Par Marianne Dépelteau

Des données recueillies par Statistique Canada lors du recensement de 2021 permettent de constater que, malgré une augmentation du nombre de personnes ayant une connaissance du français, le poids démographique des francophones dans l’Ouest du pays est en chute libre.

Depuis le recensement de 2016, seule l’Alberta a enregistré une diminution du nombre de personnes pouvant soutenir une conversation en français. Malgré la hausse enregistrée dans trois des quatre provinces, le poids démographique de ce groupe a diminué dans toutes les provinces de l’Ouest du pays.

« Les tendances des quatre provinces de l’Ouest suivent les tendances du Canada hors Québec », confirme Gabriel St-Amant, analyste chez Statistique Canada l’un des auteurs des rapports.

En Saskatchewan, 4,7 % de la population peut soutenir une conversation en français. Cette proportion s’établit à 6,2 % en Alberta, 6,6 % en Colombie-Britannique et 8,4 % au Manitoba.

L’Alberta présente sa plus faible proportion des 50 dernières années. Au Manitoba, il faut remonter 30 ans en arrière.

Pour Gabriel St-Amant, la langue parlée à la maison est un indicateur intéressant qui permet de mieux comprendre la réalité linguistique dans la sphère privée.

En 2021, 1,2 % de la population de la Saskatchewan parlait le français au moins régulièrement à la maison. Cette proportion s’élevait à 1,5 % en Colombie-Britannique, à 1,8 % en Alberta et à 2,8 % au Manitoba.

Selon l’analyste, la décroissance peut notamment s’expliquer par le vieillissement de la population et les mouvements des populations.

Migration interprovinciale

La Saskatchewan, l’Alberta et le Manitoba affichent un solde migratoire interprovincial négatif chez les francophones. Autrement dit, plus de gens qui parlent le français ont quitté la province que l’inverse.

La Colombie-Britannique est la seule province à avoir enregistré un accueil francophone plus élevé comparativement aux données de 2016.

« La migration interprovinciale entre 2016 et 2021 n’a certainement pas aidé dans les nombres et les pourcentages. Il y a quand même des proportions importantes de personnes qui ont quitté [les provinces] », observe l’analyste.

Pour Daniel Boucher, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), ceux qui quittent le Manitoba ne le font pas par manque d’occasions de vivre en français.

« On essaie d’offrir et de s’assurer que nos organismes communautaires mettent à la disposition des gens tous les services nécessaires pour vivre et s’épanouir en français, surtout chez les enfants, affirme-t-il. On a des écoles françaises de haute qualité. Je pense qu’on met tout devant les gens et les gens font leurs propres choix. »

Manque de financement

Marie-Nicole Dubois, présidente par intérim de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB), se réjouit de cette mouvance, mais souligne la nécessité de recevoir davantage de financement pour pouvoir accueillir tout le monde.

« IRCC a mis beaucoup d’argent pour qu’on puisse aider les immigrants et travaille activement pour assurer l’accueil des immigrants francophones. […] Mais au niveau des migrants [interprovinciaux], ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de services, pas de fonds monétaires associés pour qu’on puisse aider. On les aide, et avec plaisir, mais de façon bénévole. »

Selon elle, la francophonie de la province est « vibrante », mais manque de fonds. Un manque d’argent qui va au-delà des services d’accueil.

« On continue quand même à survivre, on continue à faire nos activités grâce à la vocation et à la passion des gens qui sont là, qui ont le français dans leur cœur, dans leur corps, dans leur âme », dit-elle.

La communauté derrière les chiffres

« Un des facteurs qu’on ne considère pas dans ces chiffres est le côté un peu plus qualitatif », déclare Daniel Boucher, qui prend les données avec un grain de sel.

« Les chiffres nous préoccupent, mais ne nous consomment pas, assure le directeur général. Ce ne sont pas les chiffres qui guident nécessairement nos actions. Nos actions sont guidées par notre passion pour notre communauté. »

Il y a quelques années, la SFM a présenté un bilan de toutes les activités qui ont eu lieu au cours de l’année dans la communauté francophone. « Il y en avait des milliers. Ce n’est pas exagéré de dire qu’il y a des choses qui se passent tous les jours dans la communauté.

« Je pense qu’on a une communauté en santé, poursuit-il. Quand on regarde le nombre d’écoles francophones et d’immersion ou l’amélioration lente, mais graduelle de l’offre de services en santé et d’autres, on a une communauté qui a une vitalité importante. »

Isabelle Laurin, directrice générale de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), ressent elle aussi, malgré les chiffres de Statistique Canada, « un dynamisme quand même assez important » dans la francophonie albertaine.

« On le voit à travers les réseaux sociaux, des photos d’activités où il y a des centaines de personnes, se félicite-t-elle. Autour des écoles aussi, hier et en début de semaine, il y avait les barbecues de la rentrée, alors c’est plusieurs personnes qui partagent ces photos-là et on voit le dynamisme qui existe. »

Elle explique qu’en Alberta, l’état du français ne se voit pas « à l’épicerie ou à la banque, mais dans des contextes sociaux, que ce soit des spectacles, des festivals, des clubs de lecture, des activités pour les jeunes, un rassemblement sportif ».

Miser sur l’immigration

Malgré le dynamisme de la francophonie dans la province, l’ACFA ne ferme pas les yeux face au déclin du poids démographique et mise sur l’immigration pour renverser la tendance.

Daniel Boucher espère que l’immigration et l’augmentation du nombre de personnes qui apprennent le français compenseront pour la proportion en baisse des francophones.

En Saskatchewan, la diminution des proportions de francophones n’est pas fatale, estime Denis Simard, le président de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF).

« L’augmentation des nombres est quand même importante pour nous, concède-t-il. La communauté fransaskoise continue de croitre et de grandir. C’est qu’elle ne grandit pas au même taux que l’anglophonie qui nous entoure. »

La solution selon lui : établir une cible réparatrice de l’immigration francophone.

« Avec l’immigration qui arrive, nous avons une communauté qui se transforme, remarque Denis Simard. La nature même, les mœurs, les traditions de notre communauté changent. Évidemment, ce sont des bonnes choses. »