Marianne Dépelteau

Janvier : 11 % du personnel de Postmedia est mis à pied.

Février : Québecor annonce la suppression de 240 postes et l’entreprise ne paie plus son loyer à Québec depuis aout.

Juin : Bell supprime 1 300 postes et ferme 6 stations de radio.

11 aout : le journal Métro au Québec suspend ses activités.

En francophonie minoritaire, Le Franco se relève d’un début d’année difficile et des radios communautaires de l’Atlantique et de l’Ouest sont sur le respirateur artificiel.

Depuis le début de l’année, le secteur des médias encaisse à nouveau le coup, alors que les géants du Web récoltent jusqu’à 80 % des revenus publicitaires en ligne.

À qui la facture?

Pour Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la responsabilité de financer les médias reste « partagée ».

« Historiquement, ça a beaucoup été financé par la publicité, mais ce modèle n’est plus viable, affirme-t-il. Dans les régions où les francophones sont en situation minoritaire, c’est encore plus difficile. »

La solution qu’il propose : diversifier les sources de financement. « La publicité, il y en a encore un peu. Certains ont des modèles d’abonnement, […] des dons […] En milieu francophone minoritaire, ça pourrait être une bonne source de revenus. »

C’est d’ailleurs ce que fait Nicolas Servel, directeur de Médias ténois, aux Territoires du Nord-Ouest, qui comprend le journal francophone L’Aquilon et Radio Taïga. Le financement du journal et de la radio vient principalement de subventions fédérales et territoriales, de projets spéciaux et de publicité.

Nicolas Servel est directeur général de Médias ténois, qui inclue le journal L’Aquilon et Radio Taïga dans les Territoires du Nord-Ouest. Photo : Courtoisie

Mais dans tous les cas, les Médias ténois ont du mal à s’en sortir.

En réévaluant son modèle d’affaires, l’équipe de Médias ténois envisage notamment d’offrir des services de formation, du contenu audiovisuel pour d’autres secteurs comme le cinéma, ou encore de se tourner vers les marchés privé et associatif.

Selon Jean-Hugues Roy, l’appui communautaire ne doit pas être négligé : « Les médias répondent aux besoins d’une communauté. Il faut que la communauté fasse sa part d’une certaine manière. […] Les gens doivent s’abonner. »

Pour Marie-Linda Lord, professeure titulaire en information-communication à l’Université de Moncton, c’est tout à fait envisageable en milieu francophone minoritaire.

« Les communautés sont attachées à leurs médias régionaux. Si on prend l’exemple, au Nouveau-Brunswick, de Radio-Canada Acadie ou l’Acadie Nouvelle, ce sont deux médias importants en Acadie au Nouveau-Brunswick qui ont un public très loyal. »

La responsabilité gouvernementale

Mais pour Jean-Hugues Roy, le fédéral en fait déjà beaucoup avec, entre autres, l’Initiative de journalisme local (IJL) et les crédits d’impôt.

Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), croit qu’il faut diversifier les sources de financement. Photo : Émile Tournevache

Sur les 29 journaux locaux francophones hors Québec, dont les 21 membres de Réseau.Presse, sept sont admissibles au crédit d’impôt du fédéral et seulement trois (La Liberté, l’Acadie Nouvelle et Le Droit) y ont accès en ce moment.

Le Québec est la seule province à avoir superposé un programme de crédits d’impôt à celui du fédéral, mais le professeur croit que les autres provinces pourraient lui emboiter le pas, selon la situation politique.

« L’Alberta n’a peut-être pas un gouvernement très favorable aux médias en ce moment. En Ontario, je pense que le gouvernement conservateur ne serait pas forcément favorable […] par rapport aux Franco-Ontariens. Mais il faut demander, il faut que les élus soient redevables », martèle-t-il.

L’auteur de Pour un Fonds des médias nouveau et amélioré estime aussi que les compagnies de télécommunications comme Bell, Vidéotron, Shaw et Rogers ont une part de responsabilité, car ils font de l’argent sur le dos des médias en vendant les moyens de diffusion des nouvelles.  

