Marianne Dépelteau – Francopresse

Le premier ministre progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, a fait réviser la politique 713 sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Désormais, les parents d’élèves de moins de 16 ans doivent être informés des choix de prénoms de leurs enfants.

Le 22 aout, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé la même initiative, en plus de rendre obligatoire le consentement des parents pour les cours d’éducation à la sexualité, dont le contenu devra leur être rapporté au préalable.

Le premier ministre, Scott Moe, serait prêt à utiliser la clause nonobstant, qui permet de contourner temporairement certains droits de la Charte canadienne des droits et des libertés.

Consentement des parents

Six jours plus tard, c’était au tour de l’Ontario d’emboiter le pas aux deux autres provinces. Le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford n’a toutefois pas précisé s’il y aurait un projet de loi ou une révision des politiques.

La première ministre progressiste-conservatrice du Manitoba, Heather Stefanson, a elle aussi promis d’étudier l’élargissement des droits des parents dans les écoles si elle était réélue.

Au fédéral, les membres du Parti conservateur du Canada (PCC), réunis pour un congrès il y a deux semaines à Québec, ont voté à 69,2 % en faveur d’une résolution destinée à interdire les transitions de genre des mineurs.

Le premier ministre, Justin Trudeau, s’est prononcé contre cette résolution. À ses yeux, les débats clivants sur les personnes trans n’ont pas leur place au Canada.

Pour Pierre Poilievre, qui n’a pas encore explicitement dévoilé son opinion sur cette résolution, l’enjeu est de compétence provinciale. « Laissez les provinces gérer les écoles et laissez les parents élever les enfants », avait déclaré le chef du PCC lors d’un évènement à Moncton, en juin dernier.

« Une grande distraction »

Selon Alexa DeGagne, professeure agrégée en études sur les femmes et le genre à l’Université d’Athabasca en Alberta, la question de l’identité de genre des enfants sert les politiciens à plusieurs égards.

« Ça donne aux gens un ennemi commun, analyse-t-elle. Si vous avez peur que quelque chose de mauvais arrive à des gens, peu importe à quel point c’est fondé, cette peur peut être manipulée pour unir les gens les uns contre les autres. »

Elle explique que l’émotion suscitée par l’orientation sexuelle et l’identité de genre facilite la manipulation : « Ce sont des sujets incroyablement intimes, personnels et émotionnels. »

Sur un sujet tabou qui « les effraie », les gens auront moins tendance à vérifier l’information, rendant la propagation de fausses informations plus facile. « C’est un sujet très frais que vous pouvez infuser avec tout ce que vous voulez. »

L’opinion des Canadiens

Selon un sondage d’Angus Reid publié en aout, 78 % des Canadiens estiment que les parents devraient être informés si leur enfant souhaite changer d’identité de genre ou de pronoms. Tandis que 43 % pensent que les parents devraient consentir à ce changement.

La chercheuse considère aussi le débat comme étant « une grande distraction ».

« Ce genre de tactique politique a une longue histoire. On l’a vu dans des temps d’échecs politiques, économiques, de la guerre, de l’inflation, il y a une tendance où certains gouvernements ou politiciens vont utiliser des populations marginalisées comme des boucs émissaires. »

Elle donne l’exemple de la crise du sida dans les années 1980 qui a conduit à une diabolisation des homosexuels plutôt qu’à une réflexion sur le fonctionnement des systèmes de santé.

L’histoire se répète

Aux yeux de Francesco MacAllister-Caruso, doctorant en science politique à l’Université Concordia à Montréal, le débat autour de l’identité de genre des enfants reste lié à l’avancée des droits 2ELGBTQIA+ et à la visibilité de la communauté.

Selon lui, « une peur de perdre un peu le contrôle social sur les enjeux queers et trans » s’est développée. « C’est là que vraiment les mouvements d’opposition ont commencé. »

D’après lui, cette querelle politique mijote depuis quelques années seulement, mais de vieux arguments refont surface.

« Il y a, dans ce discours-là, ce qu’on appelle la politique de la contagion. C’est la peur que le fait d’exposer les enfants aux personnes queers et trans aille en quelque sorte les convertir à notre idéologie. […] Aujourd’hui, on veut utiliser le même genre de discours, la protection des droits des enfants, sans aller jusqu’à dire que les personnes trans sont des abominations qui vont mener à la [destruction de la] société. »

Une « corde sensible »

De son côté, Alex Tétreault, activiste queer originaire de Sudbury en Ontario, considère que les politiciens parlent des enfants, « parce que c’est une corde sensible ».

« En misant sur l’angle des enfants, la protection des enfants, en exploitant aussi en quelque sorte le manque de sensibilisation et de connaissance de la population générale face à ces enjeux-là […] je pense qu’il y a quand même un gain électoral », explique-t-il.

« Si vous parlez d’enfants, soudain, les gens sont très intéressés et très réactifs et c’est quelque chose sur lequel vous pouvez miser pour les faire voter », confirme Alexa DeGagne.

Alex Tétreault rappelle que la politisation de ce genre de question n’a rien de nouveau. « Pour les personnes queers et les communautés marginalisées de façon générale, on est politisé, notre existence, nos identités, nos expériences sont politisées malgré nous. »

L’activiste regrette la façon dont les politiques abordent cette question. « Je pense qu’il y a des acteurs qui font de la politicaille de mauvaise foi. Ce n’est pas une vraie conversation politique, c’est de la rhétorique extrémiste, c’est de la démagogie, ce n’est pas de la politique comme j’aimerais que ce soit. »