Par : Maggie Macintosh – Initiative de journalisme local

Kenny Benson, un homme, enseigne en maternelle à l’école St. George School de Winnipeg. En fait, depuis le départ à la retraite, il y a plusieurs années, d’un ancien collègue masculin – qui l’appelait en plaisantant L’autre –, il est le dernier enseignant homme en maternelle dans toute la Division scolaire Louis-Riel.

« En tant que seul homme, je pense que j’ai la responsabilité d’être plus présent dans la bâtisse, affirme M. Benson.

« Je ne reste pas dans ma salle de classe quand j’ai la possibilité de sortir. Je suis dehors en train de parler… à la récréation, dans les couloirs, je parle à tous les garçons. »

Cette année, une douzaine d’enseignants de maternelle qui s’identifient comme des hommes travailleront dans les écoles publiques de la ville.

Dans la Division scolaire de Winnipeg, la plus grande du Manitoba, cinq des 89 éducateurs de maternelle (un peu moins de 6 %) sont des hommes. À St. James-Assiniboia, il n’y en a aucun.

Les établissements de formation des enseignants enregistrent depuis longtemps un écart entre les genres considérable parmi les candidats et les diplômés, bien que les identifiants binaires aient été récemment supprimés à la Faculté d’éducation de l’Université du Manitoba.

Invoquant la “crise masculine”, avec des préoccupations allant de la baisse des taux d’inscription dans l’enseignement supérieur aux chiffres inquiétants des suspensions scolaires et des suicides au sein de la population, les chercheurs qui étudient la masculinité se demandent pourquoi il y a si peu d’efforts de faits pour encourager les hommes à poursuivre des carrières dans l’enseignement.

L’auteur et chercheur américain Richard Reeves, qui a fondé cet été l’American Institute for Boys and Men, a été l’une des voix les plus fortes à réclamer « un effort de recrutement massif et urgent » pour renforcer la représentation et ouvrir la voie à l’intervention académique.

À l’inverse, plus tôt cette année, la Division scolaire de Winnipeg avait supprimé une politique indiquant qu’elle s’efforçait de refléter la composition masculine au sein de ses écoles où l’égalité des genres était un problème.

Cette décision a été prise à la suite d’un audit sur l’équité en matière d’emploi récemment publié, qui recommandait à l’employeur de supprimer cette référence car « rien ne prouve que (les hommes) subissent une discrimination systémique et persistante sur le marché du travail ».

Étant donné que la main-d’œuvre dans le secteur de l’éducation est essentiellement féminine, les hommes sont surreprésentés dans les postes de direction dans l’ensemble du secteur au Manitoba.

Il est intéressant de noter que les hommes sont souvent sollicités pour des postes administratifs et qu’ils sont en mesure de saisir ces opportunités, déclare Cameron Hauseman, professeur adjoint en administration de l’éducation à l’Université du Manitoba.

M. Hauseman indique que les idées fausses sur les bas salaires, les croyances injustes de la société sur les hommes qui veulent travailler avec des enfants et le manque de modèles masculins dans les écoles sont autant de facteurs qui découragent les hommes de vouloir travailler à l’avant d’une classe.

« Il est tout à fait possible que des élèves aillent de la maternelle à la 8e année sans avoir eu d’enseignant de sexe masculin, fait remarquer l’universitaire et enseignant à l’élémentaire de formation. Sans un recrutement ciblé, je ne vois pas comment nous pourrons résoudre ce problème. »

M. Hauseman rappelle les conclusions de Thomas Dee, aujourd’hui professeur à la Graduate School of Education de l’Université de Stanford, dans son rapport de recherche de 2006 intitulé The Why Chromosome.

Après avoir analysé les résultats des élèves en sciences, en études sociales et en anglais, M. Dee concluait que les élèves dont l’enseignant était du même sexe qu’eux obtenaient de meilleurs résultats que leurs pairs. « Pour le dire simplement, les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires lorsque ce sont des femmes qui leur enseignent, et les garçons s’en sortent mieux lorsque ce sont des hommes qui leur enseignent », écrivait-il à l’époque.

Tout en reconnaissant que l’article est controversé parce qu’il remet en question l’enseignement mixte, M. Hauseman dit qu’il souligne également l’importance de la représentation dans les écoles.

« Cela leur donne une idée de ce qui est possible, et sans cela, nous nous retrouverons avec des disparités dans les résultats et l’engagement comme celles que nous observons actuellement – vraiment dans tous les domaines, avec un bon nombre de groupes », ajoute-t-il.

