Si l’éducation n’en reste qu’à l’immanence, elle risque bien de créer des « idiots-savants », selon l’expression du philosophe québécois Thomas De Koninck. 

L’immanence, ce sont les choses réelles, les choses que l’on peut toucher et voir et qui viennent en exemplaires limités. La transcendance, c’est le sens des choses, ce qui ne se touche pas, ni ne se voit, mais qui, parce qu’il dépasse la finitude réelle, peut être universellement partagé. 

Prenons un exemple simple. La Joconde, le tableau peint par Léonard de Vinci au 16e siècle et présenté au Louvre à Paris, est une chose immanente. Comme il n’en existe qu’un exemplaire, il faut jouer du coude pour pouvoir l’admirer et prendre sa photo. 

Mais le sens de cette oeuvre est transcendant : le sourire énigmatique de Mona Lisa nous fera certainement ruminer un certain temps, un temps qui dépassera la vue immanente de l’oeuvre. Ce sens a plus de valeur que la toile même : la toile a certainement une valeur monétaire inestimable, mais le sens, sur lequel on ne peut mettre un prix, est d’une profondeur abyssale. 

Les élèves parisiens sont certainement bien chanceux de pouvoir aller admirer La Joconde, là n’est pas notre point. 

De manière générale, il faut que l’éducation dépasse l’immanence et enseigne la transcendance. Elle ne doit pas s’en tenir à la finitude réelle, plutôt élever la personne vers un sens autour duquel elle pourra construire sa vie. 

Lorsqu’une certaine éducation a pour but de former des travailleurs, elle s’en tient à l’immanence. Ceci n’est pas un problème en soi : il faut bien se trouver un métier et gagner un salaire. Mais elle ne peut s’en tenir à ce plan, car alors elle ne permet pas de former la personne entière. La personne, point de rencontre du singulier et de l’universel, a besoin à la fois d’une activité immanente et tout aussi bien d’une réflexion transcendante sur le sens de la vie en général. En fait, à quoi sert l’activité immanente lorsqu’elle est dénuée de sens? À quoi bon consommer quand on ne sait pas digérer? 

Le système d’éducation a malheureusement tendance à négliger certaines disciplines qui, justement, ont plutôt pour but la transcendance. L’art est un parent pauvre de l’éducation, les sciences humaines aussi, alors même qu’elles offrent diverses perspectives sur l’origine et l’avenir de l’humain. Et pourtant, c’est une crise de sens qui attend une société incapable de sortir de l’immanence. Ce sont des « idiots-savants » que forme alors l’éducation : fins spécialistes, ignorants de leur propre personne. 

Le véritable danger de ne s’en tenir qu’à l’immanence est la violence. Car lorsque l’immanence devient le seul sens possible, c’est la grande compétition pour l’amour-propre et la propriété, dans laquelle personne ne sort indemne. L’immanence referme sur soi; la transcendance ouvre sur soi et sur le monde.