Me Denis Guénette aurait très bien pu ne jamais devenir avocat. Quand il a commencé son bac en arts, il hésitait encore entre poursuivre des études en éducation ou en droit. Ce fut finalement le droit, « pour voir si je pouvais le faire ». Un choix plus que judicieux, au vu de son parcours.
« J’ai travaillé depuis 1994-1995 dans la fonction publique provinciale. J’ai commencé par une année de stage, puis je suis devenu avocat du côté civil. Nous sommes un peu le cabinet privé pour toute la Province. Je me suis occupé de litige civil gouvernemental, y inclus dans le domaine du droit administratif. »
En 29 ans d’expérience, Me Guénette a eu l’opportunité de plaider devant tous les niveaux de cour : la Cour provinciale, la Cour du Banc de la Reine (aujourd’hui du Roi), la Cour d’Appel, et même la Cour suprême du Canada. Il a aussi plaidé devant des commissions et tribunaux administratifs.
« De 2004 à 2007, j’étais détaché auprès de la Commission municipale du Manitoba, donc j’ai également siégé sur des panels de la commission », ajoute-t-il.
Son parcours et son expérience, toujours dans la fonction publique provinciale et au service de l’intérêt public, lui ont d’ailleurs valu des distinctions. En 2012, il est nommé avocat général par le ministère. Me Guy Jourdain, avocat, en explique le sens : « C’est un titre honorifique au sein du ministère de la Justice. Être nommé avocat général, ça veut vraiment dire qu’on se distingue par rapport aux autres, qu’on ressort du groupe. »
Me Guénette ajoute qu’il y a aussi dans ce titre « un élément de leadership, mais de leadership par l’exemple ».
Six ans plus tard, il est devenu chef de section pour le contentieux civil, l’une des six sections du côté du civil. « Là, j’avais un rôle de leadership plus formel, précise-t-il. Je supervisais toute une équipe de 14 avocats et j’étais responsable de la bonne avancée de tous les dossiers de litige civil, pour toute la Province. »
Et en septembre 2022, il s’est proposé pour devenir directeur des services juridiques, c’est-à-dire superviseur des six sections.
Une belle surprise
Quand il a appris sa nomination comme juge à la Cour provinciale, bien qu’il ait posé sa candidature pour devenir juge et suivi tout le processus d’entretien, Me Denis Guénette était très surpris et fier. Non seulement il ne s’attendait pas à être nommé aussi vite, mais la manière de l’apprendre était aussi inhabituelle.
« Normalement, on l’apprend par téléphone. Mais il se trouve que ce jour-là, j’avais un rendez-vous de travail au Palais législatif. Donc le ministre de la Justice a pu me donner la nouvelle en personne. Je ne m’y attendais pas du tout, je croyais qu’on allait discuter d’un autre dossier! »
L’autre raison de sa surprise, c’est que la Cour provinciale traite d’affaires principalement criminelles. Ce ne sont pas le genre d’affaires traitées au côté civil. Il est donc plus courant de voir nommés des avocats de la défense ou des procureurs de la Couronne, puisqu’ils ont de l’expérience dans le criminel.
Me Guénette remarque tout de même qu’« on voit qu’il y a de plus en plus de place à la Cour provinciale pour d’autres expériences. Moi-même, j’ai eu beaucoup d’expériences connexes et je suis certain que ça a joué en ma faveur ».
Les enjeux de la francophonie
Il a tout de suite eu une pensée pour son père décédé, qui aurait beaucoup aimé être avocat. « Il a fait carrière comme comptable, mais il m’a confié quand je suis devenu avocat qu’il aurait voulu être avocat. Alors quand j’ai appris que j’avais été nommé à la Cour provinciale, je pouvais l’imaginer dansant de fierté avec mon ancienne assistante, elle aussi partie trop tôt! »
Pour Guy Jourdain aussi, la nomination de Me Denis Guénette est une nouvelle à célébrer. « Me Denis Guénette est un juriste vraiment compétent, très intelligent, posé, à l’écoute et très réputé. Sa nomination est une excellente nouvelle.
« De plus, il est parfaitement bilingue depuis l’enfance et a été très actif au sein de la communauté francophone. Il comprend donc très bien les enjeux de la francophonie. »
Il note aussi qu’avec l’immigration francophone qui augmente, « il y a de plus en plus de causes impliquant des personnes qui ne comprennent que le français, et de plus en plus d’accents différents. Or quand on est francophone de naissance, c’est plus facile pour comprendre les différents accents français ».
« Il y a de plus en plus de causes impliquant des personnes qui ne comprennent que le français, et de plus en plus d’accents différents. Or quand on est francophone de naissance, c’est plus facile pour comprendre les différents accents français. »
Me Guy Jourdain
La francophonie dans le sang
En effet, le nouveau juge à la Cour provinciale est très attaché à sa communauté. Originaire de Saint-Boniface, il a toujours parlé français et été à l’école en français. Pour étudier le droit, il a choisi l’Université McGill où il a suivi le Programme national, une formation bi-juridique bilingue qui incluait la Common Law et le Code civil. Mais toujours avec l’objectif de retourner exercer dans son Manitoba natal et d’offrir un service dans les deux langues officielles.
