Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté
Les drôles de chaises qui décoraient le deuxième étage de la bibliothèque du Millénaire de Winnipeg s’en sont allées le 13 mai. Dans le cadre de l’exposition Vieillir au temps de la COVID, elles iront se poser de province en province, en passant par la Saskatchewan, l’Ontario, jusqu’au Québec.
Une multitude de mémentos et de messages ornent les chaises colorées, qui n’ont pas toujours été vides. Dans cette exposition, chaque chaise est une histoire qu’il est possible d’ailleurs d’écouter, en langue anglaise ou française, grâce à des balados.
L’exposition est une idée de Megan Davies, qui porte aussi la casquette d’historienne. Elle s’est elle-même occupée de récolter les témoignages et s’est donné la mission de faire entendre les histoires des personnes ayant traversé la pandémie en foyer de soins de longue durée, ou celles de ceux et celles qui y ont perdu la vie.
Histoires puissantes
« Quand le nombre de morts a commencé à augmenter, j’étais bouleversée. Mais pas surprise, confie Megan Davies, commissaire de l’exposition. Je savais que nos institutions pour aîné(e)s n’étaient pas prêtes, qu’elles n’étaient pas assez bien subventionnées et qu’elles n’auraient pas la priorité.
« Hors de moi, je me suis demandé ce que je pouvais faire pour changer les choses, et je crois fermement que les histoires sont très puissantes. » C’est ainsi qu’est née cette exposition, que sa créatrice a souhaité bilingue.
Le jour de l’inauguration, le 2 mai, deux acteurs francophones de Winnipeg étaient présents. Pour Julie Turenne-Maynard, directrice générale de la Manitoba Association of Residential & Community Care Homes for the Elderly (MARCHE), Vieillir au temps de la COVID permet de mettre le doigt sur les effets « désastreux » de la COVID sur les foyers de soins de longue durée « aux niveaux opérationnel, infrastructurel, mais aussi au niveau des ressources humaines ».
Recrutement difficile
Ce dernier constat est une problématique que relève aussi Annick Boulet, intervenante en soins spirituels pour l’organisme Actionmarguerite : « Je sais que le recrutement est difficile. En soins spirituels, nous sommes censés être quatre personnes et après un an de recherche, nous venons tout juste d’accueillir une deuxième personne. »
Des difficultés de recrutement accentuées davantage par la nécessité d’embaucher du personnel bilingue. L’intervenante souligne l’importance des expositions comme celle de Megan Davies. « C’est important pour faire entendre nos revendications, pour porter l’attention sur le sujet. Mais c’est avant tout un hommage à ceux et celles qui ont traversé cette épreuve. »
Par ailleurs, Actionmarguerite a pris part à l’objectif premier de l’exposition : récolter des témoignages. Le 10 mai, l’une des chaises avait élu domicile dans le foyer d’Actionmarguerite Saint-Vital, et les gens étaient invités à venir partager leurs histoires anonymement s’ils ou elles le voulaient.
« Le projet au départ était quasiment unilingue, nous souhaitions vraiment lui apporter un élément francophone. La dizaine de témoignages en français récoltés ont ensuite été remis à Megan Davies. »
Enrichir le projet
Annick Boulet a par ailleurs confié qu’Actionmarguerite envisageait peut-être de poursuivre de son côté la récolte de témoignage auprès de ses résidents, afin d’enrichir davantage le projet Vieillir au temps de la COVID.
Cette implication de la part des institutions, c’est quelque chose que l’historienne aimerait voir se répéter dans d’autres villes. Megan Davies souligne : « Ce n’est pas mon projet, c’est celui de la communauté. »
Si la contribution de la communauté est si importante, c’est parce que Vieillir au temps de la COVID n’a pas seulement une dimension artistique. L’exposition se fait aussi le porte-étendard d’un devoir de mémoire envers les évènements survenus pendant la pandémie.
C’est pourquoi « tous les témoignages récoltés pendant la tournée seront stockés au sein des archives Passe-Mémoire à Montréal ». Une solution alternative qu’a dû trouver Megan Davies, qui assure que les archives publiques du Canada ne récoltent pas les récits en rapport avec la période COVID.
Interrogé à ce sujet, Bibliothèques et Archives Canada (BAC) a déclaré : « BAC n’a pas de politique interdisant l’acquisition de témoignages personnels; la décision porterait sur l’importance nationale des témoignages en question, ou de l’événement qui a mené vers ces témoignages. »
Justice sociale
La Liberté a finalement été renvoyée vers un document intitulé Orientation en matière d’acquisition d’archives privées 2019-2024. Dans le document, les grands secteurs d’acquisition d’archives privées sont listés. On en compte 25 en tout, entre autres l’audiovisuel (films, émissions de télévision, documentaires, etc.), l’Arctique (recherche scientifique, flore, faune, etc.) ou encore Justice sociale et Médecine et santé.
Difficile de savoir si les témoignages récoltés par Megan Davies correspondent aux directives données en description de ces deux derniers secteurs. Pour Médecine et santé, il est indiqué : « Les archivistes accorderont la priorité aux femmes qui assument des fonctions autres que celles d’infirmière, aux fabricants de produits médicaux, chirurgicaux et pharmaceutiques, à l’enseignement et à la recherche, ainsi qu’à la médecine vétérinaire. » Ici, aucune mention de la COVID-19.
Pour ce qui est du domaine de la justice sociale, la première ligne mentionne que les archivistes « accorderont la priorité aux nouvelles causes en ce domaine, dont la santé ». Là encore, la COVID-19 n’est pas mentionnée.
Pour Megan Davies, assurer la longévité de ces témoignages c’est un peu mission accomplie : « Raconter ces histoires, s’assurer qu’elles ne soient pas oubliées, c’est en faire un moteur de changement. »