Né en 1938 à une époque où il ne fait pas bon d’être métis, Paul Desrosiers, grâce à sa force de caractère et au mouvement d’ouverture de l’Histoire, a accompli tout au long de sa vie un parcours métis emblématique. Le natif de Saint-Malo a été emporté par un cancer le 27 juin. 

Quatorzième des 17 enfants d’Ernestine Bourgeois et d’Émilien Desrosiers, Paul Desrosiers vient au monde le 6 janvier, jour de l’Épiphanie, à la Rivière-aux-Rats, une région depuis longtemps prisée par les Autochtones pour passer plus confortablement les hivers.

Dès un jeune âge, il est attiré par la pêche et la chasse. « À huit ans, quand je revenais avec des lièvres pris au collet, ma mère me disait : Toi, tu es un vrai métis! Elle me parlait de Riel, d’Elzéar Goulet. Elle ne disait pas les Anglais, mais les orangistes. Mon père la faisait taire : Sa mère, ferme-toi donc. »

Toutefois le couple s’accordait sur l’importance des capacités intellectuelles de leur fils. « Au Concours annuel de l’Association d’Éducation, j’avais eu 100 % au grade 4 et 96 % au grade 6. Alors mes parents ont eu la visite du père Martial Caron pour que j’aille au Collège de Saint-Boniface. À 11 ans, je me suis retrouvé pensionnaire. J’en ai beaucoup voulu à mes parents. Il faut dire que pour eux, la possibilité d’avoir un prêtre dans la famille, c’était quasiment le paradis assuré. »

Un état d’esprit

Mais il quitte le Collège des jésuites à la fin de la rhétorique (deuxième année du cours universitaire), en 1956. Avec un bagage suffisant pour lui permettre d’obtenir en juillet 1957 un certificat d’enseignement. C’est à l’École normale de Winnipeg qu’il fait la connaissance de Shirley Demarcke. Trois enfants naissent de leur union, scellée en 1960 : Ronald, Richard et Deanna. Shirley décède soudainement d’une crise cardiaque le 27 avril, alors qu’il sait déjà que sa lutte contre le cancer est vaine.

La grande consolation pour Paul Desrosiers est l’esprit de famille que le couple a réussi à créer. Peu avant son décès, il a fait remarquer : « J’ai eu une vie presque idéale. Avec Shirley, nous avons élevé une bonne famille. Maintenant nos enfants me remettent ce qu’on leur a donné. On leur a donné ce que ma mère a ancré en nous. Elle disait : Quand tu donnes quelque chose, ça va te faire plus chaud au cœur si tu n’attends rien en retour. Tous mes frères et sœurs ont voulu transmettre cette vérité. »

C’est cet état d’esprit que Paul Desrosiers a aussi mis en pratique durant ses 33 ans d’enseignement, dont sa première à la petite école de Saint-Pierre-Sud. Dans le Nord il enseigne quelques années à Waboden. Puis à Saint-Adolphe. En 1968, il obtient un Bac en Éducation afin de s’assurer une meilleure paye. En 1975 il se joint à l’équipe d’enseignants de (l’ancienne) école Lavallée à Saint-Vital (maternelle à 9) où il travaille surtout avec des élèves de 8e et 9e jusqu’à sa retraite en 1997.

C’est à Lavallée que Paul Desrosiers entame véritablement son parcours d’affirmation. « Il m’a fallu le Festival du Voyageur et l’envie d’impliquer l’école Lavallé dans les défilés de chars allégoriques pour vraiment devenir un fier Métis. Les élèves étaient aussi incités à décorer leurs salles de classe comme un fort, mettons le fort Ellice. Les élèves connaissaient tous les forts. Ça aide à comprendre son histoire. »

Engagement à l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba

Après l’enseignement, alors qu’il a déjà donné des coups de mains au Pavillon métis à Folklorama, le retraité décide de s’engager au sein de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, à un temps où la Manitoba Metis Federation (MMF) de David Chartrand veut s’approprier le monopole politique sur le monde métis en général et les cérémonies du 16 novembre sur la tombe à Riel en particulier. 

Gabriel Dufault est le choix de Paul Desrosiers pour succéder en octobre 2002 à Guy Savoie à la présidence de la plus ancienne organisation métisse, fondée en 1887. Dès avril 2003, pour ne pas laisser le champ complètement libre à la MMF, avec David Dandeneau, il cofonde le Conseil Elzéar-Goulet pour assurer une voix francophone à la MMF. (1)

Durant toute la présidence de Gabriel Dufault, qui se termine en 2013 après les fêtes du 125en 2012, il agit en qualité d’adjudant, en charge de l’organisation de toutes les activités de l’Union. À cette fin, il bénéficie d’un appui sans faille de la grande famille des Desrosiers.

L’enthousiasme né de la réussite des célébrations du 125e le convainc de s’allier avec Guy Savoie pour tenter de faire réapparaître la cloche de Batoche. Dans les milieux métis, c’est un secret de polichinelle que le trophée rapporté par des miliciens suite à la Résistance du Nord-Ouest en 1885, puis exposé à Millbrook en Ontario, avait été subtilisé en 1991 par Billyjo DeLaRonde.

Cloche de Batoche

Paul Desrosiers, qui le connait, peut lui tenir un jour de l’été 2012 le langage suivant :  Billyjo, si tu veux de l’argent pour cette cloche, tu es un voleur. Mais si tu la rends au peuple métis sans rétribution, tu es un héros. Le détenteur de la cloche se montre sensible à l’argument. Il accepte que l’Union nationale en soit la gardienne. Aux célébrations Back to Batoche, le 20 juillet 2013, la cloche est dévoilée à la foule. L’émotion est à son comble.

Mais en avril 2014, un documentaire de la CBC intitulé The Mystery of the Bell soutient que la cloche est celle de Frog Lake. En mars 2015 les productions Wookey Films présentent La légende de la cloche, qui va dans le même sens. (2) Cependant Paul Desrosiers, tout comme Guy Savoie, resteront toujours convaincus qu’il s’agit bel et bien de la cloche de Batoche.

L’engagement social de Paul Desrosiers est formellement reconnu en 2019 par l’attribution d’un Prix Riel, dans la catégorie Patrimoine. Paulette Duguay, la présidente de l’Union, cerne le récipiendaire en quelques mots bien choisis : « Paul est un formateur, un rassembleur, un raconteur. Il est aussi un parfait ambassadeur des deux communautés, autochtone et canadienne-française. »

Bien des gens garderont le souvenir d’un homme toujours généreux des produits de sa pêche, de sa chasse et de son grand jardin. « C’est au Bon Dieu la Nature et c’est mon Bon Dieu la Nature. J’ai encore revu il y a quelques semaines le 40 acres de Pa, dans la Montagne près de Saint-Malo, un coin rempli de bons souvenirs. Cette année, je ne serai plus là pour le pique-nique des Desrosiers, que la famille organise tous les ans à la mémoire de Pa, décédé à 101 ans en 1995. Mais je sais que l’esprit sera comme toujours à la générosité, parce que c’est comme ça que notre mère nous a élevés. »

(1) Les autres personnes étaient : Claudette Ek, Diane Gosselin, Roger Courchaine, Gérard Leclair, Guy Desrosiers, Andrew Carrier et Jules Chartrand.

(2) Voir La Liberté du 16 au 22 avril 2014 et La Liberté du 25 au 31 mars 2015.