Par Antoine Cantin-Brault.

On y trouve, entre autres, ce passage portant sur l’être humain : « et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». L’exploitation de la nature et le manque de considération éthique à son égard sont en ligne directe avec la pensée cartésienne. 

Si, selon Descartes, l’humain peut et doit devenir maître et possesseur de la nature, c’est qu’il est supérieur à tout. Ainsi, Descartes établit un humanisme qui fonctionne en excluant son autre : seuls les êtres rationnels ont une dignité et seuls les humains ont la rationalité. Cette dernière prémisse tend à devenir de moins en moins vraie, suivant ce que plusieurs recherches, sur les grands singes notamment, ont démontré. 

Descartes dit des animaux qu’ils ne sont pas rationnels. Ce qui, pour lui, revient à dire qu’ils sont des automates : leur corps mécanique est fait pour répondre simplement à des stimuli et ils sont incapables de langage. Ils sont comme ces aspirateurs robotisés dotés de senseurs et faits pour n’exécuter qu’une tâche précise. La biologie a montré depuis bien longtemps que les animaux sont bien plus que des automates. Descartes est doublement réfuté. 

Mais ce qui est plus complexe à réfuter chez Descartes, c’est sa description de l’être humain. Il dit que l’être humain diffère des animaux par la complexité de son langage et par la diversification de ses activités. C’est par son intelligence, sa polyvalence et sa liberté que l’être humain témoigne de rationalité et échappe à l’automatisation. 

Pour Descartes, aucun robot ne pourra jamais égaler le langage et le mouvement humains. Voilà qui pose problème aujourd’hui. Car l’humain a lui-même inventé des technologies qui abîment sa propre dignité. L’intelligence artificielle est presque capable de parler aussi librement que l’humain, et la robotique continue de faire des progrès qui annoncent des mouvements bien humains. 

Ici, ce n’est pas Descartes qu’il faut questionner, mais bien l’être humain. Pourquoi l’humain développe-t-il des technologies qui lui feront perdre sa spécificité? Pourquoi voulons-nous à ce point nous déposséder de ce qui fait notre nature? Pourquoi voulons-nous faire penser les machines à notre place et faire bouger les robots à notre place? 

Certes, nous continuons de développer toutes ces technologies par souci d’efficacité. Mais il y a plus : si nous laissons l’IA et les robots être humains à notre place, c’est qu’être humain est difficile. C’est une façon de nous déresponsabiliser. Une façon de nous mentir à nous-mêmes. 

Il faut refuser l’humanisme exclusif de Descartes. Nous pouvons être humains et dignes tout en accordant aussi de la dignité à ce qui nous entoure, incluant les animaux. Mais de Descartes, il faut retenir l’importance et la dignité de l’intelligence humaine. Les machines ne deviendront nos maîtres que si nous leur permettons de l’être, et cela se produira si nous refusons de prendre en charge notre dignité.