De mémoire, Bernard Mulaire ne connaît pas un autre auteur qui aurait eu la même trajectoire que Rossel Vien. S’anonymiser, se faire oublier, fuir, pour faire finalement vivre ses œuvres, a été un choix qui lui appartenait.

« Pour Rossel, ça lui a permis d’exister. Il y a une affirmation de soi. Rossel s’est rendu public, mais par la ruse de l’anonymat. Il n’aurait pas pu le faire en s’assumant sous son propre nom. C’est assez paradoxal, on va choisir de se cacher pour se rendre public. Sinon, il n’aurait pas pu créer l’œuvre qu’on est en train de découvrir ou redécouvrir, et que l’on trouve extraordinaire. Il a trouvé la formule pour exister. »

Bernard Mulaire, membre du conseil d’administration des Archives gaies du Québec, pense par ailleurs que Rossel Vien aurait pu « se tailler une place importante au Québec » s’il avait publié sous son vrai nom.

De manière générale, Bernard Mulaire rappelle le contexte très délicat de la société avant la dépénalisation des relations homosexuelles en 1969. « Les choses bougeaient beaucoup au Québec avant l’arrivée de cette loi. On commençait par exemple à souhaiter que Rossel Vien publie sous son nom, mais il ne l’a pas fait. Mais surtout, pas juste pour les auteurs ou les artistes, ça a été dur pour tous les homosexuels. »

Transformation de la société

Bernard Mulaire donne aussi l’exemple du dramaturge et romancier québécois Michel Tremblay. Dans les années 1960, il publie déjà plusieurs textes qui ont pour thème l’homosexualité, comme la nouvelle Angus ou la lune vampire dans le recueil Contes pour buveurs attardés publié en 1966.

« Michel Tremblay est plus jeune que Rossel Vien et arrive bien après. Il est de son époque, une époque où l’on commence à s’assumer. Alors que Rossel est resté ancré dans ses interdits de jeunesse. »

Si les interdits étaient levés après 1969, les mentalités ont pris du temps à changer. Et les auteurs ont participé à cette transformation. « Ça a été une grande libération. Ça a enlevé un poids et ce besoin d’être clandestin. Socialement, c’était de plus en plus possible de vivre sa vie.

« Mais, les mentalités n’avaient pas nécessairement changé. Il y avait encore un besoin de rester caché. Il n’y a pas eu non plus d’ouverture très rapide dans les familles. Les familles vivaient selon les normes de l’époque, il y avait aussi la religion qui intervenait. C’est un autre poids qui n’a pas été levé totalement. Dans les cercles très religieux, c’était encore très tabou. »

Ouverture et représentation

Bernard Mulaire se souvient d’une anecdote plus personnelle, au moment où il cherchait à s’annoncer et quasiment à la même période que la décriminalisation à la fin des années 1960.

« J’étais au Collège universitaire de Saint-Boniface. C’était peut-être une Semaine de la prévention criminelle ou quelque chose comme ça. Une femme policière est arrivée en classe, elle parlait de son travail et des crimes dans la société. Puis elle a dit : Moi, je peux identifier un homo n’importe quand. Ça, ce n’était pas une ouverture. J’étais assis et j’avais envie de me cacher sous mon pupitre. On était encore dans cette mentalité-là. »

C’est aussi pour témoigner de l’évolution de ces mentalités que les Archives gaies du Québec ont été créées en 1983. Les écrits restent et donnent un aperçu de cette histoire tumultueuse.

« Aujourd’hui, de nouveaux défis s’offrent à nous. Les Archives gaies ont été fondées par des homosexuels. Il y avait des homosexuels et des lesbiennes. Maintenant, il y a le non-binaire, le non genré, la transidentité qui amènent d’autres considérations spécifiques. C’est important d’inclure toutes ces nouvelles identités. Chacun veut se dire, c’est un défi intergénérationnel. »

(1) L’Encyclopédie canadienne décrit la Révolution tranquille comme une période de changements rapides vécus par le Québec dans les années 1960. Sous le gouvernement de Jean Lesage, le Parti libéral du Québec élabore un programme résolument réformiste. Pour les artistes, ce mouvement a aussi été important. Un ministère des Affaires culturelles est créé en 1961. Des subventions sont distribuées pour appuyer les artistes dans leurs créations.