Inès Lombardo

Le rapport du Commissariat aux langues officielles (CLO) 2022-2023, publié mardi, recense 1 788 plaintes au total. Une baisse drastique comparativement à l’année précédente qui en comptait 5 409.

La raison : le discours unilingue anglais au Québec du PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, qui avait déclenché la fureur des francophones du pays.

Cette année, le Commissariat préfère mettre l’accent sur la hausse des plaintes dans le domaine des services au public, qui ne remplissent toujours pas leurs obligations linguistiques. En tout, le rapport en recense 810, dont 497 concernant les services aux voyageurs.

Les cinq endroits avec le plus de plaintes en 2022-2023

Région d’Ottawa : 893 plaintes
Le Québec : 306 plaintes
L’Ontario : 165 plaintes
Région de Québec : 109 plaintes
Nouveau-Brunswick : 78 plaintes

Cette hausse vise d’autant plus Air Canada, qui fait l’objet de 276 plaintes. Un « sommet sur 10 ans », dans le domaine du voyage et pour la compagnie aérienne, sans compter la polémique de l’an dernier, affirme le CLO.

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(Photo : Capture d’écran Rapport annuel du CLO 2022-2023)

Les autres institutions qui fournissent des services aux voyageurs (Via Rail, les administrations aéroportuaires, l’Agence des services frontaliers du Canada et l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien) ne dépassent pas les 77 plaintes chacun.

Problèmes non résolus depuis 10 ans

Selon le CLO, les causes principales de cette hausse de plaintes dans le domaine des services au public sont attribuables aux problèmes non résolus depuis 2012-2013 ; ces « enjeux répétitifs et systémiques » dans les aéroports du pays.

Les institutions fédérales ne proposent pas une offre active dans les deux langues aux voyageurs. Par exemple, plusieurs échouent à communiquer en anglais et en français sur les affiches d’indications aux voyageurs dans les aéroports.

À cela s’ajoute un manque d’affichage bilingue et de personnel formé dans les deux langues officielles. C’est le manque de communication verbale qui compte pour le plus de plaintes, soit 36 cette année.

Le manque de maitrise des institutions dans le domaine de la technologie défavorise également les deux langues officielles, que ce soit le système de réservation en ligne ou l’application d’Air Canada.

« On croyait il y a 10 ans que le recours aux technologies numériques permettrait aux institutions fédérales de combler certaines lacunes en matière des langues officielles. […] Force est d’admettre que cette vision ne s’est pas encore pleinement réalisée », constate le commissaire Raymond Théberge dans son rapport.

Le CLO recommande ainsi au Conseil du Trésor et au ministère des Transports de présenter des « outils et lignes directrices » sur les obligations linguistiques des administrations aéroportuaires et de les présenter à ces dernières avant la fin mars 2024.

Le ministre des Transports aura en outre deux ans pour exiger de ces administrations un plan sur leurs obligations envers le public.

Du travail sur la planche du Conseil du Trésor

Après les communications et les services au public, les exigences linguistiques liées aux postes sont à la traine en matière de langues officielles, puisqu’elles comptent pour 714 des 1788 plaintes, « un nombre trois fois plus élevé que celui enregistré l’an passé (204) », note le document.

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(Photo : Capture d’écran Rapport annuel du CLO 2022-2023)

Ces 714 plaintes visent le « manquement sérieux » des institutions à établir un profil linguistique de certains postes «de manière objective », note le CLO.

« Une institution prend le risque, ultimement, d’affaiblir sa capacité à mettre en place un milieu de travail bilingue et à offrir des services en français et en anglais de qualité au public », peut-on lire.

C’est pourquoi le Commissariat écorche légèrement le Conseil du Trésor, qui lui a présenté une stratégie en décembre 2022 pour répondre à cette problématique : « J’aurais nettement préféré que cette date marque la fin de la mise en œuvre du plan “article 91” par cet organisme central plutôt que le début. Je demande au Secrétariat d’accélérer la cadence », écrit le Commissaire. Une stratégie « dès les prochains mois » est attendue.

Dans sa troisième recommandation, le Commissariat propose un « plan triennal » au Conseil du trésor pour corriger le tir d’ici à juin 2025.

La langue de travail dans le sens de la modernisation de la Loi

La langue de travail, soit le droit des employés des institutions fédérales de travailler dans la langue officielle de leur choix, collige 207 plaintes.

C’est pourquoi le commissaire recommande à la présidente du Conseil du Trésor, à la ministre des Langues officielles et à la greffière du Conseil privé de mettre sur pied un plan d’action pour faire de la place aux langues officielles dans la fonction publique sous deux ans.

Il demande aussi qu’au lieu de sonder les institutions fédérales sur la possibilité de rédiger des documents dans la langue de leur choix, le Secrétariat du Conseil du Trésor sonde les employés.

Selon Raymond Théberge, « c’est l’un des principaux indices qui permettent de savoir si les mesures que prennent les institutions fédérales sont efficaces et permettent le respect des droits linguistiques des employés ».

Le CLO s’est d’ailleurs réjoui d’un amendement adopté par le Comité permanent des langues officielles des Communes qui permet aux employés le droit d’être supervisés dans la langue officielle de leur choix dans les régions désignées bilingues.

En attendant la nouvelle loi

Alors que le projet de loi C-13 sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles est actuellement en seconde lecture au Sénat, l’année 2022-2023 a enregistré le plus de plaintes dans les services au public et les exigences linguistiques.

Pour Raymond Théberge, cela traduit le fait que « les Canadiens ont très bien assimilé les langues officielles comme étant une valeur fondamentale canadienne », a déclaré le commissaire en conférence de presse mardi.

« Les manquements qu’on constate cette année démontrent que nos institutions n’ont pas encore assimilé au sein de leurs organisations l’importance des langues officielles et [le fait] qu’on doit résoudre des problèmes systémiques. Je souhaite qu’avec C-13, on puisse adresser certains de ces problèmes systémiques. »