C–18 « à repenser »

La Loi sur les nouvelles en ligne (C-18) a poussé Meta à bloquer les nouvelles canadiennes sur ses plateformes Facebook et Instagram.

D’après Jean-Hugues Roy, « il faut repenser cette loi, ou à plus court terme, trouver une façon de s’entendre avec les plateformes ».

L’une des choses à rectifier à son avis est la part du gâteau que prend Radio-Canada.

« Radio-Canada, c’est une grande institution et on l’adore. Mais le fait qu’elle puisse bénéficier des sommes prévues dans le cadre de la loi C-18, pour moi, c’est une erreur. Ça détourne des sommes qui devraient bénéficier aux médias francophones en milieu minoritaire. »

« Il y a d’autres aberrations à Radio-Canada ; le fait qu’elle sollicite de la publicité, poursuit-il. Ça prive des médias de publicité. Le journal Métro me l’a bien dit : Radio-Canada nuisait à leur campagne pour solliciter de la publicité dans bien des marchés. […] Ça n’a pas de sens pour moi. »

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Le gouvernement maintient le cap

Le premier ministre Justin Trudeau s’est prononcé lundi sur le blocage des nouvelles en ligne, lors d’un point de presse à Charlottetown en marge de la retraite de son cabinet.

« [META] refuse d’assurer que les journalistes locaux soient payés de façon adéquate pour informer et partager les nouvelles des Canadiens. Il préfère laisser des personnes en danger plutôt que de faire sa juste part pour appuyer la démocratie et le journalisme local », a-t-il lancé.

« Dans une démocratie, un journalisme local de qualité est important, et il l’est aujourd’hui plus que jamais, alors que les gens s’inquiètent pour leur maison, pour leur communauté. C’est le pire été que nous ayons connu depuis longtemps en termes d’évènements météorologiques extrêmes. »

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Nouvelles habitudes de consommation

Marie-Linda Lord croit aussi qu’il faut un nouveau modèle de financement des médias, mais adapté aux nouvelles habitudes de consommation. « Les gens aiment pouvoir consulter sur leurs tablettes, leurs téléphones. »

Pour Marie-Linda Lord, professeure en information-communication, les médias locaux doivent trouver un nouveau modèle économique qui tienne compte des nouvelles habitudes de consommation de l’information. Photo : Courtoisie

Selon elle, les habitudes de consommation ont trop changé pour revenir en arrière, vers le 100 % non numérique. « Quand je pose la question en classe “qui écoute la radio?”, j’ai peut-être 30 % de mes étudiants qui le font, alors qu’il y a 30 ans, c’était 100 %. »

Tout en maintenant l’impression de l’édition papier de L’Aquilon « pour ceux qui aiment encore le papier », Nicolas Servel doit attirer le nouveau public : « On essaie d’évoluer et d’être plus présents en ligne, d’explorer la voie des balados, des réseaux [sociaux] et d’expérimenter avec divers formats. »

« Le tissu même de notre société »

Si la crise se poursuit, la disparition des médias locaux pourrait entrainer de graves conséquences.

« C’est le tissu même de notre société, souligne Jean-Hugues Roy. Ce serait dramatique si, par exemple, Le Voyageur disparaissait. »

« Dans quel miroir les francophones en milieu minoritaire pourraient se regarder? Oui, il y aurait encore Radio-Canada, mais je pense que c’est bon de ne pas avoir un seul miroir. »

Pour Marie-Linda Lord, c’est également une question d’accès à l’information : « Il y a des informations qui se trouvent dans les médias locaux et pas ailleurs. »

« Je suis à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et je suis abonnée à L’Aquilon, raconte-t-elle. Il faut qu’on soit informés les uns des autres, mais le point de départ pour ça, c’est le média local. »

« Il y a des exemples de succès, mais aussi de défis, comme des causes scolaires [francophones] à Yellowknife. Si L’Aquilon n’en parle pas, qui va en parler? »