Les avantages à parler plusieurs langues sont légion. Aucune chance de faire une erreur lors d’une commande au restaurant, pas besoin de sous-titres pour regarder un film et les chances de se perdre dans un pays étranger sont pas mal réduites! Au-delà de ces avantages pratiques, le bilinguisme apporte également des avantages plus difficilement identifiables et pourtant tout aussi importants.

Alors que la neuroscience est une discipline relativement jeune, cela fait maintenant plusieurs années que la communauté scientifique et les recherches s’intéressent à l’effet du bilinguisme sur le cerveau humain.

C’est le cas d’une étude menée dans la ville de Bonn, en Allemagne, et publiée au mois d’avril 2023. Cette dernière, intitulée en anglais : Linking Early-Life Bilingualism and Cognitive Advantage in Older Adulthood, met en avant un lien de causalité entre le fait de pratiquer une deuxième langue tôt dans sa vie et de meilleures performances cognitives arrivé à un âge avancé.

Elizabeth Kuhn est postdoctorante et chercheuse à l’Institut de recherche allemand pour les maladies neurodégénératives (DZNE). D’origine française, elle a pris part à l’étude mentionnée plus tôt et revient sur la façon dont les recherches ont été menées. Les chercheurs se sont intéressés à trois périodes au total, de 13 à 30 ans, de 30 à 65 ans, et enfin 65 ans et plus : « Nous avons soumis un questionnaire aux participants pour déterminer la fréquence à laquelle ils ont pratiqué une seconde langue à ces différents stades de leur vie. » Les réponses disponibles s’étendaient de jamais à quotidiennement, en passant par une ou deux fois par semaine. « Cela nous a permis de créer une échelle et de catégoriser les groupes pour les comparer. »

| Plus tôt, c’est mieux

Elizabeth Kuhn précise tout de même que le questionnaire n’a pas vocation à évaluer le niveau de langue des sujets. « Nous sommes partis du principe que si la deuxième langue est utilisée tous les jours, c’est que l’individu vit dans un milieu qui le demande, et donc nous l’avons considéré comme bilingue, peu importe son niveau de langue. » Si elle peut paraître anodine, la précision est loin de l’être, elle implique que les résultats de la recherche englobent tous les pratiquants réguliers d’une autre langue, peu importe leur niveau de maîtrise de cette dernière.

Une fois les groupes définis, les recherches ont pu commencer et les participants se sont soumis à une batterie de tests neuropsychologiques. « Nous avons utilisé différents domaines cognitifs, comme la mémoire par exemple, explique la chercheuse. Donc il ne s’agit pas seulement d’évaluer la cognition globale, mais des performances spécifiques. Nous nous sommes intéressés à plusieurs domaines : la mémoire de travail, la mémoire épisodique et l’attention. »

L’étude compte au total 746 participant(e)s, tou(te)s âgé(e)s de 65 ans et plus, et les résultats sont assez frappants. « Les personnes qui ont répondu avoir utilisé un second langage tous les jours en étant jeune ont de meilleures performances en comparaison aux autres », souligne Elizabeth Kuhn, qui ajoute que les performances sont en corrélation directe avec la fréquence de pratique. « Plus elles l’avaient parlé souvent sur la période de 13 à 30 ans, meilleures étaient leurs performances à la fin. Au contraire, pour les personnes qui parlaient un second langage sur la période de 30 à 65 ans, les effets bénéfiques sont moins marqués. » Autrement dit, les effets positifs sont plus importants si l’on commence très tôt à parler une seconde langue. Et c’est là tout l’intérêt de cette recherche, comme l’atteste Elizabeth Kuhn : « Aucune étude n’avait tenté de définir si le fait d’être bilingue à différents stades de la vie avait une influence sur les capacités cognitives et la structure cérébrale à un âge avancé. »

| Une défense contre les maladies neurodégénératives

Parmi les conclusions de cette étude, un autre aspect bénéfique a été relevé. Dans les deux mois qui suivaient les tests cognitifs, les participants ont passé une IRM. En observant l’imagerie, un lien a été établi entre le bilinguisme et l’utilisation du cerveau.

« Ceux qui parlent une autre langue tôt utilisent plus de régions cérébrales. C’est ce qui les rend plus performants. Pour utiliser une seconde langue, le cerveau a besoin d’inhiber notre langue maternelle pour penser et répondre dans celle de l’interlocuteur.

« Naturellement, le cerveau n’utilise pas ce mécanisme-là lorsqu’il n’a besoin que d’une seule langue. Le fait d’utiliser ce mécanisme permet d’engager tout ce qui est lié au réseau du langage, de le remodeler et de l’utiliser plus tard pour avoir de meilleures performances dans d’autres tâches. »

Ce qui est intéressant ici, c’est que les régions utilisées viennent en quelque sorte soulager la pression exercée sur les autres. « Nous pensons que la pratique d’une seconde langue peut décaler le début des symptômes d’une maladie dégénérative, parce que les cerveaux de ces personnes sont capables de compenser les baisses de performance pendant de plus longues périodes. »