Depuis que la Ville de Winnipeg annonçait sa fermeture à toute circulation, suite à une évaluation qui jugeait son état trop piètre pour assurer la sécurité du public. 

Comment est-ce possible? Quelle mauvaise gestion à la Ville aurait pu mener à cette situation exceptionnelle? Après tout, les premiers rapports indiquant le besoin de remplacer le pont datent seulement de 1967! 

Mais ceci n’est pas une situation exceptionnelle. Elle est plutôt le résultat inévitable du type de développement urbain que nous avons adopté depuis la Seconde Guerre mondiale. 

J’explique. 

Ce qu’on qualifie de façon imprécise comme « étalement urbain » est essentiellement le résultat d’un oubli de calculer les coûts de remplacement d’infrastructures dans nos quartiers, et dans nos villes. 

Pendant des décennies, nous avons accommodé la croissance de population par la construction de nouveaux quartiers en banlieue. Un développeur construisait toute la nouvelle infrastructure, comme les routes et les égouts, en plus des habitations qui étaient, en grande majorité, des maisons unifamiliales. Ensuite, le développement était « complet », protégé du changement pour toujours par les règles de zonage. En échange, la Ville acceptait alors de se charger du maintien et du remplacement de l’infrastructure pour toujours. 

Il est facile de se faire séduire par cette offre. Après tout, le revenu d’impôts est immédiat, et les coûts de maintien et de remplacement de toute cette nouvelle infrastructure sont encore très loin dans le futur. 

Une génération plus tard, lorsque vient le temps de remplacer l’infrastructure et que l’argent est insuffisant pour le payer, on se fie à un autre tour de croissance, et un peu de dette. On paie les dépenses de l’ancien développement avec les revenus du nouveau. 

Mais on ne peut continuer ce cycle ponzi-esque pour très longtemps avant de se mettre à perdre les pédales. 

Pour y mettre des chiffres, la Fédération canadienne des municipalités calcule que chaque unité de logement dans nos villes nécessite 107 000 $ d’infrastructure. Il faut noter que c’est une moyenne, car tout style de développement ne nécessite pas une même intensité d’infrastructure, un point qu’on revisitera un peu plus tard. 

Peu importe, c’est un montant moyen passé à l’acheteur de chaque unité construite, contribuant ainsi à la crise de logement abordable. Mais de plus, pour que ce type de développement soit durable, il faudrait ensuite que chaque propriétaire de logement paye 1 070 $ par année afin de pouvoir remplacer l’infrastructure à tous les 100 ans, ou 2 140 $ si on vise tous les 50 ans. Et c’est juste pour le remplacement, ça ne compte pas encore le maintien ni les services publics, qui serviraient à tripler, quadrupler (ou plus!) cette somme. Si le montant que vous payez en impôts semble grossièrement insuffisant en comparaison, c’est qu’il l’est. 

La Ville de Winnipeg est insolvable, détenant une obligation de maintien et de remplacement de milliards de dollars d’infrastructure en excès de ses moyens financiers. Il est donc inévitable, à mesure que les années avancent, de voir de plus en plus la panne, suivie de l’abandon total, d’une grande partie de notre infrastructure. L’infrastructure arrivera à la fin de sa vie, on n’aura pas les fonds pour la remplacer, donc on ne la remplacera pas. 

Bien que le pont Arlington soit le plus gros morceau d’infrastructure à en arriver là à date, il est loin d’être le premier : la piscine Norwood, le centre communautaire Kelvin, le parc John Blumberg, et j’en passe. Ce ne sera pas non plus le dernier. 

Et la Ville ne pourra pas se fier à la Province ou au Fédéral pour la secourir, car ils prennent leur argent du même endroit qu’elle : de nos poches. Ce n’est pas la Ville qui manque d’argent pour payer, c’est nous. 

Mais notre situation n’est pas sans espoir. Retenons que plus de 88 % de notre infrastructure n’est que routes, ponts et conduites. 

On peut donc arrêter d’aggraver le problème avec des expansions routières. Si on se retrouve dans un trou, on arrête de creuser. 

Ensuite, on devra accepter le changement au sein de nos quartiers. La région métropolitaine de Vancouver a calculé que les coûts des infrastructures liées directement au développement de maisons unifamiliales étaient de 5 à 9 fois plus élevés par habitant que celles liées au développement multifamilial. À Ottawa, il a été démontré que l’aménagement de terrains vierges de faible densité COÛTE à la Ville 465 $ par personne annuellement, tandis que l’aménagement de terrains intercalaires de forte densité lui RAPPORTE 606 $ en revenus nets par habitant par année. 

Oui, accepter la construction d’un duplex, triplex ou quadruplex à côté est un changement. Mais un pont (ou une piscine) qui ferme d’urgence pour ne jamais rouvrir est un changement aussi. C’est à nous de décider lequel de ces changements nous préférons revoir dans l’avenir.