Un peu plus d’une trentaine de personnes s’étaient donné rendez-vous sur le stationnement du Centre culturel franco-manitobain le vendredi 26 mai. Des membres du Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), des membres de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), mais aussi de simples curieux.

Réunis autour de beignes colorés et de café chaud, l’heure matinale et le vent frissonnant qui l’accompagne n’atténueront pas l’excitation générale. Les dernières personnes arrivent, tout le monde s’installe dans l’autobus. « On part en voyage! » Direction Saint-Lazare et l’inauguration du chemin d’interprétation du Fort Ellice.

Pour passer le temps pendant les quelque quatre heures de route, « on a pensé à tout! » : des jeux, des boissons, de la nourriture. Et si tout cela était bienvenu, finalement, les conversations sont restées ininterrompues tout au long du périple.

Se rencontrer

La troupe de passagers, complètement hétéroclite, a donc fait le trajet dans une véritable ambiance de sortie scolaire. Les longues lignes droites qui constituent les autoroutes manitobaines auraient pu paraître interminables, mais pour la petite troupe, elles ont été l’occasion de se retrouver pour certains, de se rencontrer pour d’autres.

Erwan Bouchaud, directeur du développement économique, communautaire et touristique au CDEM, profite de ces longues heures de route pour revenir sur les tenants et les aboutissants du projet.

Aux côtés de la Municipalité d’Ellice-Archie, de la Corporation de développement communautaire (CDC) P’tite Fourche et de Nature Conservancy Canada (NCC), propriétaire du terrain, le CDEM a joué un rôle de soutien important dans la réalisation de ce projet de chemin interprétatif, qui était dans les tiroirs depuis bien longtemps maintenant.

2001

« La communauté de Saint-Lazare parlait déjà du Fort Ellice en 2001 dans les plans vision », raconte Erwan Bouchaud, qui travaille sur le projet du Fort Ellice depuis 2018.

Si le CDEM estime que le projet représente une belle opportunité de développement économique et touristique, « pour les résidents, c’est plus qu’un projet de développement économique, c’est un projet identitaire ». D’ailleurs, la nature du projet a justement été définie dans le respect de cette dimension, « après quatre ans de consultations publiques ».

Mireille Lamontagne
Mireille Lamontagne, archéologue et muséologue, a profité du trajet pour rappeler l’histoire du fort. (photo : Gracieuseté CDEM)

Pour comprendre l’importance du Fort Ellice pour les résidents de Saint-Lazare et alentours, il faut se pencher du côté de l’histoire du fort, et pour ça, Mireille Lamontagne, archéologue et muséologue, s’est jointe non seulement à l’expédition, mais aussi à la réalisation du projet.

« Pour les résidents, c’est plus qu’un projet de développement économique, c’est un projet identitaire. »

Erwan Bouchaud

Importance historique

Alors que les kilomètres séparant le bus de sa destination ne cessent de décroitre, Mireille Lamontagne prend la parole et revient en détail sur l’importance historique du site.

Idéalement situé au confluent des rivières Qu’Appelle et Assiniboine, les eaux n’étaient pas les seules à se rencontrer ici. À cet endroit du Manitoba se chevauchent les terres des Métis de la rivière Rouge, mais aussi des Premières Nations Nakoda, Anishinaabe, Nêhiyawak et bien d’autres encore. « C’était un endroit où l’on parlait huit langues différentes, explique l’archéologue. C’était un lieu de rassemblement traditionnel des Premières Nations et des Métis pour le commerce et la chasse du bison situé en hauteur, pour éviter les inondations et pour voir venir d’éventuels agresseurs. »

C’est donc sans grande surprise que la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) choisira cet emplacement pour s’établir et créer le poste de traite Fort Ellice en 1831, « le deuxième plus grand fort, derrière le Fort Garry ».