Le taux de diplomation sans retard ni avance au Manitoba était de 83 % en 2021-22 selon les données accessibles en ligne. Chez les filles, ce taux était de 85 %. Chez les garçons, il était de 81 %.

L’écart entre les genres était plus important – plus de six points de pourcentage – chez les élèves qui s’identifiaient comme membres des Premières Nations, Métis ou Inuit.

Les données d’évaluation provinciales montrent que le seul moment où les garçons sont systématiquement plus performants que leurs camarades, c’est en mathématiques en 3e année, mais lorsque tous les élèves arrivent en 7e année, les moyennes des résultats en calcul sont identiques.

Et en même temps, le retard de niveau des garçons en matière de littéracie ne leur permet pas de suivre le rythme de leurs camarades féminines.

L’année dernière, la différence entre les pourcentages de filles et de garçons atteignant le niveau attendu en 8e année en lecture et en écriture était respectivement de 13 % et de 18 %. Lorsque les niveaux de littéracie de ces cohortes avaient été testés cinq ans plus tôt, l’écart était d’un peu moins de 8 %.

« Je recommande à tout parent ou tuteur de lire quotidiennement à ses très jeunes enfants et d’encourager ses garçons à lire », lance Doug Gosse, professeur en éducation à l’Université Nipissing de North Bay, en Ontario.

Il y a dix ans, M. Gosse a cherché à comprendre pourquoi les garçons entraient à l’école et progressaient souvent d’un niveau à l’autre avec de moins bonnes compétences en lecture et en écriture que leurs sœurs.

Il s’avère que les parents et les tuteurs lisent moins à leurs fils qu’à leurs filles, et emmènent plus souvent les filles à la bibliothèque que les garçons, expliquait-il, pointant le fait que les attentes et les activités sexospécifiques sont enracinées dans la société nord-américaine.

M. Gosse rappelle que tous les enfants bénéficient d’une exposition à divers supports de lecture, des leçons actives qui mettent particulièrement en valeur la nature énergique des garçons, contrairement au travail assis restrictif et aux mots d’encouragement. Les clubs de lecture et les programmes de mentorat qui permettent aux jeunes garçons de côtoyer des garçons plus âgés ont un impact considérable, ajoute-t-il.

M. Benson est très conscient des attentes sexospécifiques de tous ses enfants, qu’ils soient biologiques ou qu’ils figurent sur sa liste de classe de maternelle, et du fait que beaucoup d’entre eux n’ont pas de figure paternelle à la maison.

« Nous devons être plus conscients des différentes façons dont nous élevons les enfants et même dont nous interagissons avec eux – non pas pour éliminer le genre de l’équation, mais (pour reconnaître) notre système de récompenses, affirme-t-il. Dès le plus jeune âge, nous avons tendance à valoriser des attributs différents chez les garçons ou les filles. »

Selon lui, les filles – y compris son unique fille – ont tendance à être félicitées pour leur intelligence et leur sens de l’ordre, alors que les garçons sont récompensés pour leur force, leur rapidité et leur sportivité. Il ajoute qu’il n’a jamais entendu l’un de ses fils se faire traiter de « joli ou beau ».

« Je m’assure de porter du rose et du violet en septembre, déclare-t-il. Je mets un point d’honneur à faire cela et d’autres choses qui (remettent en cause) les normes de genre, car il y a des garçons qui pensent qu’ils ne peuvent pas jouer avec la maison de poupée. »

Il n’est pas à l’abri de préjugés flagrants; il a l’habitude de faire l’objet de moqueries ou de rires quand il raconte à d’autres pères ce qu’il fait dans la vie lors de fêtes d’anniversaire pour enfants.

M. Benson a travaillé dans un entrepôt d’expédition-réception après la 12e année. C’est plus tard dans sa vie qu’il s’est inscrit à l’école de formation des enseignants, après que celle qui est aujourd’hui devenue sa femme ait remarqué qu’il semblait être le plus heureux quand il entraînait des enfants au sport ou qu’il travaillait dans des camps d’été.

Étant le seul enseignant homme de St. George, il raconte qu’il est souvent appelé à la porte de l’école lorsque des jeunes garçons, quelle que soit leur classe, sont en proie à de “grandes émotions” et ne veulent pas entrer à l’intérieur.

« Ils me tombent dans les bras comme si j’étais leur père. Je pense vraiment qu’ils ne seraient pas entrés dans la bâtisse s’ils n’avaient pas pu me voir. »

Dans Boys : What It Means to Become a Man, la journaliste Rachel Giese affirme qu’il y a eu trop peu de critiques des exigences que les stéréotypes masculins imposent aux garçons, et remet en question la « croyance omniprésente » selon laquelle les progrès des femmes se font aux dépens des hommes.

