En particulier pour les fermiers, qui sont encore trop réticents à chercher de l’aide en dépit de leur métier difficile.

En mars 2021, l’organisation à but non lucratif Manitoba Farmer Wellness a vu le jour. Sa mission est assez simple : l’organisation manitobaine propose de récolter, de manière anonyme, les appels de détresse des agriculteurs et fermiers de la province, et de servir d’intermédiaire pour les mettre en relation avec des psychologues. 

« Nous leur offrons six séances par an, explique Marcel Hacault, président du CA de Manitoba Farmer Wellness. S’ils reviennent l’année suivante, ils ont de nouveau six séances gratuites. » En fonction des cas, six séances peuvent parfois faire la différence; soit pour aller mieux, ou pour provoquer un déclic. 

« D’expérience, certaines personnes réalisent que consulter un psychologue en vaut la peine et poursuivent les séances en payant de leur poche. »

Fraîchement retraité, Marcel Hacault a fait carrière auprès de l’Association canadienne de sécurité agricole (ACSA), où il a eu l’occasion de « toucher un peu à ces problématiques-là ». Aux côtés entre autres, de Gerry Friesen, fermier et grand défenseur de la santé mentale, leurs expériences respectives leur ont permis de mettre en place un système de soutien vers lequel les fermiers ont moins de réticences à se tourner. D’où la volonté d’offrir le choix de l’anonymat aux agriculteurs. « On pose quelques questions, comme leur âge, leur genre, leur région et le type de ferme qu’ils ont. C’était important que ça reste confidentiel car il existe encore un tabou autour de la détresse mentale chez les fermiers au Manitoba. » 

Et c’est contre ce tabou que Manitoba Farmer Wellness livre sa plus grande bataille.

Car la détresse est bien réelle. Avec près d’une centaine de personnes aidées la première année, Marcel Hacault, sans pouvoir donner de chiffres précis, confirme que la demande n’a cessé d’augmenter depuis 2021. Il note cependant : « Je ne sais pas si on a plus de monde parce qu’on a plus de visibilité ou parce qu’il y a plus de détresse. »

Marcel Hacault
Marcel Hacault, président du CA de Manitoba Farmer Wellness. (photo : Marta Guerrero)

De l’aide en français

Finalement, pour offrir le meilleur soutien possible et convaincre les fermiers de faire le premier pas, Marcel Hacault fait valoir que le choix des partenaires n’a pas été laissé au hasard. 

« Nous sommes allés chercher des conseillers et conseillères qui connaissent et comprennent le milieu de l’agriculture, indique le président. Ce que les recherches nous ont démontré, c’est que les fermiers préfèrent parler à des gens qui les comprennent. » Ainsi, quatre conseiller(e)s travaillent avec Manitoba Farmer Wellness, dont une conseillère bilingue, en la personne de Lise McMillan. 

Psychologue spécialisée en thérapie familiale basée à Steinbach, Lise McMillan constate elle aussi une sorte de stigmatisation, alimentée par plusieurs facteurs. 

« Cela fait un peu partie de leur éthique de travail, des valeurs enseignées par les générations précédentes. Il faut travailler dur, très dur, pendant longtemps, en ignorant le burn out et le besoin de parler de ses difficultés. Montrer ses émotions ou des signes de fatigue, c’est perçu comme un signe de faiblesse. » 

Pour la psychologue, les stéréotypes expliquent en partie la peine à aller chercher de l’aide. Elle poursuit : « Ils pensent qu’il y a quelque chose de honteux à demander de l’aide pour un malaise psychologique. Mon grand-père était fermier à Saint-Pierre-Jolys, et lorsque je parle de ce que je fais à ma grand-mère, elle ne comprend pas. Eux autres ne parlaient pas de ces choses-là. On ne parlait pas d’anxiété, on disait : ça ira mieux demain. »

Bien entendu, comme le souligne Lise McMillan, cela s’applique aux hommes comme aux femmes. 

D’où vient la détresse? 

C’est bien connu, le métier de fermier est un métier difficile, et ce, peu importe le type d’exploitation. On ne compte pas les heures supplémentaires. Et les vacances? Ce n’est même pas la peine d’y penser. La fatigue morale n’est donc pas surprenante. Mais Lise McMillan pointe du doigt d’autres facteurs. « La crise du climat et de l’économie, et les inquiétudes qu’elles apportent, créent un contexte qui est assez unique à notre époque. En tant que fermier, on ne sait jamais si on aura assez de pluie, assez de soleil, etc. Vivre dans l’incertitude chaque jour, ça pèse sur le système nerveux, ça affecte la manière dont on régule nos émotions. C’est un stress chronique qu’il faut gérer année après année. » 

Comme le précise la psychologue, cela s’applique d’autant plus au Manitoba qu’il connaît depuis trois ans des étés empreints de sécheresse. Certaines difficultés se trouvent aussi là où on ne les attend pas forcément : « Souvent, les agriculteurs travaillent avec les membres de leur famille, au sein d’une communauté, souligne la psychologue. Et ça présente des défis et du travail au niveau de l’intimité. Ça peut aussi être une force. »

Finalement, même si leur situation est particulière en vertu de leur métier, « les fermiers sont des humains ». Alors que la saison hivernale approche, Lise McMillan confie que c’est la saison pendant laquelle elle travaille le plus auprès des exploitants agricoles. « En été, ils sont occupés. Mais je pourrais travailler avec davantage de fermiers. Beaucoup ont besoin d’aide mais ne la demandent pas. » Un constat inquiétant, voire sinistre, puisqu’elle ajoute : « Beaucoup ont des pensées suicidaires ces temps-ci, c’est quelque chose qui revient beaucoup. » (1)

Cependant, sans chercher à dédramatiser la situation, Marcel Hacault et Lise McMillan estiment tous les deux que le voile autour de la détresse mentale et de la recherche d’aide professionnelle se dissipe petit à petit. Du côté du président du CA de Manitoba Farmer Wellness, on constate : « Les gens parlent beaucoup plus de santé mentale qu’il y a 20 ans. Quand je finissais ma carrière avec l’ACSA, on voyait déjà une réduction des marqueurs sociaux de honte. Plus de fermiers étaient prêts à demander de l’aide. » Lise McMillan corrobore cette observation. « Le tabou change, surtout avec les plus jeunes générations. Ils sont plus connectés, entendent parler de santé mentale. Ils trouvent leur voie, un équilibre. Mais ils n’en parlent pas avec leurs parents, grands-parents. Ce sont eux qu’il faut aller chercher. »

(1) Si vous avez besoin d’aide, vous pouvez prendre rendez-vous avec l’un des quatre psychologues du programme Manitoba Farmer Wellness, directement sur le site web ou en contactant le 204-203-0574. Il existe aussi une ligne d’écoute d’urgence disponible 24/7 : 1-833-456-4566.