Par Camille Harper et Raphaël Boutroy.

Pour les uns, ce sont des héros dont il faut continuer de commémorer le sacrifice. Pour les autres, ce sont des colonisateurs dignes d’être dévorés par les corbeaux.

Quand le vétéran Delphis Cormier est retourné en voyage en Corée du Sud avec son épouse, « nous avons été reçus comme des VIPs. Le peuple coréen était tellement reconnaissant! Ils étaient à genoux devant nous pour nous remercier! »

70 ans après la signature de l’armistice entre la Corée du Nord et la Corée du Sud le 27 juillet 1953, en effet, les Sud- Coréens n’ont aucunement oublié les sacrifices des Canadiens pour leur liberté. 

La sénatrice canadienne d’origine coréenne, Yonah Martin, le confirme, « même si le pays est toujours en guerre froide aujourd’hui, le peuple coréen n’a jamais oublié ce que les Canadiens et autres alliés ont fait pour lui. 

« La Corée invite chaque année des vétérans de la guerre pour des banquets et des cérémonies, et les Coréens sont dans les rues, ils brandissent des drapeaux. Ils les traitent comme de vrais héros. C’est très important pour eux de pouvoir montrer leur appréciation, d’autant plus que les vétérans sont de moins en moins nombreux. » 

Andrew Burtch, historien du Musée canadien de la guerre spécialiste de la période post- 1945, constate également que la guerre de Corée est loin d’être une « guerre oubliée » en Corée du Sud. Des efforts constants sont effectués pour témoigner de l’importance du conflit. 

« Beaucoup d’efforts sont faits en Corée du Sud pour permettre aux vétérans canadiens, mais aussi aux vétérans des autres pays qui ont participé à sa défense sous le drapeau de l’ONU, de visiter les sites importants comme les champs de bataille et les cimetières. » 

Doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales et chargée de cours à l’Université Paris-Cité, la Française Manon Prud’homme est spécialiste en études urbaines et études coréennes. Elle a eu l’occasion de visiter la Corée du Nord et la Corée du Sud, où elle a pu constater de ses propres yeux la présence du souvenir collectif de la guerre, mais aussi ses différences. 

Manon Prud’homme
Manon Prud’homme. (photo : Gracieuseté)

« Au Sud, les puissances étrangères de l’ONU sont vues encore aujourd’hui comme celles qui ont fait en sorte d’éviter que le Nord n’envahisse toute la péninsule. Sans leur intervention, le Sud pense qu’il aurait perdu la guerre. Sur le terrain du Musée de la guerre de Corée à Séoul, on peut voir une multitude de drapeaux des différents pays qui ont contribué à la défense de la Corée du Sud. » 

Le Nord beaucoup plus critique 

Le Nord commémore éga-lement la guerre de 1950-1953, mais le message n’est pas le même. Manon Prud’homme raconte : « La guerre ne s’appelle pas de la même manière. Au nord, on va dire que c’est une guerre de libération de la patrie. Les Nord-Coréens considéraient les Américains comme les colonisateurs, des impérialistes, et que c’était leur devoir de libérer le sud de la péninsule de leur emprise. » 

D’ailleurs, le musée de la guerre en Corée du Nord s’appelle le Musée de la guerre de libération de la mère patrie. La jeune française l’a visité en 2016 et en 2019. 

« Je me souviens notamment de la dernière salle qu’on nous a montrée, au sujet de la victoire. Les Nord-Coréens estiment qu’ils ont gagné la guerre sur les forces étrangères, même si le résultat escompté d’unification de la patrie n’a pas eu lieu. 

« Dans cette salle, il y avait un diorama grandeur nature avec des mannequins en cire très réalistes de soldats représentant les forces étrangères. Il y en avait des morts au sol, des encore debout, sur le point de se faire tuer. Il y avait même un soldat qui se faisait manger par des corbeaux, éventré. Il y avait aussi des drapeaux français, canadien, belge…, et évidemment un drapeau américain. 

« Et notre guide nous a dit Voilà, c’est notre victoire. C’est comme ça qu’on a gagné la guerre face aux puissances étrangères qui nous ont attaquées et ont occupé notre pays. Ça m’a profondément choquée. » 

Le discours envers toutes les patries qui ont aidé les Américains dans la guerre y est donc très critique, bien que limité à une salle dans le musée. 

Manon Prud’homme précise aussi que ce discours « s’est beaucoup calmé lorsqu’il y a eu le rapprochement entre la Corée du Nord et les États- Unis de Donald Trump. La propagande anti-Américains et alliés était alors beaucoup moins virulente ». 

La guerre omniprésente 

Si les Coréens n’oublient pas la guerre et ceux qui sont venus combattre, qu’ils soient vus comme des héros ou des envahisseurs, c’est aussi parce que « tout rappelle la guerre, selon les observations de Manon Prud’homme. En Corée du Nord, l’espace et la propagande sont pensés et construits pour rappeler notamment les guérillas pendant la guerre de Corée. 

« Et en Corée du Sud, le service militaire est toujours obligatoire, il y a des exercices pour la population, pour se préparer en cas de bombardements aériens, et le métro est bâti pour servir d’abri anti-bombardement. On y trouve par exemple des masques à gaz en cas d’attaque chimique, de l’eau et des vivres. »