« Peut-être que la crise des garçons n’est pas due à une différence de cerveau ou à une culture anti-masculine dans les écoles. Peut-être que les idées sur l’école et la masculinité sont à l’origine de l’échec des garçons », écrivait Mme Giese dans son livre en 2018, dans un chapitre consacré aux études.

La mère de famille, qui a adopté un fils Anishinaabe avec sa femme, explique en détail comment les garçons les plus vulnérables – en particulier les enfants issus de familles pauvres et ceux qui sont noirs – sont beaucoup plus en difficulté que leurs pairs blancs issus de la classe moyenne, la banlieue.

Une étude à long terme des écoles publiques de Caroline du Nord a révélé que le fait d’avoir au moins un enseignant noir à l’école élémentaire augmentait considérablement les chances pour un élève noir issu d’une famille à faible revenu d’obtenir son diplôme d’études secondaires et d’aller à l’université, a-t-elle noté.

En 2020, la Newcomer Education Coalition du Manitoba et le Winnipeg Indigenous Executive Circle ont commencé à publier des rapports annuels pour attirer l’attention sur le besoin urgent d’augmenter la représentation dans les listes d’enseignants.

Les groupes estiment que plus de 600 enseignants autochtones devraient être embauchés dans les divisions scolaires de la ville afin de refléter la population d’élèves des Premières Nations, Métis et Inuit.

Ryan Cook a décoré son bureau de directeur adjoint de dessins d’élèves colorés, de palets de hockey et de citations de certains de ses artistes autochtones préférés.

Unreconcilied, Wayi Wah! Indigenous Pedagogies et Resurgence figurent parmi les titres empilés dans sa bibliothèque. Dans un coin se trouve un énorme tambour – un instrument sacré qu’il prévoit utiliser pour lancer un cercle de tambours au Maples Collegiate cet automne.

L’administrateur cri, dont la famille est originaire de la Première Nation Misipawistik et de l’île Matheson, veut que les étudiants sachent immédiatement d’où il vient et ce qui lui tient le plus à cœur.

« Tout ce que je fais, c’est venir travailler et être moi-même, confie M. Cook. C’est une bouffée d’air frais pour les adolescents autochtones, car ils peuvent enfin s’asseoir, se voir et se dire : Je peux me détendre ici, il est comme moi. »

Il ajoute en rappelant l’héritage du système des pensionnats et des autres politiques coloniales qui ont laissé des cicatrices durables qu’outre les pressions exercées sur les garçons autochtones pour qu’ils soient durs et stoïques, ce qui peut les conduire à s’impliquer dans des gangs et à commettre des actes de violence, la réalité est que leur présent est lié au passé.

« Si l’on observe celles et ceux qui réussissent très bien à l’école, c’est – dans 99 % des cas – parce qu’ils bénéficient d’un soutien important à la maison, souligne M. Cook.

« Et même si nous avons beaucoup de familles autochtones qui accordent une grande importance à l’école et qui soutiennent leurs enfants à la maison, nous avons aussi beaucoup de familles où cette relation, ce soutien et ces opportunités n’existent tout simplement pas, et c’est pourquoi nous voyons des élèves qui ont des difficultés à l’école. »

Il travaille souvent avec des étudiants des Premières Nations qui viennent à Winnipeg pour terminer leurs études secondaires et n’hésite pas à avoir des conversations franches sur l’impact du colonialisme sur ses étudiants, leurs familles et les problèmes sociaux de leurs communautés.

M. Cook tient également à s’assurer que chacun et chacune de ses élèves sait qu’ils n’ont pas besoin de se dépêcher de finir le secondaire en quatre ans.

Le taux de diplomation en six ans chez les élèves autochtones du Manitoba était de 63 % en 2022, soit 12 % de plus par rapport à ceux qui avaient obtenu leur diplôme en quatre ans.

Si le directeur adjoint estime qu’il est « à plus de 100 % » utile de s’efforcer de recruter davantage d’enseignants masculins, il ajoute qu’il ne faut pas négliger les nombreux hommes qui enseignent dans les communautés autochtones et qui sont chargés de l’apprentissage sur le terrain.

« Nous devons vraiment examiner ce qu’est l’éducation et analyser si nous lui rendons justice en excluant (des activités en dehors de l’école, telles que la chasse et la pêche) », conclut-il.