Environ 150 femmes de l’industrie ou qui envisagent y faire carrière ont assisté à cet évènement où une quarantaine de panélistes prenaient la parole pour parler de leurs expériences et des défis du milieu aujourd’hui.
Il y a deux ans, en 2021, un groupe de 15 femmes professionnelles de l’industrie du film et du cinéma se sont mises ensemble pour créer une conférence annuelle, la Canada’s SWIFT Conference, pour Supporting Women in Film Trades (Soutien aux femmes dans les métiers du cinéma). Parmi elles, une seule francophone, la réalisatrice et productrice de films franco-manitobaine, Danielle Sturk.
« On a fondé SWIFT car on manque de main-d’oeuvre dans les métiers du cinéma aujourd’hui, en particulier de femmes, explique Danielle Sturk. Le côté technique de l’industrie, c’est-à-dire la caméra, le son, l’éclairage, le maquillage, les costumes, les accessoires, etc., est spécialement concerné par ce manque de femmes. »
En effet, les femmes qui travaillent dans cette industrie sont souvent victimes de sexisme et de micro-agressions au travail. « Ça arrive trop souvent, déplore Danielle Sturk. C’est un milieu qui semble constamment dangereux pour les femmes, donc elles quittent. »
Elle-même se souvient avoir été ignorée par d’autres sur certains plateaux car elle était femme, même si elle était leur supérieure. « Si on est plus de femmes, on pourra rééquilibrer les forces sur les plateaux », pense-t-elle.
Refléter la diversité
Ce déséquilibre est d’ailleurs un problème qui touche l’ensemble de la société selon la cinéaste, puisque les femmes sont moins mises en avant par les réalisateurs hommes, et quand elles le sont, elles ne reflètent pas assez la diversité.
« Quand le réalisateur est un homme, les personnages féminins ont plus de chances d’être jeunes et minces, et d’avoir des rôles secondaires, constate-t-elle. C’est donc important qu’on ait des femmes dans l’industrie, pour avoir d’autres messages et montrer d’autres types de femmes à l’écran. C’est important de pouvoir se voir à l’écran. »
Des chiffres collectés par l’organisme québécois Réalisatrices équitables l’illustrent : en 2020-2021, le premier rôle d’un film réalisé par un homme n’a été confié à une femme que dans 28 % des cas. Et les personnages féminins dans les réalisations masculines étaient âgés de 20 à 39 ans dans 48 % des cas. (1)
Des budgets moindres
De plus, selon le rapport On Screen 2023 de l’organisme Women in View, les budgets accordés aux projets cinématographiques d’origine féminine sont moindres que ceux accordés à des projets venant d’hommes.
Par projet et producteur, l’investissement moyen pour une fiction est de 456 218 $ pour les femmes et personnes issues de la diversité des genres, mais de 725 951 $ pour les hommes. Pour un documentaire, c’est 135 233 $ en moyenne pour les femmes et personnes issues de la diversité des genres, et 168 925 $ pour les hommes. (2)
L’objectif de la conférence était donc d’identifier les barrières, mais aussi d’inspirer et d’encourager les femmes et les personnes s’y identifiant qui se lancent dans l’industrie du cinéma ou de la télévision, quelle que soit la branche, à « s’affirmer et prendre sa place pour rendre les plateaux plus équitables et diversifiés, martèle Danielle Sturk.
« Il ne faut pas se laisser discréditer parce qu’on est femme. Il ne faut pas baisser les bras et laisser les gens nous abattre. Notre but avec SWIFT, c’est que ce soit aussi facile pour un homme que pour une femme de faire son travail. Et le seul moyen pour ça, c’est de rendre cette industrie plus accueillante pour les femmes en créant une communauté de femmes leaders et inspirantes. SWIFT, c’est ça. »
Des limites compréhensibles
Certes fondatrice de SWIFT, Danielle Sturk n’en reste pas moins consciente de ses limites. Des limites qui peuvent cependant se comprendre.
« Le problème de SWIFT aujourd’hui, c’est que c’est une conférence seulement pour les femmes et les personnes qui s’identifient femmes. Il n’y a pas d’homme participant dedans. Or le vrai changement ne sera possible que quand on réussira à rejoindre et convaincre les hommes. Sans leur appui, le boys club ne changera pas.
« Mais dans un premier temps, c’était important de créer un environnement accueillant et sécuritaire pour les femmes, un lieu où elles pouvaient s’exprimer librement, sans peur d’être intimidées. Un lieu de confiance. »
Une stratégie qui convenait parfaitement aux intéressées. En effet, « la conférence était déjà complète un mois avant sa tenue, souligne la co-fondatrice franco-manitobaine. Ça montre bien l’intérêt définitif des femmes pour ce genre d’évènement ».
Danielle Sturk tient toutefois à préciser que si un certain nombre d’hommes dans le milieu du cinéma et du film font encore preuve de sexisme et de discrimination envers les femmes, voire de comportements inappropriés, les femmes ont tout de même aussi beaucoup d’alliés parmi les hommes.
« J’ai déjà travaillé avec des hommes producteurs, réalisateurs ou membres de l’équipe technique qui avaient une tolérance zéro envers le harcèlement sexuel et qui n’hésitaient pas à le rappeler », raconte-t-elle.
La conférence Canada SWIFT est de portée nationale, et c’est la première et la seule au Canada dédiée uniquement aux femmes.
Pour l’édition 2023, le Centre culturel franco-manitobain s’était par ailleurs allié à l’évènement en commanditant la réception de clôture avec deux musiciens francophones pour l’animer : Wilbert Chancy, originaire de Haïti, et Andrina Turenne, Franco-Manitobaine et Métisse.
(1) https://stats.realisatrices-equitables.com/
(2) https://womeninview.ca/wp-content/uploads/WIVOS23-FR-COMPLETE.pdf