Très bientôt, une nouvelle entreprise viendra rejoindre le club des gagnants de la Fosse aux lions. Pour rappel, c’est le Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM) qui organise ce concours, qui permet de faire connaître un produit, une idée d’entreprise ou projet d’expansion. Pour y être admissible, il faut pouvoir communiquer en français et faire des affaires au Manitoba. L’entreprise gagnante remporte, entre autres, 15 000 $.

Si au cours de la dernière décennie, la Fosse aux lions s’est affirmée comme un évènement majeur de l’année pour les entreprises francophones, il a fallu des pionniers pour y croire. C’est le cas notamment de Joanne Gobeil, avec son entreprise Fried Green Tomatoes. L’entrepreneuse est la toute première gagnante de la Fosse aux lions en 2011. Sans aucun point de repère et déjà assez occupée par son entreprise, elle s’est laissée convaincre par le discours de certains membres du CDEM de l’époque. « On m’a dit : tu as une histoire à raconter. Et notre histoire, c’était avant tout une histoire familiale. Mes enfants m’aidaient beaucoup quand ils étaient plus jeunes. » Si sa famille la soutient encore, Joanne Gobeil n’a désormais qu’une employée avec elle, Caroline, sur qui elle compte beaucoup.

Joanne Gobeil
Joanne Gobeil, propriétaire de Fried Green Tomatoes. (photo : Marta Guerrero)

L’expérience de la première

Passionnée de cuisine, Joanne Gobeil crée son entreprise en 2010 et se spécialise dans le service de traiteur d’évènements comme des noces ou des rendez-vous d’entreprise par exemple.

Comme Joanne Gobeil, Pierrette Sherwood, de l’entreprise Papillons Créations, se rappelle de son état d’esprit quelques jours avant la Fosse aux lions. La gagnante de la deuxième édition en 2012 explique, de manière très imagée, avoir à l’époque « la broue dans le toupet ». « J’étais très occupée, je venais de quitter la fonction publique et je lançais à peine mon entreprise. On m’a lancé ce concours, mais j’étais embêtée, car je me demandais comment j’allais trouver le temps pour faire les démarches. C’était excitant comme période. Ça m’a donné le vent dans les ailes. Le CDEM a toujours été avant-gardiste et à l’écoute des petites entreprises de la communauté francophone. »

Pierrette Sherwood
Pierrette Sherwood, gagnante en 2012, dans son atelier. (photo : Gracieuseté)

À l’instar des deux premières gagnantes, Julie Germain, de Julie’s Creations, avait une très jeune entreprise en 2015 lorsqu’elle remporte le concours. Celle qui a sa boutique basée à Pinawa voyait dans la Fosse aux lions une bonne opportunité de présenter son entreprise à du monde spécialisé dans les affaires. « Ça m’a permis de bien connaître ce que je voulais faire. Il fallait préparer une projection, un plan d’affaires, regarder aux chiffres. Et finalement tout le monde est gagnant, le simple fait de présenter son entreprise est déjà une bonne chose. »

Julie Germain
Julie Germain a remporté la Fosse aux lions 2015. (photo : Gracieuseté)

Le discours, moment le plus stressant

Il est autant redouté qu’attendu, c’est le passage obligé pour tous les finalistes de la Fosse aux lions. Ce discours de cinq minutes, et pas une seconde de plus, est le moment qui fait la différence. Devant le public et un jury composé d’experts, il faut être convaincant et démontrer toutes les qualités de son entreprise. Les anciens gagnants sont quasiment tous unanimes : c’est l’étape la plus stressante et la plus appréhendée. « Même si j’ai l’expérience de présenter devant un public, que je participe à un band, oui, ça reste vraiment stressant », lance Matthew Sabourin, vainqueur en 2017 avec son entreprise La Brasserie Nonsuch.

À peine une semaine avant le grand jour, Ketty Pichaud et Yvonnick Le Lorec, de l’entreprise Ker Breizh, se sentent eux pas tout à fait prêts. C’est Yvonnick Le Lorec qui sera responsable du discours, et après plusieurs essais, sa présentation dépasse les cinq minutes autorisées. Celui qui aime la compétition se rappelle sentir le stress monter. « Je ne sais pas qui était le plus stressé entre Ketty et moi! Ma présentation durait sept minutes, ça n’allait pas. On avait envie de dire beaucoup de choses, mais il fallait aller à l’essentiel. La notion importante de ce discours était de bien expliquer ce qu’on allait faire avec les 15 000 $. Finalement, je m’entraîne, je présente dès que je peux à mon entourage et j’améliore le rythme et le ton pour trouver le juste milieu. » Cette pratique répétée a finalement payé pour Ker Breizh, qui a remporté l’édition 2019.

Ketty Pichaud et Yvonnick Le Lorec
Ketty Pichaud et Yvonnick Le Lorec de Ker Breizh, les gagnants 2019 ont continué leur trajectoire et ont ouvert leur propre restaurant en 2022. (photo : Marta Guerrero)

En 2021, pour Jennifer Marcheterre, qui présente son entreprise Jeux Sam Amuse, les choses sont bien différentes. En pleine pandémie, la Fosse aux lions se fait par visioconférence. Malgré la situation inédite, c’est peut-être un mal pour un bien pour la graphiste de métier qui aurait été, selon elle, encore plus angoissée dans un évènement en présence.

