Marianne Dépelteau

Kira McCarthy souffre de grandes douleurs depuis presque dix ans et selon elle, la grossophobie y est pour beaucoup.

Ses maux de tête commencent en 2015, suivis de problèmes de mémoire et d’une difficulté à compter et à s’exprimer. La situation est particulièrement invalidante pour l’enseignante torontoise. Elle passe une première imagerie par résonance magnétique (IRM) quelques semaines après le début des symptômes sur les conseils de sa médecin.

L’analyse de la neurologue l’a ébranlée : « Elle m’a dit que j’allais bien et m’a recommandé une réduction mammaire, car les femmes qui ont une forte poitrine ont tendance à se pencher vers l’avant, ce qui pourrait tirer sur les muscles de mon cou et provoquer des maux de tête. »

« Je n’étais pas là pour les maux de tête, ajoute Kira McCarthy. Donc ce qu’elle m’a suggéré pour les troubles cognitifs, c’est une réduction mammaire ».

Refusant de subir la réduction mammaire, Kira McCarthy veut obtenir des réponses. Huit ans plus tard, elle réussit à passer une seconde IRM qui dévoile finalement une sténose spinale, soit un rétrécissement du canal spinal. Lors de cet examen, les médecins lui assurent que ses symptômes n’avaient aucun rapport avec la taille de sa poitrine. 

En attente d’un rendez-vous avec un chirurgien, elle regrette le temps perdu : « Si j’avais été examinée en 2015, je ne souffrirais pas de la douleur extrême que j’éprouve et je n’aurais probablement pas eu à modifier mon mode de vie comme je l’ai fait. »

Le danger de consulter

Ce qu’a vécu Kira McCarthy est un exemple de grossophobie médicale.

Jean-Philippe Chaput, professeur adjoint à la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa définit ce concept comme étant « la peur des personnes grosses » : « C’est l’ensemble des attitudes ou comportements qui stigmatisent ou discriminent les personnes qui sont considérées comme grosses ou qui ont un poids élevé. »

L’expert parle d’un accès aux soins de santé plus difficile, de matériel médical mal adapté aux personnes obèses, d’attitudes ou stéréotypes négatifs de la part du personnel soignant, voire d’erreurs de diagnostic.

« Beaucoup de professionnels de la santé voient [les personnes obèses] comme étant paresseux, qui mangent trop, qui doivent juste perdre du poids », explique-t-il.

« Tous les médecins que j’ai consultés pour quelque raison que ce soit m’ont parlé de perte de poids », indique Kira McCarthy. 

Le sujet est difficile pour la Torontoise qui a souffert de troubles alimentaires : « Me recommander de perdre du poids est vraiment dangereux pour moi. » 

« Les infirmières étaient tannées à cause de mon corps »

« À cause de cela, beaucoup de gens ne vont pas chez le médecin et finissent par ne pas être diagnostiqués », poursuit Kira McCarthy.

Un sentiment que partage une mère franco-ontarienne qui a tenu à s’exprimer sous le couvert de l’anonymat. « Je manque de confiance dans le personnel médical, j’éprouve même de la méfiance. Je me présente là et j’attends de voir si on va m’écouter, me prendre au sérieux, ou si je vais devoir m’obstiner. »

Des expériences lors de ses deux grossesses ont lourdement teinté sa relation avec les médecins. Les commentaires et fixations sur son poids ont déroulé le tapis rouge pour une orthorexie, soit l’obsession maladive de l’alimentation saine. 

« Entre les grossesses, je faisais beaucoup d’exercice et [je comptais] les calories avec une application, raconte la Franco-Ontarienne. Après ma fille, j’ai fait le régime paléo, puis Keto. Sans avoir un diagnostic formel, j’avais définitivement une alimentation troublée. »

Un jour, elle croise sa médecin au restaurant, prise de honte, elle en vient à se dire : « Faut pas qu’elle me voie manger un hotdog. »

« À ma deuxième grossesse, c’était l’été alors il faisait chaud, je faisais plus de rétention d’eau […] et j’étais plus gonflée, ce qui est normal quand t’es enceinte », relate-t-elle.

Mais sa médecin se met en tête qu’elle a pris trop de poids. Elle réalise donc un test de glycémie, persuadée qu’elle est diabétique.

Résultat, aucune trace de diabète, mais des souvenirs douloureux pour Alexandra : « On m’a piquée sept fois pour essayer de trouver une veine […] j’avais l’impression que les infirmières étaient tannées à cause de mon corps. »

Plus tard, d’autres praticiens lui diront que sa prise de poids durant sa grossesse n’était pas si élevée et que la recherche du diabète avait été inutile.

« On nous écoute, mais à moitié »

Les défis financiers et structurels des systèmes de santé dans les provinces compliquent davantage l’accès à des soins de qualité pour les personnes en surpoids.

« Je sais que notre système de santé est déficient et qu’on n’a pas beaucoup de temps, regrette Alexandra Gauthier. Quand on va voir un médecin, on est sur un timer […], souvent c’est comme si on arrivait et que les assomptions étaient déjà faites. On nous écoute, mais à moitié. »

« Des études démontrent que le temps passé dans un bureau de médecin avec une personne obèse est plus court qu’avec une personne mince, corrobore Jean-Philippe Chaput. Si les médecins passent moins de temps avec les patients, ils sont plus à risque de faire des erreurs [de diagnostic]. » 

Parmi les raisons qui expliquent cette différence, le chercheur évoque la paresse de certains médecins, le manque d’équipement et de formation, ainsi que le système qui encourage les praticiens à voir le plus de patients possible en une journée afin de gagner plus d’argent.

Si les personnes en surpoids ont plus de risques de développer des problèmes de santé, « il faut commencer avec un dialogue ouvert et ne pas juger », insiste Jean-Philippe Chaput.