Le Dr Sean Carleton est professeur adjoint au Département d’histoire et au Département des études autochtones à l’Université du Manitoba. Il est spécialisé dans l’histoire des pensionnats autochtones, il a publié plusieurs articles au sujet du négationnisme des écoles résidentielles, il a même donné, à l’occasion de la Journée nationale de Vérité et de Réconciliation, une conférence sur le sujet au Musée des Beaux-arts de Winnipeg.

Alors que plusieurs personnes, comme l’interlo- cutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes, Kimberly Murray, appellent à inscrire dans le Code criminel le négationnisme des écoles résidentielles. D’autres pensent que sans éducation, cet outil légal n’aurait pas l’effet escompté.

Dr Sean Carleton souligne en effet qu’« une de mes préoccupations sur un outil législatif est que s’il n’est pas efficace pour prévenir ou arrêter les incidences du négationnisme, les négationnistes utiliseront alors l’existence de l’outil législatif pour disposer d’une plus grande plateforme. Ils diront : vous voyez, le gouvernement canadien essaie maintenant officiellement de nous faire taire. Parce qu’il y a un sentiment chez ces personnes de persécution.

« Si l’outil législatif est mis sur la table, mon espoir est que cela se produise, qu’il puisse y avoir des engagements plus importants pour l’expansion de l’éducation, pas seulement primaire, secondaire, mais l’éducation publique au sens large. »

Niigaan Sinclair, professeur en études autochtones à l’Université du Manitoba, abonde dans le sens de son collègue. « Je ne sais pas si les poursuites pénales sont la solution. Je pense que l’éducation est la solution. Je ne pense pas qu’il faille punir les gens pour leur discours parce que je suis quelqu’un qui croit en la liberté d’expression. Par contre, lorsque certaines personnes publiques tiennent ce genre de discours, elles doivent être tenues responsables.

« Le négationnisme des pensionnats est le produit d’une éducation erronée. Nous en sommes tous responsables. Pendant 150 ans, le système éducatif canadien a enseigné à chaque Canadien que l’histoire des Autochtones n’avait pas d’importance. Nous ne pouvons pas nous étonner que des Canadiens aient des préjugés et soient racistes. »

Niigaan Sinclair
Niigaan Sinclair, professeur en études autochtones à l’Université du Manitoba. (photo : Ophélie Doireau)

Identifier le négationnisme

Le Dr Sean Carleton souhaite rappeler que le négationnisme des écoles résidentielles, « ce n’est pas nécessairement le fait de nier que le système des pensionnats existe ou a existé. Le négationnisme est une façon de déformer ou de dénaturer les faits de base d’un sujet afin d’ébranler la confiance du public. »

Dans le cas des pensionnats autochtones, le négationnisme peut ralentir les efforts construits pour atteindre la vérité et la réconciliation.

Alors, comment reconnaître le négationnisme au cours d’une conversation? Dr Sean Carleton donne quelques pistes à surveiller. « Des gens diront : c’était bien intentionné, ou c’était de l’époque, et nous ne pouvons pas vraiment critiquer le passé sur la base des valeurs d’aujourd’hui, ou encore : bien que des abus aient eu lieu, ils n’étaient pas aussi graves que les survivants le disent, ou il n’y apaseudedécès,ous’ilyaeu des décès, ils étaient inévitables.

« Il s’agit donc toujours d’essayer de réorienter le récit sur les pensionnats, soit de manière positive, soit en essayant de minimiser le récit négatif, en essayant d’écarter l’idée que les pensionnats constituent un génocide. » D’ailleurs, pour le Dr Sean Carleton, le négationnisme est l’étape ultime d’un génocide.

Cette minimalisation des faits est donc un discours fréquent chez les néga- tionnistes. Au Manitoba, l’ancien ministre progressiste- conservateur responsable des Relations avec les Autochtones, Alan Lagimodiere avait d’ailleurs, quelques minutes après son assermentation en juillet 2021, déclaré que les personnes qui administraient les pensionnats autochtones « pensaient faire ce qu’il fallait ». Ces discours sont de plus en plus fréquents dans l’espace public. La sénatrice conservatrice Lynn Beyak avait, elle aussi, fait les manchettes en 2017 pour avoir déclaré qu’il y avait de bonnes intentions derrière les pensionnats autochtones.

Un spectre du négationnisme

Pour Dr Sean Carleton, le négationnisme vient aussi avec l’image que renvoie le Canada. « L’une des raisons pour lesquelles les gens agissent ainsi, selon les spécialistes des études sur le génocide, est qu’il est difficile pour les gens de reconnaître que leur pays a été fondé sur un génocide ou qu’il l’a perpétré.

« Ces affirmations créent une dissonance cognitive entre la vision que l’on a de soi et celle que l’on a de son pays. Et beaucoup de Canadiens adhèrent à l’idée que le Canada est une société pacifique, tolérante et multiculturelle qui traite tout le monde sur un pied d’égalité. »

À noter que pour le Dr Sean Carleton, il existe un spectre du négationnisme. Pour lui, certaines personnes sont parfaitement conscientes de ce qu’elles font et pour d’autres, elles s’y engagent sans vraiment le vouloir. « Je pense que l’une des raisons est que les gens veulent défendre le pays dans lequel ils vivent et la façon dont ils ont compris leur propre identité à travers une construction étroite du Canada en tant que royaume pacifique.

« Et lorsque cela est remis en question, ils se sentent personnellement investis. Ils s’engagent donc dans le négationnisme pour renforcer leur propre identité et apaiser leurs sentiments de culpabilité. Ils se protègent en quelque sorte eux-mêmes et l’identité qu’ils associent à leur pays. »

L’éducation approfondie

Mais si ces discours arrivent encore trop souvent, c’est que l’éducation sur les pensionnats autochtones n’est pas encore assez approfondie aux yeux du Dr Sean Carleton. « Murray Sinclair disait : C’est l’éducation qui nous a mis dans ce pétrin et c’est l’éducation qui nous en sortira. J’y crois profondément. Les négationnistes capitalisent sur le fait que la plupart des gens n’ont pas fait un examen détaillé de l’histoire. Mon argument est que si plus de gens sont éduqués de manière plus approfondie à ce sujet, la prochaine fois que quelqu’un à la fontaine d’eau minimisera des faits sur les pensionnats autochtones, la personne sera capable, parce qu’elle détient les informations, de répondre et de contrer son argument. Et c’est là que c’est intéressant pour toute la société. »

Outre un outil législatif qui pourrait, certes, dissuader quelques discours, le Dr Sean Carleton tend à ce que la société canadienne connaisse correctement son histoire et son passé. « C’est là que nous devons arriver au Canada. Non seulement les gens doivent savoir que les pensionnats ont existé, mais ils doivent comprendre l’histoire profonde et nuancée. De sorte qu’en temps réel, ils sont en mesure de réfuter ces points de discussions négationnistes. Ainsi, le négationnisme ne sera pas un mouvement viable parce que personne ne les croira parce qu’ils comprennent la vérité, la vérité compliquée de ce système. »