En 1951, après pas loin d’une centaine d’années passées à endurer des politiques fédérales agressives, comme la politique des pensionnats, la grande majorité des communautés autochtones vont mal. Dans les réserves en particulier, le niveau de pauvreté est extrême et le taux de mortalité élevé.

C’est dans ce contexte social hostile qu’une modification est apportée à la Loi sur les Indiens. Dorénavant, la charge de s’occuper du bien-être des enfants autochtones incombera aux Provinces.

Ainsi les organismes provinciaux responsables de la protection de l’enfance se voient confier une nouvelle mission de taille. Toutefois sans recevoir les moyens financiers de la mener à bien. Conséquence pour ces organismes: la situation des enfants autochtones devient un casse-tête. Plutôt que d’apporter du soutien et des ressources, les gouvernements provinciaux vont régler le problème autrement.

Comment? En se passant du consentement des familles. La décision est prise d’enlever les enfants à leurs familles et communautés en les envoyant vivre parfois à l’autre bout du monde, jusqu’en Nouvelle- Zélande. Le phénomène prend de l’ampleur et s’étend du début des années 1960 jusqu’à la fin des années 1980.

Ainsi, alors qu’en 1951 les enfants autochtones repré- sentaient moins de un pour cent des enfants pris en charge par les services sociaux, ils en constituent le tiers à la fin des années 1960. Au Manitoba, entre 1971 et 1981, environ 3 400 enfants sont adoptés. Et dans 80 % des cas par des familles non autochtones.

Dans son livre Care and Adoption in Canada (1980), le travailleur social et auteur H. Philip Hepworth estime qu’environ 20 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont été enlevés de force à leur famille. C’est « la Rafle des années 1960 ». Cependant, et le problème reste d’actualité, il ne s’agit que d’une estimation.

« Il n’existe pas de données précises sur la Rafle des années 1960. Une enquête est essentielle pour définir combien d’entre nous ont été enlevés, où ils ont été envoyés, où ils sont aujourd’hui, combien sont morts et dans quelles circonstances. »

Katherine Strongwind

Une quête d’identité

L’organisation 60s Scoop Legacy of Canada est un groupe de défense et de soutien aux adoptés/survivants de la Rafle des années 1960. Fin juin, l’organisation tenait à Winnipeg, au centre communautaire Sergent Tommy Prince, une conférence à laquelle près d’une centaine de personnes ont assisté.

Sa directrice, Katherine Strongwind, est elle-même une survivante de la Rafle. Née à Winnipeg d’un père autochtone originaire de Crane River au Manitoba et d’une mère caucasienne, elle est enlevée à l’hôpital et placée dans une famille non autochtone winnipégoise.

Bien qu’elle sache très tôt avoir été adoptée, c’est seulement à l’âge de 43 ans, en 2015, que Katherine Strongwind apprend finalement le nom de sa mère biologique. « Passer quasiment toute sa vie sans savoir d’où l’on vient, à quelle communauté on appartient, c’est très difficile. Ça a longtemps brouillé mon sentiment d’identité et affecté mon estime personnelle. Découvrir tout d’un coup ce nom et cette famille qui n’avait jamais entendu parler de moi, c’était vraiment étrange. »

En 2019, elle prend la décision de se séparer de son nom « d’adoptée », Legrange. Puisqu’elle ne s’identifie pas aux noms de ses parents biologiques, elle choisit son nom traditionnel, qui lui a été attribué lors d’une cérémonie : Zongwe-Ah-Shiik Kwe qui, traduit en anglais, signifie Strong Wind Woman. Depuis le mois de novembre 2022, Katherine porte officiellement le nom de Strongwind. Sa quête pour retrouver son identité aura duré près de cinquante ans.

La génération oubliée

Les rassemblements comme celui organisé à Winnipeg sont particulièrement importants pour les membres de l’organisation. Et ce pour plusieurs raisons, souligne Katherine Strongwind.

« Ce genre d’évènements permet de rassembler les gens. C’est toujours une bonne chose de se rencontrer, de se soutenir. » Et c’est aussi un moyen d’attirer l’attention sur la réalité de ces enfants, aujourd’hui adultes, qui ont été enlevés à leur famille. Un moyen de rappeler que la Rafle a bel et bien existé. « Un des problèmes auxquels nous devons faire face en tant que survivants, c’est qu’on ne parle pas beaucoup de la Rafle des années soixante ».

Un constat qu’elle explique ainsi : « L’attention est beaucoup portée sur les pensionnats autochtones, surtout avec les découvertes des tombes anonymes. Il y a aussi une question générationnelle. Nous les survivants, nous faisons partie de la génération X, celle née entre 1960 et 1983. Et nous sommes une génération un peu passée inaperçue entre la génération des baby-boomers et celle des milléniaux. Nous sommes la génération oubliée. »

Maisilyaplus:«Iln’existe pas de données précises à propos de la Rafle des années 1960. Une enquête est essentielle pour définir combien d’entre nous ont été enlevés. Savoir où ils ont été envoyés, où ils sont aujourd’hui, combien sont morts et dans quelles circonstances. Aussi, nos parents ont besoin de savoir que ce n’était pas de leur faute, qu’ils étaient pour la plupart des survivants de pensionnats et n’avaient donc pas les moyens de subvenir aux besoins d’une famille. » Pour la présidente de 60s Scoop Legacy of Canada, une enquête nationale serait un élément clé pour prendre le chemin de la guérison.

Du chemin à parcourir

Katherine Strongwind insiste sur un autre facteur : l’idée préconçue que les enfants des années 1960 placés au sein de familles non autochtones ont bénéficié de meilleures opportunités et perspectives. Or, assure-t-elle, « ce n’est pas vrai ».

Tous ces facteurs font que l’objectif principal de 60s Scoop Legacy of Canada est de donner plus de visibilité aux survivants ainsi qu’à leurs problématiques, et d’encourager les différents paliers de gouvernements à leur apporter réparation.

En 2015, la Province du Manitoba a présenté ses excu- ses et la Commission de Vérité et Réconciliation a qualifié les rafles de « génocide culturel », car la pratique s’inscrivait dans une politique d’assimilation. L’Alberta en 2018, puis la Saskatchewan en 2019, ont emboité le pas au Manitoba et présenté des excuses aussi.

Plusieurs adoptés ont attaqué le gouvernement fédéral en justice. Résultat : en 2017, après des années de batailles judiciaires, le juge Edward Belobaba de la Cour supérieure de l’Ontario a tranché en faveur des plaignants. À la suite de sa décision, dans laquelle il reprochait à Ottawa d’avoir failli à sa tâche de protéger ces enfants et leur identité, un accord a été trouvé avec le Fédéral. 875 millions $ ont été mis de côté en compensation pour les victimes. Cependant, des excuses officielles n’ont jamais été présentées. Au total, 21 173 demandes de compensations ont été approuvées.

Malgré ces avancées, Katherine Strongwind maintient sa position : il reste encore bien du chemin à parcourir. À cette fin, plusieurs pistes ont été identifiées par les survivants. Notamment l’obtention de financement pour faciliter la réunification avec les communautés autochtones qui, souvent, ne sont pas prêtes et n’ont pas les moyens d’accueillir de nouveaux membres en raison du manque de logements et de travail. Il y a aussi un besoin d’aide pour obtenir le statut d’Indien, sans oublier l’importance des excuses de la part du gouvernement fédéral et la mise en place d’une enquête nationale.