« Avec la victoire, viennent des entrevues, de l’intérêt, du support de la communauté. C’est comme aller de 0 à 100! »

Matthew Sabourin, vainqueur en 2017

De l’entraide

« J’ai eu plusieurs tempêtes à traverser. En 2020, j’ai failli abandonner mon projet. Ça aurait aussi signifié un abandon de la Fosse aux lions. J’ai décidé de continuer, et je pense que ça m’a donné l’élan nécessaire pour être encore plus prête. » L’univers de Sam Amuse, ses ressources éducatives, intuitives et ludiques en français ont plu au jury.

Jennifer Marcheterre
Jennifer Marcheterre continue le développement de Sam Amuse. (photo : Marta Guerrero)

Jennifer Marcheterre met aussi en avant la collaboration entre anciens gagnants de la Fosse. S’ils se connaissent tous de loin, entre Ker Breizh et Sam Amuse, il y a eu une relation un peu plus forte. Jennifer Marcheterre a notamment pris beaucoup de conseils des propriétaires de la crêperie Ker Breizh.

« J’ai jeté une ligne à l’eau et on verra si ça attrape quelque chose. Je voulais savoir s’ils pouvaient m’aider pour préparer mon speech notamment. Ils m’ont vraiment accueillie à bras ouverts et ont eu un vrai rôle de mentors. »

Pour Ker Breizh, l’entente s’est faite de manière très naturelle. Ils ont d’ailleurs été très fiers quand ils ont vu la victoire finale de Jennifer Marcheterre. « On lui a carrément donné le dossier qu’on avait fait. Elle a pu appliquer grâce à ça. Elle nous avait demandé plusieurs conseils. On était très contents qu’elle gagne », raconte Yvonnick Le Lorec, qui a aussi donné quelques conseils à Laurent Jacques, de l’entreprise de pâté Frères Jacques, l’un des finalistes de l’édition 2023. (1)

Des retombées importantes

« Dans le temps, on me disait qu’aucun gagnant de la Fosse aux lions ne faisait faillite », c’était aussi l’une des raisons qui a donné envie de se lancer à Matthew Sabourin. Si cette phrase peut faire sourire, à date, tous les gagnants continuent la business qu’ils ont présentée.

« Devenir gagnant, c’est pas mal spécial! C’est comme si la Fosse avait des pouvoirs magiques! », imagine le propriétaire de Nonsuch. « Avec la victoire, viennent des entrevues, de l’intérêt, du support de la communauté. C’est comme aller de 0 à 100! »

Matthew Sabourin
Matthew Sabourin, vainqueur en 2017, a de plus en plus de projets pour La Brasserie Nonsuch. (photo : Marta Guerrero)

En effet, pour tous les anciens vainqueurs, (2) ce concours a eu un impact important. Il y a ce prix de 15 000 $ bien sûr, mais aussi toute la publicité et les sollicitations qui s’en viennent avec. « Avant la Fosse aux lions, j’avais encore un travail. Après la victoire, je n’ai plus jamais pu y retourner et je me suis consacrée totalement à mon entreprise. J’ai eu tellement de contacts. Encore aujourd’hui, certains me parlent de ce concours alors que ça fait huit ans que c’est passé », remarque Julie Germain.

Installée à Sainte-Anne où elle expose ses œuvres et ses créations, Pierrette Sherwood se souvient de l’impact immédiat de sa victoire. « J’ai eu plusieurs demandes sur-mesure que je ne pouvais pas deviner. J’ai eu beaucoup de visites, une belle couverture de presse jusqu’à l’échelle nationale, c’était un beau bouquet! »

« Ça vaut la peine d’y participer. »

Jennifer Marcheterre est une grande supportrice de la Fosse aux lions qu’elle suit chaque année. Elle explique aussi que le CDEM aide beaucoup les finalistes et reste présent si besoin après les évènements. Pour elle, cette victoire a eu des impacts importants. « Ça m’a apporté une visibilité que je n’imaginais pas. La communauté est venue vers moi pour des projets et des partenariats. J’ai notamment eu des collaborations avec l’Alliance française et la Maison Gabrielle-Roy. J’ai eu mon premier projet de jeux interactifs pour l’agence de communication bilingue PopComm. Ça a développé tout un volet de Sam Amuse qui n’était pas prévu. »

Pour Joanne Gobeil, toute première gagnante de la Fosse aux lions, les impacts durent sur le long terme. Au-delà de l’aide financière, elle met en avant la solidarité de la communauté francophone. « Le monde m’a téléphoné, m’a supportée. La communauté m’a ouvert les bras et m’a embauchée pour plusieurs évènements. Je ne serai pas là où je suis aujourd’hui sans la Fosse aux lions. En tout cas, je n’y serai pas arrivée aussi vite. C’est une belle opportunité, il ne faut pas hésiter, ça vaut la peine d’y participer. »

(1) Les autres entreprises finalistes de l’édition 2023 sont : J’em Nature, Navi Pickups et Voyageur Houseboats.

(2) Andréanne Dandeneau, gagnante en 2013 avec Voilà par Andréanne, Daniel et Micheline Malo, gagnants en 2016 avec Rat River Sales & Service, Dominique Noël, gagnante en 2018 avec La Cabane Guest House et Sarah- Michelle Senécal, gagnante en 2022 avec Stable Connections, n’ont pas pu répondre à nos demandes d’entretien.