La plupart des nouveaux mots surgissent dans la langue comme des herbes folles dans un jardin, sans que l’on sache vraiment qui les a créés et semés.

En filant la métaphore horticole, on peut dire que les dictionnaires jouent plutôt un rôle de botanistes ou de jardiniers des mots, selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.

La première catégorie est celle des dictionnaires « descriptifs », comme Le Petit Robert et Le Petit Larousse. Leur principale fonction consiste à répertorier tous les mots d’usage courant – y compris les plus récents – et à en donner la définition, tout comme les botanistes recensent et décrivent toutes les plantes qu’ils observent, sans en omettre aucune.

La seconde catégorie est celle des dictionnaires « prescriptifs » (ou « normatifs »), tels que le Dictionnaire de l’Académie française (https://www.dictionnaire-academie.fr/). Contrairement aux précédents, ils ne recensent pas tous les mots d’usage courant, mais uniquement ceux qui répondent aux normes du « bon français »; ils font aussi la chasse aux anglicismes, accusés de dénaturer la lan-gue française, de même que les jardiniers arrachent sans pitié les mauvaises herbes pour préserver l’harmonie de leur jardin.

Malgré ses quelque 321 millions de locuteurs dans le monde, la langue française est un jardinet face au vaste jardin de la langue anglaise (plus d’un milliard de locuteurs). Pour protéger et renforcer leur écosystème, les francophones peuvent compter sur l’appui des terminologues, des sortes de biologistes de la langue.

Leur mission consiste à créer des expressions et des mots français – c’est-à-dire des néologismes – pour remplacer les termes anglais désignant les nombreuses nouveautés technologiques, culturelles et sociales originaires des États-Unis et qui s’exportent à l’échelle mondiale. Concrètement, il s’agit de proposer aux locuteurs francophones d’utiliser, par exemple, les termes « diffusion en continu », « balado » et « visionnage en rafale » plutôt que streaming, podcast et binge watching. Dans ces trois cas précis, la bataille est loin d’être gagnée.

Mais il y a aussi des victoires. L’une des plus éclatantes a été remportée par le néologisme « logiciel », inventé par l’ingénieur français Philippe Renard en 1970. Un demi-siècle plus tard, Philippe Renard reste un héros méconnu, mais son beau « logiciel » a supplanté l’anglais software dans toute la francophonie. Il a même donné naissance à une famille de mots qui continue de grandir (tutoriel, didacticiel, progiciel, gratuiciel, etc.).

À l’heure actuelle, deux organismes publics sont particulièrement actifs dans le domaine de la création terminologique : l’Office québécois de la langue française (OQLF) et la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF, France). Le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Par exemple, la CELF n’a guère convaincu les francophones avec son « mot-dièse » (hashtag) et moins encore avec son « mél » (email). Quant au verbe « divulgâcher » proposé par l’OQLF pour remplacer l’anglicisme « spoiler », il peine à s’imposer dans l’usage près de dix ans après sa création.

Mais l’OQLF peut aussi se vanter d’avoir créé bon nombre de néologismes au succès durable, tels que « courriel » (email), « pourriel » (spam), « clavardage » (chat) ou « mot-clic » (hashtag). Et sa liste des 12 meilleurs néologismes de 2023 contient quelques belles trouvailles qui méritent de prospérer, comme « ralentourisme » (slow tourism) (1).

À nous, locuteurs et locutrices, d’utiliser et de diffuser ces néologismes s’ils nous plaisent; car en matière de langue, les terminologues proposent, mais le peuple dispose.

(1) https://urlz.fr/peTu. Voir aussi le palmarès 2023 des nouveaux mots du correcteur Antidote, qui contient quelques pépites comme « trottinettiste » (personne qui se déplace en trottinette) et « télévorer » (binge watch) : https://urlz.fr/peTG.

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