Alors qu’au fil du temps, le fort a fini par disparaître complètement, l’importance historique du site et l’attachement des locaux à ce dernier demeurent inchangés. Ce vendredi 26 mai, à Saint-Lazare, le grand panneau électrique devant le centre de loisirs du Fort Ellice affiche « Bienvenue aux visiteurs ». Plus d’une quarantaine de personnes s’y sont réunies pour prendre le repas, avant de se rendre à l’inauguration. L’ambiance, ça ne fait aucun doute, est à la fête. Pour Richard Fiola, président de CDC P’tite fourche : « On a l’impression de sabrer le champagne! »

FORT ELLICE
Le plateau était une position stratégique pour le fort. (photo : Gracieuseté CDEM)

Un endroit plein de souvenirs

Après une dizaine de minutes sur une route de terre sinueuse, le chauffeur s’engage sur une pente abrupte avant de finalement atteindre le plateau venteux du Fort Ellice.

140 kilomètres carrés, presque parfaitement plats, encerclés d’une forêt dense et qui offrent une vue exceptionnelle sur la vallée.

Sur le stationnement, deux autobus scolaires et de nombreuses voitures. Ce sont près de 250 personnes qui sont venues assister à l’inauguration du chemin interprétatif. Et c’est déjà beau en soi. Car le terrain est longtemps resté inaccessible au public, jusqu’en 2019 précisément, lorsqu’un accord est trouvé entre NCC, qui a racheté le terrain en 2012, et la Municipalité rurale d’Ellice-Archie. 

Cela explique en partie la joie qui régnait sur le site ce jour-là. Ann Stubodden-Boyer, originaire de la région, en témoigne. « Nous avons énormément de souvenirs ici. Des pique-niques en famille, mais aussi des souvenirs d’enfance et de jeux… De très bons souvenirs. » 

Fort Ellice
Des panneaux d’interprétation ont été disséminés tout au long du sentier pédestre. (photo : Gracieuseté CDEM)

Histoire

Le sentier pédestre est ponctué d’une dizaine de panneaux informatifs rattachés à des sculptures discrètes en fer forgé qui se fondent dans le décor. Sur l’un des panneaux, le nom Boyer est mentionné. 

On y apprend que les Boyer font partie des nombreuses familles métisses qui se sont vues dépossédées de leurs terres pendant la Scrip métisse. Les terres qui étaient les leurs se trouvent justement non loin de ce plateau. Pour la famille, il était important que leur histoire apparaisse sur ce chemin. Erwan Bouchaud en est bien conscient. « Ce site comporte aussi une notion de guérison. » 

Le chef de la Première Nation Waywayseecappo, Murray Clearsky, était lui aussi présent à Fort Ellice. Il rappelle l’importance de cet endroit dans l’histoire autochtone. « Ce sont des terres sur lesquelles nous avons grandi, mais ce sont aussi des terres sur lesquelles nos ancêtres ont signé des traités. » En effet, c’est au Fort Ellice que les nations anishinaabe locales ont signé une adhésion au Traité numéro 4 en 1874. 

Une belle victoire 

Quelque part, ce sentier pédestre, c’est un voyage à travers le temps et l’histoire du Fort Ellice, dont il ne reste plus rien aujourd’hui, mais à propos duquel on continue d’apprendre, notamment grâce au travail de passionnés comme Mireille Lamontagne, qui entretient une relation personnelle avec Saint-Lazare et le fort.

FORT ELLICE
Des monuments pour les Premières Nations et Métis ont été installés sur le site. (photo : Gracieuseté CDEM)

« L’idée n’était pas que le projet devienne un projet de type page Wikipédia. Nous avons fait de la recherche originale pour ce chemin interprétatif. » Au fil de ces recherches, l’histoire de la création d’une chaussée par les femmes Dakota a notamment été découverte. 

Aujourd’hui, le site n’est pas protégé au niveau gouvernemental. Mais pour l’archéologue, il mériterait de l’être, et pas seulement pour sa valeur historique. « Ce plateau représente les dix derniers pourcents de prairies sauvages naturelles au Manitoba, explique Mireille Lamontagne. Il y a sept différentes espèces d’ours qui vivent sur ces hectares, dont une espèce d’ours blanc! Ceci devrait être un site historique national protégé. Le simple fait qu’une compagnie privée puisse acheter ce terrain est un problème. »  

Mais bon, d’avoir retrouvé l’accès au terrain est déjà une belle victoire en soi. Après la cérémonie d’inauguration, les personnes présentes ont pu profiter du sentier pour s’y promener. Les enfants, eux, comme dans les souvenirs des Boyer, ont pu jouer dans l’herbe et grimper aux arbres.