Une minorité dans une guerre qui se déroulait presque exclusivement en anglais sur le terrain. 

D’entrée de jeu, Andrew Burtch, historien spécialiste de la période post-1945 au Musée canadien de la Guerre, l’annonce, « c’est difficile de savoir exactement combien de Canadiens francophones ont servi en Corée. Il y a eu trois unités francophones, celles du Royal 22e Régiment, qui venaient à au moins 50 % du Québec. La langue de ces unités était le français. 

« Mais il y avait aussi des francophones éparpillés dans les unités anglaises, et eux, ils sont presque impossibles à calculer. S’ils pouvaient suivre des instructions en anglais, le fait qu’ils soient francophones importait peu pour leur recrutement. » 

La première rotation en Corée du Royal 22e Régiment s’est déroulée de mai 1951 au printemps 1952. « Ces soldats, 

qui s’étaient portés volontaires pour aller combattre en Corée, pensaient que la guerre était presque finie en 1951, précise Andrew Burtch. C’est sur place qu’ils ont réalisé que c’était un engagement à long terme. » 

Professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Lise Proulx a justement développé une leçon complète sur l’importance de la guerre de Corée pour les Canadiens français, dans la toute nouvelle ressource pédagogique bilingue : La participation du Canada à la guerre de Corée – Enquête, pensée historique, et action citoyenne (voir article en page 15).

« Il y a beaucoup à apprendre de l’expérience des Canadiens français en Corée, affirme-t-elle. Cette histoire n’est pas assez racontée. Saviez-vous par exemple que René Lévesque, Premier ministre du Québec de 1976 à 1985, avait été journaliste de guerre en Corée? » 

Sur le terrain, l’anglais restait le plus souvent la seule langue utilisée. C’était notamment la langue de communication des Nations unies. Le français n’était que la langue de vie à l’intérieur du Royal 22e Régiment. 

« C’était difficile sur place pour les francophones, raconte 

Lise Proulx. Tout était en anglais. On pouvait trouver de quoi se divertir ou lire en anglais, mais pas en français. Alors quand un soldat trouvait un journal en français, même vieux, il faisait le tour de tout le monde! » 

En outre, Andrew Burtch indique que « les Américains n’avaient pas beaucoup de patience pour les Canadiens français qui communiquaient en français sur les ondes radio ». 

L’historien précise cependant qu’une utilisation du français restait parfois possible. 

« Dans la division de l’ONU, de nombreux officiers, souvent Britanniques étaient bilingues et pouvaient communiquer avec le Royal 22e Régiment en français. Et les Chinois, qui étaient au courant que le Royal 22e Régiment parlait français, diffusaient des messages de propagande en français. » 

Des soldats canadiens distribuant de la nourriture à la population locale pendant la guerre.
Des soldats canadiens distribuant de la nourriture à la population locale pendant la guerre. (photo : Gracieuseté Musée canadien de la Guerre)

Générosité francophone 

Parmi quelques actions menées par les soldats franco-canadiens en Corée, Lise Proulx a notamment découvert les Charités Khahi du Royal 22e Régiment. Elle raconte : « Il y avait un surplus de rations de nourriture de soldats qui allaient être gaspillées, alors que la population locale avait faim. Donc le sergent-major Maurice Juteau a commencé à distribuer cette nourriture aux Coréens pauvres. 

« L’opération a été appelée Charités Khaki en l’honneur de la couleur de l’uniforme canadien. Je pense que ça a fait du bien au moral des troupes de faire du bien au peuple autour d’eux. » 

Andrew Burtch met en perspective : « Il y a une grande tradition chez les soldats Canadiens, francophones comme anglophones, d’aider les populations locales affectées par la guerre. On trouve toujours plein d’histoires où l’armée canadienne a aidé les populations, leur a apporté de la joie d’une façon ou d’une autre. » 

Le Royal 22e Régiment avait même adopté un petit Coréen orphelin âgé de six ans, Nong Joo Noh, qu’ils avaient surnommé Willie Royal. 

« C’était une chose assez commune, que les soldats canadiens se prennent d’affection pour des enfants proches de leurs lignes, explique Andrew Burtch. Ils leur donnaient du chocolat, des petits cadeaux. » 

Dans le cas de Willie Royal, le Royal 22e Régiment l’avait recueilli à l’été 1951 près de Séoul et fait membre honoraire du régiment. Il avait même reçu son propre uniforme de l’armée canadienne et possédait sa propre couchette avec son sac de couchage. 

Il avait aussi un petit emploi rémunéré 25 cents et trois pommes par semaine au magasin du quartier-maître. 

« C’était vraiment la mascotte du Royal 22e Régiment. Plus tard, après la guerre, les Anciens combattants ont même financé ses études. » 

« Il y a une grande tradition chez les soldats canadiens, francophones comme anglophones, d’aider les populations locales affectées par la guerre. On trouve toujours plein d’histoires où l’armée canadienne a aidé les populations, leur a apporté de la joie d’une façon ou d’une autre. »

Andrew Burtch
Des soldats canadiens avec de jeunes enfants Coréens.
Des soldats canadiens avec de jeunes enfants Coréens. (photo : Gracieuseté Musée canadien de la Guerre)

Quelques personnages marquants 

Parmi les Canadiens français ayant servi en Corée, quelques noms sont restés dans l’histoire, selon Andrew Burtch. 

« Il y a notamment les héros de la bataille de la colline 355 en novembre 1951, Léo Major et Jacques Dextraze, du 2e bataillon du Royal 22e Régiment. Une bataille clé de la guerre, qui s’est terminée par la victoire défensive du bataillon. » 

L’historien donne des détails : « La colline 355, une position très stratégique dans le conflit car c’était la plus haute de la vallée, était aux mains des États-Unis, donc aux alliés. Mais face aux forces chinoises, les Américains avaient battu retraite. 

« Le soldat Léo Major, déjà un héros de la Seconde Guerre mondiale, et sa vingtaine d’hommes, tous membres du bataillon de Jacques Dextraze, ont défendu avec ténacité la colline 355 contre une armée de Chinois. Ils ont réussi à tenir la ligne, achetant du temps jusqu’à ce que les troupes américaines puissent venir renforcer leurs positions. Si les Chinois avaient pris la colline 355, ils auraient fait une avancée décisive. La défaite aurait été très coûteuse. » 

Léo Major s’était déjà démarqué pendant la Seconde Guerre mondiale, recevant une médaille pour conduite distinguée pour ses actions héroïques. Grâce à la bataille de la colline 355, pour la deuxième fois, il a reçu une médaille pour conduite distinguée. Il est le seul soldat Canadien à avoir reçu cette médaille dans deux guerres différentes. 

Sept autres Canadiens ont reçu la médaille pour conduite distinguée au retour de la guerre de Corée, et plus encore ont reçu des médailles de bravoure. « Ce sont tous des héros incroyables », conclut l’historien.