Entre 2008 et 2022, on a pu le voir dans de multiples conseils d’administration d’organismes communautaires, dont Francofonds (2010-2011), le Festival du Voyageur (2009-2016, trésorier), la Société de la francophonie manitobaine (2017-2020, secteur juridique) et l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (2008-2022, secrétaire et trésorier).
« J’ai également fait du bénévolat à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba comme entraîneur des étudiants pour le concours bilingue Laskin, de 2014 à 2021, et comme enseignant de la classe de droit administratif dans le cours de terminologie juridique en français depuis 2011. C’est important pour moi de contribuer à ma communauté dans les domaines qui m’intéressent. Mon père m’a montré l’exemple. Il s’impliquait aussi beaucoup. »
« Quand on parlait d’offrir un service en français [au début de ma carrière], [certains fonctionnaires] répondaient Pourquoi ne pas l’offrir dans toutes les autres langues dans ce cas? Cette attitude a entièrement changé aujourd’hui. Tout le monde comprend la place spéciale du français. Tout le monde y est sensible. »
Me Denis Guénette
À la cour provinciale
Me Denis Guénette compte d’ailleurs bien continuer dans son nouveau poste à servir en français tous ceux qui le souhaitent. Mais bien que seul Franco-Manitobain à la cour, il ne sera pas seul à pouvoir répondre à la demande francophone.
« Depuis les années 1990, quel que soit le parti politique au pouvoir, la Province s’est assurée de toujours avoir au moins trois juges bilingues à la Cour provinciale. En plus de moi, les juges Lee Ann Martin et Murray Thompson à Winnipeg, et Jean McBride à Portage- la-Prairie, sont parfaitement bilingues.
« Et la cour est organisée pour permettre à tous d’exercer en français. Les bureaux des procureurs provincial et fédéral ont tous les ressources pour réagir à l’exercice du droit dans les deux langues sans besoin de traduction. »
Il rappelle aussi qu’en mai 2023, la Société du Barreau du Manitoba a amendé le Code de déontologie afin de reconnaître les lois bilingues et faciliter le recours à un avocat en français.
Une situation bien différente de ses débuts de carrière, quand « beaucoup de fonctionnaires étaient peu réceptifs au français. Quand on parlait d’offrir un service en français, ils répondaient Pourquoi ne pas l’offrir dans toutes les autres langues dans ce cas? Cette attitude a entièrement changé aujourd’hui. Tout le monde comprend la place spéciale du français. Tout le monde y est sensible ».
Toujours pas de francophone à la Division de la famille
S’il est vrai que la Province est sensible à l’importance d’avoir des juges francophones ou bilingues en poste pour mieux servir la communauté francophone, du côté de la Division de la famille à la Cour du Banc du Roi, on déplore toujours un manque de francophones.
« Ça va faire cinq ans qu’il n’y a aucun juge bilingue qui siège à la Division de la famille, depuis le départ de Me Marianne Rivoalen, regrette Me Guy Jourdain, avocat. C’est un vrai problème, surtout avec l’immigration de plus en plus importante. »
L’un des obstacles selon lui, c’est qu’il n’y a « pas de poste vacant actuellement. Il faudrait donc nommer un juge bilingue à la Division générale, avec une clause disant que si un poste se libère à la Division de la famille, il ou elle le prendra ».
En attendant, l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM) continue de pousser pour une nomination francophone. « On écrit des lettres au ministère de la Justice pour rappeler l’importance critique d’avoir des juges bilingues, précise Me Guy Jourdain.
« On garde espoir qu’une deuxième vague de nominations sera annoncée plus tard cet automne. Je pense vraiment que les autorités politiques reconnaissent qu’il y a une lacune et qu’ils recherchent des solutions de bonne foi. »
Il remarque d’ailleurs que depuis le départ du juge Richard Chartier, chaque juge bilingue qui partait a fait place à la nomination d’un autre juge bilingue. Il n’y a donc pas eu de baisse du nombre de juges bilingues à la Cour du Banc du Roi.
« C’est un bon acquis, mais on voudrait encore plus. Ça prend un noyau critique de juges bilingues au sein de chaque cour pour vraiment répondre aux besoins des francophones. Un ou deux par cour, ce n’est pas suffisant. »
Autre lueur d’espoir, « avec les programmes de droit en français à l’Université du Manitoba, il y aura bientôt de plus en plus de personnes issues de l’immersion capables d’exercer en français, termine Me Jourdain. On a donc des solutions pour le moyen et long terme. Le problème, c’est le court terme ».