périodes prolongées. On dirait que c’est quasiment devenu une réalité de la société chez nos jeunes que l’anxiété fait partie de la vie, mais pas à un niveau qui est sain. »

Quitter le nid familial cause des soucis

« Je sais que j’ai assez d’autonomie et de maturité [pour] faire mes travaux et les remettre, mais […] je ne sais pas comment prendre soin de moi de manière non académique sans que ma mère soit là et qu’elle dise “tu sens mauvais, c’est quand la dernière fois que tu as pris une douche?” », émet Apollo Sévigny qui souffre d’un trouble dépressif majeur. 

« J’ai eu tellement de misère à faire le petit groupe d’amis que j’ai [en ce moment] qui va rester ici quand je vais partir l’année prochaine. Je ne sais pas comment je vais faire, [pour] dealer avec la vie par moi-même », s’inquiète l’élève.

Alexis Gasc pour sa part éprouve moins d’inquiétudes devant la vie autonome au postsecondaire loin de la famille.

« Grâce au sport, je m’y connais pas mal en nutrition. Donc, pour l’épicerie et s’occuper de la maison je le fais déjà », explique-t-il. Il mise beaucoup sur le sport pour développer un réseau social quand il sera à l’université. « Si je n’avais pas le soccer, je pense que socialement je serais pas mal moins bien. Ça affecterait ma santé mentale c’est sûr. »

Il se considère chanceux d’avoir un emploi à temps partiel qui lui permet de développer des habiletés en communication. « On est à un âge où on apprend à parler aux adultes, avoir des conversations, à être confortables socialement. J’ai eu un travail en [service à la clientèle] direct après la COVID, et je pense que si je n’avais pas eu ça, j’aurais vraiment été derrière socialement. » 

Le suicide, ou l’autre pandémie

Apollo, qui a hâte de commencer ses études universitaires pour un jour résoudre les mystères du Big Bang, craint de transporter de lourds souvenirs dans ses bagages.

« À cause de la pandémie, je connais personnellement deux personnes qui ont essayé de prendre leur propre vie et au moins quatre autres dans mon entourage d’école », précise l’élève de 17 ans.

En octobre 2022, le bureau du coroner des Territoires du Nord-Ouest enregistrait près du double des suicides au 3e trimestre de 2022 comparativement à l’année 2021. Le pire bilan des 10 dernières années, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux du territoire. « À cause de la pandémie, quand je parle aux gens de mon âge, nous devons jouer les thérapeutes pour un et l’autre et s’empêcher de faire quelque chose de drastique », témoigne Apollo Sévigny

En novembre 2022, Danielle De Moissac a complété une collecte de données sur des étudiants de l’USB et des trois campus de l’Université Moncton, au Nouveau-Brunswick. « Ce qui semble moins bien aller, du moins au Manitoba, ce sont les pensées suicidaires. Ça semble encore monter, depuis la pandémie même, ça s’est accentué. » 

Selon ses recherches, les tentatives de suicide ont augmenté de deux points de pourcentage entre 2018 et 2020 chez les étudiants de l’USB. À l’échelle du pays, en 2019, plus de 16% des étudiants du postsecondaire auraient sérieusement songé au suicide.

Un retour en présentiel difficile

Clarissa Andrade est coordonnatrice du Service de soutien au bienêtre et à la santé mentale de l’USB. Elle ressent chez certains une anxiété chez les étudiants.

« Il y en a parmi eux qui ont une anxiété sociale. Il y en a qui avaient, par exemple, un diagnostic de dépression, donc ils étaient plus confortables de rester toute la journée dans leur chambre [pendant la pandémie] », précise-t-elle.

« Avant, on m’a dit qu’il y avait un ou deux cas complexes par année. À la session d’automne 2022, on a eu quatre cas. […] Pas des cas de suicide en tant que tel, mais soit des tentatives soit des incidents. » Bien qu’elle ne puisse pas attribuer cette hausse à la pandémie avec certitude, elle voit un lien avec les données de Danielle De Moissac.

Un cas complexe désigne « soit un étudiant très à risque, soit un incident quelconque comme le suicide d’un proche comme un accident d’auto », explique Clarissa Andrade.

Les universités s’adaptent

L’USB a choisi une approche proactive en matière de santé mentale. « Quand l’étudiant arrive en milieu universitaire, on l’invite à remplir un très court sondage pour mieux nous informer sur ses antécédents, ses risques au niveau santé mentale pour qu’on puisse l’aider dès le départ », explique Danielle de Moissac.

Le Centre Collégial de l’Alberta, qui adopte une approche similaire, recueille des informations sur la pertinence de ses services.

« On va faire des sondages auprès de nos futurs étudiants, auprès de nos étudiants admis, et ceux qui sont récemment rentrés pour savoir “est-ce que ce sont les bons services?” », explique Émilie Champagne, directrice de l’établissement.

L’idée est de « prendre le pouls de l’étudiant à savoir est-ce qu’il va bien mentalement. Est-ce qu’il s’épanouit, est-ce qu’il trouve qu’il se fait des amis, est-ce que la socialisation est assez ou pas assez, ajoute-t-elle. Les profs sont en réflexion, à savoir “qu’est-ce que je peux changer dans mon enseignement? Comment je peux aider? »

Les jeunes sont outillés

« Je suis heureuse de dire que depuis la pandémie, on remonte un peu la côte », affirme Danielle De Moissac.

« On n’est pas sortis encore de la pandémie, mais au moins on a retrouvé un peu un style de vie plus habituel. […] Mes étudiants, je le vois dans leur comportement, dans leur présence en salle de classe qu’ils sont heureux d’être [sur campus]. » « Ce qu’on remarque aussi, c’est que les jeunes ont quand même des stratégies de gestion d’anxiété assez intéressantes. Les bonnes habitudes de vie, ils les connaissent », assure Danielle De Moissac : « Ils ont quelqu’un à qui parler, ça aussi c’est important, peut-être plus que depuis la pandémie je dirais. »

  • finissants: Kobe (Pexels)