Cet arrêt portait, entre autres, sur une question d’interprétation d’un texte de loi dans sa version française et anglaise. Une demande qui a renforcé les prises de position pour l’accès à la justice dans les deux langues de la juge en chef du Manitoba, Marianne Rivoalen.

C’est l’arrêt 5185603 Manitoba Ltd et alv Government of Manitoba et al, 2023 MBCA 47 qui a rappelé que la version française d’une loi a autant de force de loi que la version anglaise.

Sans entrer dans les détails de la cause, la version française d’une disposition dans la Loi d’exécution du budget de 2020 était plus limitée que sa version anglaise.

Cet appel avait été entendu en octobre 2022, avant que les tribunaux manitobains décident de modifier, en avril 2023, leurs règlements pour que les avocats incluent dans leur mémoire les deux versions des textes de loi. C’est une demande qu’avait fait l’Association des juristes d’expression française du Manitoba en 2021.

Fortement intéressée par l’accès à la justice dans les deux langues officielles, Marianne Rivoalen est arrivée à la tête de la Cour d’appel en juin 2023. Dès son entrée en poste, cet arrêt et les enjeux autour de l’accès à la justice en français sont arrivés sur sa table. « En rentrant en poste, j’ai eu une demande spéciale de Me Guy Jourdain, conseiller stratégique à l’AJEFM, de faire la traduction de l’arrêt. C’était une question linguistique alors ça me semblait faire du sens de l’avoir en français. J’ai donc envoyé l’arrêt et en une semaine, j’ai reçu la traduction. Et là, en comparant les deux versions, y a quelque chose qui a déclenché une petite alerte en moi.

« Je dois préciser que la traduction n’était pas horrible ni fausse. Mais quand il est question de nuance, de terminologie, une bonne traduction, c’est important. Une personne qui n’était pas juriste aurait pensé que c’était correct. Mais quand il est question de l’interprétation d’une disposition d’une loi, ça me tracassait. »

D’où l’importance d’avoir des personnes bilingues dans le système judiciaire, sans cette lentille, l’arrêt n’aurait pas été traduit ou alors une version litigieuse aurait été publiée. Marianne Rivoalen le reconnaît elle-même. « Mais une personne unilingue anglophone n’aurait pas vu que cette traduction n’était pas forcément bonne. D’où l’importance de juristes bilingues. »

De sa propre initiative, la juge en chef a alors envoyé la traduction de l’arrêt à une autre personne pour révision. « J’ai demandé à une personne de confiance de faire une révision. Cette personne a fait une très bonne correction et c’est cette version que j’ai envoyée pour publication dans les deux langues officielles. »

Quels traducteurs dans les tribunaux?

Après avoir constaté un souci dans la traduction, Marianne Rivoalen a pu apporter la question à un autre niveau. « C’est à ce moment que j’ai soulevé le problème de traduction lors d’une de nos rencontres avec le sous-ministre adjoint à la Justice, Dave Wright. Ce n’est pas nécessairement le ministère de la Justice qui est responsable pour la traduction, c’est un autre département de l’appareil gouvernemental. Mais c’est lors de cette rencontre que j’ai appris qu’il n’y avait plus de traducteurs pour la Cour. Tout est à la pige. »

En 2018, sous le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Pallister, la Province avait aboli 11 postes de traducteurs. Le gouvernement avait justifié cette décision en disant vouloir passer par des pigistes pour soulager la charge de travail des traducteurs de la Province. Parmi ces coupures, certaines touchaient les postes dans les tribunaux. « C’est aussi là que j’ai appris que l’interprétation était aussi à la pige. C’est évidemment quelque chose qui nous affecte moins à la Cour d’appel. Mais pour les traductions, c’est quelque chose de très important. Au Manitoba, nous devrions avoir au moins une ou deux personnes clés pour faire ce travail de traduction. »

C’est donc une préoccupation centrale pour l’accès à la justice dans les deux langues officielles comme le souligne Marianne Rivoalen. « C’est préoccupant surtout lorsqu’il est question d’arrêts. L’arrêt doit être bien traduit parce que les avocats vont s’appuyer sur les arrêts pour plaider leurs causes. C’est quelque chose qui fait avancer la jurisprudence et si ce n’est pas clair c’est préjudiciable pour les justiciables. Un arrêt doit être clair. Sans contestation possible. Autrement, sans clarté, il peut y avoir plus de discussions à la Cour et c’est du temps dans le système de justice. »

La Cour d’appel compte huit juges à temps plein dont deux bilingues (la juge en chef, Marianne Rivoalen et la juge, Anne Turner) et cinq juges surnuméraires dont deux bilingues (le juge Marc Monnin et la juge, Holly Beard). Marianne Rivoalen affirme que « j’aimerais évidemment qu’il y ait plus de nominations bilingues. Les justiciables ont le droit de procéder dans la langue de leur choix. J’ai des collègues qui prennent des cours de français chaque semaine. Mais ils ne sont pas au niveau d’entendre des causes en français.

« Mais c’est encore plus important d’avoir des juges bilingues dans les cours de première instance. Je pense particulièrement à la division de la famille, c’est hyper important. C’est un besoin de la communauté. »