L’eau a toujours été centrale en Amérique du Nord. L’histoire des peuples autochtones s’appuie largement sur cette ressource pour le commerce et pour des pratiques traditionnelles. L’arrivée et l’activité des Européens en Amérique du Nord, elles aussi, sont liées à l’eau, ne serait-ce que les réseaux de traite traversés par les voyageurs. 

L’importance de cette res-source élémentaire est soulignée par Niigaan Sinclair, professeur en langues autochtones à l’Université du Manitoba. Dans sa vision de la réconciliation, l’eau est un élément central. « De plusieurs manières, l’eau est le plus grand défi à mesure que l’on avance. » 

Il précise : « Je ne veux pas oublier l’importance de la terre. Une des luttes les plus importantes pour les personnes autochtones a été leur relation avec les terres et les droits qu’ils revendiquaient au Canada. » 

La Terre n’est pas un espace qui peut animer la vie si elle n’a pas d’eau, ou du moins d’eau saine. Pour Niigaan Sinclair, ça remonte à la genèse de la Terre dans certaines histoires traditionnelles autochtones. « Notre histoire de Création parle de notre relation avec l’eau, autant si pas plus que notre relation avec la terre. »

Un défi toujours contemporain 

Aujourd’hui, il observe que la lutte continue pour établir et comprendre la place de l’eau dans le quotidien de la vie manitobaine. « Même le mot Winnipeg, on dit que ça veut dire eau sale ou trouble. Ce n’est pas vrai. Ça veut dire les algues de surface, autrement dit le ataagib. La vie, la nourriture, la croissance dans l’eau. Les choses qui donnent vie à l’eau. » 

La dimension historique, elle aussi, est présente. Lors de fouilles archéologiques à La Fourche, la chose la plus abondante trouvée a été des os de poissons. 

« Des millions! C’est ça que les gens mangeaient quand ils se retrouvaient et quand ils faisaient des échanges. Ce sont ces poissons qui ont permis aux gens de survivre. Cette relation avec l’eau soutient la vie depuis toujours. » 

L’eau au Manitoba est une ressource indispensable, c’est un trait déterminant de la province, qui porte aujourd’hui le nom du deuxième plus grand lac dans ses frontières. 

Selon Niigaan Sinclair, il reste du travail à faire pour commencer à valoriser l’eau de façon concrète et non pas en apparence. 

« On vide les égouts dans la rivière Rouge, on a coupé tous les arbres le long des rivières, alors il y a maintenant des inondations tous les ans. Les marais et les criques asséchés étaient des systèmes de filtration, on doit maintenant en construire des nouveaux. 

« C’est pour ça qu’on a tellement d’algues bleu-vert sur le lac Winnipeg. On a pollué le tout. On a pris de l’engrais, du shampoing, des eaux d’égouts et des poubelles pour les envoyer dans le lac Winnipeg, et l’eau reste prise là puisque des barrages hydroélectriques bloquent le flot au nord du lac. » 

Des exemples frappants 

Le problème de l’eau au Manitoba, c’est plus que juste la pollution. Dans ses écrits, Niigaan Sinclair a déjà mentionné le non-respect des lois de la part du Canada. « L’eau est utilisée comme une arme. Si on parle de non-respect des lois, le Canada a tendance à utiliser l’eau pour exploiter les peuples autochtones. » 

En 1970, le gouvernement du Manitoba a accordé un permis à Hydro Manitoba qui lui permet, encore aujourd’hui, de réguler le niveau d’eau du lac Winnipeg. Ce permis permet la production de plus d’électricité hydroélectrique en dirigeant l’eau. 

Toutefois, le professeur signale que la mise en pratique de cette loi a été vécue durement par les communautés autochtones de la région. « Ce sont toutes les communautés autochtones qui vont être inondées. Je garantis qu’ils ne vont pas faire inonder Gimli, ce sera plutôt Peguis, Fisher River et Sandy Bay. 

Lutte

« On ne peut pas se promener au centre-ville de Winnipeg sans rencontrer des gens qui ont été forcés à quitter leurs terres à cause d’inondations. Plusieurs des gens qui couchent au centre-ville partagent cette expérience. Il est possible de tracer un lien direct entre le déplacement de populations à cause de l’eau et un certain nombre de tentes au centre-ville. » 

Si cet exemple devait manquer de convaincre, il y en a plus sur lesquels insister, assure le professeur. L’histoire de la réserve autochtone Shoal Lake 40 est toujours d’actualité. En 1919, la Ville de Winnipeg a construit un aqueduc pour acheminer l’eau du lac Shoal à Winnipeg afin de la traiter et de s’en servir comme eau potable. Tout en laissant les habitants du lac sans ce même accès à l’eau potable jusqu’en 2021. 

« J’étais à Shoal Lake 40 il y a quelques semaines. Combien de temps ont-ils dû lutter pour avoir accès au Manitoba par la nouvelle route qui a été construite, et surtout combien de temps ont-ils dû attendre pour avoir accès de l’eau potable? Le gouvernement a passé des lois pour voler leur eau », rappelle Niigaan Sinclair. 

Comment améliorer la situation? 

L’universitaire et écrivain avance qu’il est question d’attention publique. Que sans le regard et l’engagement de la population, ces choses ne changeront pas. « C’est quand le gouvernement provincial se retrouve dans l’embarras devant ses électeurs que les choses changent. » 

Cependant, il tient à souligner certains progrès. « Je pense que dans le tourisme, les Autoch-tones agissent pour étendre l’éducation au sujet de l’eau. Ça donne une nouvelle perspective. Après tout, notre relation avec l’eau doit être rectifiée et c’est une façon de le faire. » 

Il souligne également l’accès à l’eau potable pour Shoal Lake 40 comme un changement positif. « Je trouve que le mouvement des églises unies et de certaines églises catholiques ou protes-tantes dans Winnipeg, qui se sont alliées avec Shoal Lake 40 pour les aider à avoir accès à l’eau potable, a été une bonne chose. » 

Bien entendu, cette aide a été la bienvenue. Néanmoins, comme l’explique Niigaan Sinclair. « C’est Shoal Lake 40 qui a fait le gros du travail, les marches, les manifestations et autres ». 

Projets et plans

Il souligne également des projets pour la protection et la santé de cours d’eau dans la province. 

Certaines choses doivent encore être définies. Il propose que la question de l’identité d’autochtone se joue sur plusieurs plans. « On dit souvent qu’une personne n’est pas juste autochtone par son patrimoine génétique, mais aussi par ses actions ». Il insiste alors : « Tes actions déterminent aussi ton identité. » 

Niigaan Sinclair tisse des liens entre les actions et la langue de son peuple, l’Anishinaabe, qui est davantage basée sur les verbes que le français ou l’anglais qui s’attardent plus souvent sur les noms. « L’eau n’est jamais inactive, elle est en mouvement constant. Notre langue devrait nous inspirer à se mouvoir de la même façon que l’eau, un mouvement infini. 

« Ce n’est pas vraiment une question de verbes ou de noms. Mais, l’Anishinaabe s’efforce de travailler avec le courant de la Création, et quand tu travailles avec ce courant, il est possible d’aller plus loin et d’aller plus vite. C’est l’image de nager contre ou avec le courant. Ça, c’est ce que font les peuples autochtones, c’est aussi pour cela qu’on a pu aller si loin. »