Par Marine Ernoult

Directement du frigo à la poubelle. Les ménages canadiens jettent en moyenne 140 kg de nourriture par an, soit l’équivalent de 1 300 dollars. Tels sont les résultats d’une enquête menée par le Conseil National Zéro Déchet.

Selon une autre étude de l’organisme Deuxième récolte, 11,2 millions de tonnes d’aliments comestibles sont gaspillées chaque année au pays.

Pour en finir avec le gaspillage alimentaire, des voix s’élèvent pour que le gouvernement fédéral revoie la pratique des dates de péremption “meilleur avant”.

« La mauvaise compréhension de cet étiquetage entraine beaucoup de gaspillage, assure Lori Nikkel, directrice générale de Deuxième Récolte. Les consommateurs considèrent ces dates comme des suggestions de “jeter après”. »

Confusion autour du “meilleur avant”

La mention “meilleur avant” ne signifie pas nécessairement que les aliments représentent un risque pour la santé et ne sont plus comestibles une fois la date dépassée, insiste Lori Nikkel.

« Ça se réfère avant tout à un niveau de fraicheur maximale et de qualité d’un produit non ouvert », explique-t-elle.

« Ça entraine beaucoup de confusion, car le “meilleur avant” ne veut pas dire la même chose selon le type d’aliment. Ce n’est pas toujours un enjeu de salubrité et de sécurité alimentaire », confirme Pascal Thériault, agronome et économiste à l’Université McGill de Montréal.

La loi oblige les fabricants à afficher des dates de péremption uniquement sur les produits périssables dont la durée de conservation est inférieure ou égale à 90 jours. Entrent notamment dans cette catégorie les œufs, les produits laitiers et ceux contenant des viandes.

Aux yeux de Christine Jean, vice-présidente du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), cet étiquetage est « pertinent » pour un morceau de viande très périssable, pour lequel le « risque de contamination bactérienne est important ».

En revanche, pour un yogourt, elle estime que ça l’est beaucoup moins : « Il peut se manger longtemps après, il n’est pas impropre à la consommation. Ce sont seulement le gout et la texture qui changent tranquillement. »

Les autres denrées, qui ne sont pas susceptibles de se gâter avant 90 jours, n’ont pas besoin de date de péremption.

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« Mieux préciser l’étiquetage »

« Et pourtant, nous en avons partout. J’en ai même vu sur du sel, de l’eau ou du vinaigre, c’est une aberration, regrette Lori Nikkel. Trop souvent, les fabricants en ajoutent sur leurs emballages alors même qu’ils n’y sont pas tenus. »

« Certains distributeurs font carrément retirer les produits secs des tablettes de supermarché quand la date de péremption approche, pour faciliter la rotation des stocks », révèle Pascal Thériault.

Deuxième Récolte propose ainsi de modifier la terminologie en utilisant des expressions comme « consommer avant », « consommer de préférence avant », « date limite de congélation » ou « a meilleur gout avant ». L’idée est d’indiquer le moment où l’aliment peut avoir perdu ses qualités gustatives, sans pour autant représenter un risque sanitaire.

« Il faut mieux préciser l’étiquetage, rendre les formulations plus claires », indique Pascal Thériault.

Un avis que partage Christine Jean : « Il faut y aller par groupes de produits et avoir des mentions qui laissent plus de marge de manœuvre aux consommateurs. Ils sont capables de juger par eux-mêmes. »

Le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des Communes semble avoir entendu ces demandes.

Dans son rapport intitulé L’abordabilité de l’épicerie : un examen de l’augmentation du cout des aliments au Canada, le Comité recommande aux autorités fédérales d’examiner « l’élimination de la date de péremption affichée sur les produits alimentaires et l’impact de cette mesure pour les Canadiens ».

« Certaines compagnies pourraient s’opposer à cette suppression. Elles ne voudront pas que leur image soit entachée par des aliments qui perdent certaines de leurs qualités gustatives et nutritives », prévient Pascal Thériault.

Réapprendre à conserver les aliments

Mais les acteurs du secteur sont unanimes : enlever les dates “meilleur avant” ne suffira pas. Réduire le gaspillage alimentaire passera aussi par une meilleure éducation de la population.

« Les consommateurs ne sont pas beaucoup informés, on doit mener des campagnes de sensibilisation, y compris dans les écoles », considère Christine Jean.

«Nous achetons souvent trop et les choses se gâtent plus vite. Nous ne savons plus comment gérer et stocker nos aliments de manière sécuritaire», observe de son côté Lori Nikkel.

Elle prend l’exemple de la viande : « Si vous mettez votre viande au congélateur, elle ne s’abimera pas et se conservera très longtemps sans danger pour la santé, jusqu’à six mois, voire un an. »

En attendant, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a lancé en juin dernier une consultation sur le sujet.

L’organisme fédéral souhaite notamment obtenir des commentaires de l’industrie agroalimentaire sur les mesures pour réduire le gaspillage alimentaire, « y compris la possibilité de revoir la règlementation en matière d’étiquetage de la date de péremption (date “meilleur avant”). »

« Il y a urgence à une époque où l’insécurité alimentaire n’a jamais été aussi forte, alerte Lori Nikkel. Des personnes qui n’ont déjà pas les moyens de se procurer de la nourriture la jettent sur la base d’une date arbitraire. »

Du gaspillage partout dans le monde

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime en effet qu’un tiers de la production alimentaire dans le monde est perdue ou gaspillée, soit 1,3 milliard de tonnes par an. Le cout estimé est de 750 milliards de dollars par an.

Pour Pascal Thériault, économiste à l’Université McGill de Montréal, la tendance est néanmoins en train de changer : « Avec la hausse du cout de la vie et l’augmentation du prix du panier d’épicerie, les consommateurs font de plus en plus attention. »

Au Royaume Uni, depuis septembre 2022, les supermarchés britanniques Waitrose ont supprimé les mentions “meilleur avant” sur près de 500 produits frais, en particulier les fruits et les légumes sous emballage.

Cette mesure « vise à réduire le volume de gaspillage alimentaire des ménages britanniques en invitant les clients à faire preuve de jugement » au moment de décider si un produit est encore consommable.

Cette chaine de supermarchés haut de gamme estime ainsi être en mesure d’économiser l’équivalent de 7 millions de paniers de nourriture de la poubelle.

Au Canada, le gouvernement fédéral s’est fixé pour objectif de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici à 2030.