Des ballons de baudruches rouges ont envahi le studio de la Maison des artistes visuels francophones du Manitoba (MDA). Retenus au sol par de petites sculptures en céramique, ils donnent des allures de cirque à l’exposition. Un arlequin sans corps est suspendu au centre de la pièce comme pour accueillir les visiteurs, leur souhaiter la bienvenue pour le SPECTACLE.

Huit tableaux, huit sculptures, qu’on ne pourrait attribuer à personne d’autre que Charlotte Sigurdson tant les influences et les inspirations sont évidentes. Mi-renaissance italienne, mi-Carnaval de Venise, avec une pointe d’obscur, c’est un univers très particulier que propose l’artiste winnipégoise. Très coloré, un peu effrayant, mais surtout symbolique.

« L’exposition est à propos des changements dans notre façon de nous comporter en ligne. Avant, lorsque l’on postait du contenu sur les réseaux sociaux, on le faisait pour nos proches. Aujourd’hui j’ai le sentiment que chaque publication est une tentative de devenir célèbre. »

« Centre de l’attention »

Cette impression que le monde se donne en spectacle, c’est ce qui a inspiré cette collection à la jeune femme. Car si les personnages de ses tableaux et de ses sculptures, qui sont en fait des poupées, arborent tous de jolis habits d’arlequin, pas de sourires, seulement des airs blasés. « On essaie d’être le centre de l’attention, mais sans vraiment être nous-même, les réseaux nous ont enlevé quelque chose et chaque publication c’est un petit morceau de nous qui disparaît. »

C’est donc un rapport particulier que l’artiste entretient avec les réseaux sociaux. Un rapport conflictuel, mais un rapport quand même. « L’ironie c’est que j’ai besoin de ces réseaux. C’est comme ça que je vends la majeure partie de mon art alors j’ai besoin de publier, de m’exposer. »

Avec ses poupées et sa peinture, Charlotte Sigurdson a donc souhaité souligner le rapport pervers entre les personnes et leur vie en ligne « étrange et malhonnête. »

Si elle est passée par les arts pour partager sa vision, Charlotte Sigurdson n’avait pourtant pas vraiment vocation à devenir artiste même si elle « a toujours eu un intérêt » pour la discipline.

Transition naturelle

Après des études en histoire puis en droit, celle qui est née à Toronto finit par ouvrir un commerce dans lequel elle fabrique des poupées de céramique sur commande. « La transition vers l’art s’est faite naturellement. Avec le temps, mes poupées devenaient de plus en plus sombres, forcément les parents n’en voulaient plus pour leurs enfants. De jouets, elles sont devenues des œuvres d’art. »

En revanche, pour ce qui est de la peinture, Charlotte Sigurdson a appris toute seule. Elle ne peint que depuis l’été dernier et au vu des tableaux exposés, c’est assez difficile à croire.

La transition est d’ailleurs assez récente, cette exposition au studio de la MDA est seulement la deuxième pour la créatrice, qui déborde d’idées, mais manque seulement de temps pour leur donner corps. « Je suis impatiente de nature, mais surtout je suis maman, alors dès que j’ai le temps je veux avancer sur mes idées!

« Cela me fait faire des erreurs parfois parce que je n’ai pas le temps de planifier, mais j’ai toujours une idée en tête et je suis toujours prête à commencer un nouveau projet. » Alors la mère de famille met au profit de son art tous les moments libres dont elle dispose.

De son sac, elle sort une casquette noire sur laquelle on distingue une broderie pas encore tout à fait terminée. « Je travaillais dessus en attendant notre entretien. Je fais tout à la main, les poupées et leurs vêtements. C’est difficile de dire combien de temps cela me prend, mais je ne compte pas vraiment. » Une chose est certaine en tout cas, le temps passé à travailler sur son art, et bien c’est du temps passé en moins sur son téléphone.

(1) L’exposition qui a débuté le 13 avril se terminera le samedi 29.