Une reconnaissance qui traduit peut-être un changement de regard sur les histoires autochtones.
Produite par Les films Rezolution et parue en mai 2023, la minisérie de six épisodes LITTLE BIRD s’est offerte plusieurs chances de se voir récompensée lors de la 12e cérémonie des Prix Écrans canadiens.
En effet, avec 19 nominations, il ne serait pas surprenant de voir la série repartir avec une petite statuette dorée, le soir du 31 mai 2024. Entre autres, la minisérie a été nominée dans les catégories : meilleure série dramatique, meilleure réalisation, meilleure direction photographique ou encore meilleurs costumes.
En tout cas, du côté du co-fondateur de la boîte Les films Rezolution, Ernest Webb, qui est aussi l’un des producteurs de la série, on ne cache pas sa fierté. « Lorsque l’on a entendu la nouvelle, j’étais sous le choc. Je ne m’attendais pas à 19 nominations. C’est un témoignage de tout le travail accompli. Les gens qui ont pris part au projet ont donné le meilleur d’eux-mêmes dans cette série. »
Pour ce producteur cri de la Baie James, cette mise à l’honneur de LITTLE BIRD ne vient pas saluer seulement une oeuvre cinématographique.
C’est l’aboutissement de plusieurs décennies de travail. « Ma femme, Catherine Bainbridge, et moi-même nous avons créé Les films Rezolution en l’an 2000, et j’ai le sentiment que nous sommes arrivés à une nouvelle ère pour la narration autochtone. C’est une grande responsabilité à assumer, donc nous sommes très heureux de faire partie de cela. » Et justement, LITTLE BIRD est un récit autochtone.
Un sujet important
Enlevée à son foyer, dans la réserve de Long Pine, en Saskatchewan, Bezhig Little Bird, est alors “adoptée“ par une famille juive de Montréal. Elle devient alors Esther Rosenblum. La série invite à suivre cette jeune femme autochtone dans la quête de son passé et la recherche de sa famille d’origine. Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de Katherine Strongwind, une survivante de la Rafle des années 1960 qui témoignait dans les pages de La Liberté le 26 juillet 2023. À juste titre, c’est bel et bien la Rafle, qui sert de toile de fond à l’histoire de LITTLE BIRD.
Pour Ernest Webb, cela explique en partie l’accueil positif que la série a reçu. « La Rafle des années 1960 est quelque chose qui n’a pas encore vraiment été raconté. Les gens savent beaucoup des pensionnats autochtones, de la colonisation. Mais la Rafle n’a jamais vraiment été mise sur le devant de la scène. Je pense que de raconter cette histoire a touché beaucoup de gens, en particulier ceux qui ont vécu la Rafle.
« Nous avons reçu tant de messages positifs de la part de survivants, certains nous ont d’ailleurs aidés à raconter cette histoire », le producteur ajoute d’ailleurs sur le ton de l’anecdote : « Nous avons même fait la connaissance d’une dame qui a elle aussi été adoptée par une famille juive montréalaise. Ça a été un vrai travail de collaboration. »
Du courage
LITTLE BIRD est une série dramatique qui traite d’un sujet qui relève du traumatisme pour près de 20 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits, aujourd’hui adultes (1).
Cette dimension, il faut la prendre en compte dans le processus de création. « Il y a bien sûr une sorte de protocole qu’il faut suivre lorsque l’on raconte ce genre d’histoires. L’une des qualités qu’il faut en premier lieu, c’est du courage. Il ne faut pas craindre de s’attaquer à ces histoires-là, et il faut les approcher avec beaucoup de respect. Pour l’histoire, pour les personnes qui sont concernées et pour la façon dont on veut la raconter.
« Une fois que l’on a fait preuve de respect, l’histoire prend vie, elle prend un esprit et il faut honorer cet esprit. Il existe un tas d’histoires qui méritent d’être racontées et je pense qu’il était temps que celle-ci soit entendue. »
Le temps du changement
Le cinéma, si l’on se fie à la définition du romaniste et philologue français Joseph Bédier, c’est « un oeil ouvert sur le monde ». En cela, il permet de faire ressortir ses réussites, ses travers, mais aussi ses changements.
À la question de savoir s’il pensait que le cinéma pouvait jouer un rôle important sur le chemin vers la Vérité et la Réconciliation, Ernest Webb confie qu’il a le sentiment que des bouleversements s’opèrent au sein de l’industrie du 7e art, que « c’est à notre tour [cinéastes et conteurs autochtones] de briller ». Le producteur prend à titre d’exemple l’actrice Lily Gladstone, actrice autochtone qui a été nominée aux Oscars pour sa performance dans le film de Martin Scorcese, Killers of the Flower Moon.
« Il y a eu un vrai changement lorsqu’il s’agit d’acceptation, pas seulement chez le public, argue-t-il, mais aussi chez les diffuseurs. Auparavant, nous avions beaucoup de mal à proposer des histoires autochtones aux diffuseurs.
« Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’ouverture et nous sommes heureux de faire partie de ce mouvement. » À propos de l’intérêt grandissant du public pour les histoires autochtones, Ernest Webb pense qu’il est dû en partie au fait que « les histoires viennent dorénavant de nous, de nos coeurs et nos esprits. »
Toucher un large public
La force du 7e art c’est aussi qu’il touche un large public. Alors si le milieu laisse plus de place aux Autochtones pour narrer leurs histoires, par extension, il leur permet potentiellement d’éduquer et de toucher un plus grand nombre de personnes.
« Le conte est quelque chose de sacré, quelque chose de lourd de responsabilités, que l’on ne peut pas prendre à la légère. Pour moi, mon premier public, ce sont les peuples autochtones, ma famille là-bas à la Baie James, c’est pour eux que je raconte ces histoires. Mais si le conte se diffuse dans le reste du monde, cela le rend d’autant plus précieux. »
(1) Il s’agit là d’une estimation. Dans son livre Care and Adoption in Canada (1980), le travailleur social et auteur H. Philip Hepworth estime qu’environ 20 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont été enlevés de force à leur famille pendant la Rafle des années 1960. Il n’existe toujours pas de données officielles en ce qui concerne cet épisode de l’histoire.