C’est une affaire de la Colombie-Britannique qui a été portée jusqu’à la plus haute instance juridique du pays. Avec cette décision, le Britanno-Colombien, Franck Yvan Tayo Tompouba, accusé d’agression sexuelle, aura le droit à un nouveau procès dans la langue officielle de son choix.

Du côté des organismes qui défendent les droits linguistiques dans le monde juridique, c’est évidemment un message fort qu’ont envoyé les juges. Me Guy Jourdain, ancien directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM) et avocat qui a œuvré pour les droits linguistiques, assure que « ce jugement confirme le caractère fondamental des droits linguistiques dans les tribunaux canadiens ».

Me Rénald Rémillard est le directeur général de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc.(Photo : Gracieuseté)

Me Rénald Rémillard, directeur général de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc (FAJEF), souligne que « dans le Code criminel, il est inscrit que tu peux avoir le procès dans la langue de ton choix. L’enjeu est que, fréquemment, les avocats de la défense, les procureurs de la Couronne ou bien les juges n’informent pas les accusés de ce droit.

« Dans le cas présent, tout s’est déroulé en anglais et l’accusé n’a pas été informé de ses droits de pouvoir procéder en français. »

Un phénomène fréquent

À son grand regret, c’est quelque chose qui est assez fréquent lorsqu’il y a une minorité linguistique dans une province anglophone. Me Rénald Rémillard explique : « Les gens se disent qu’ils sont dans une province anglophone alors ils procèdent en anglais. Sauf qu’un accusé a le droit d’être informé sur le droit d’avoir un procès dans la langue de son choix. » 

Me Guy Jourdain
Me Guy Jourdain a œuvré durant toute sa vie professionnelle pour les droits linguistiques dans le monde de la justice au Canada. (photo : Archives La Liberté)

Me Guy Jourdain rejoint son confrère. « La partie 17 du Code criminel canadien garantit très clairement un procès pénal en français ou en anglais à l’échelle du pays. Les tribunaux, les institutions judiciaires doivent alors prendre des mesures proactives pour s’assurer que les accusés sont au courant de leur droit à un procès en français ou en anglais. Dans ce cas, il y a eu des lacunes. Mais ce n’est pas un phénomène unique de la Colombie-Britannique, on en retrouve un peu partout au pays. »

Les conséquences de ne pas avoir été informé peuvent donc être multiples. Dans le cas de l’affaire R. c. Tayo Tompouba, les juges de la Cour suprême ont tranché qu’il doit y avoir un nouveau procès. Retour à la case départ. Me Rénald Rémillard suggère qu’il vaut mieux prévenir que guérir. « Tout recommencer signifie des délais, des coûts pour l’administration de la justice. Pour prévenir tout cela, il faut avertir les justiciables de leurs droits. Il suffit simplement d’énoncer une phrase : vous avez le droit à un procès dans la langue de votre choix, souhaitez-vous procéder en français ou en anglais? »

À qui la charge de l’information

Si la théorie peut sembler simple, la pratique l’est un peu moins. En effet, à qui revient la charge d’informer l’accusé sur ses droits linguistiques? Me Guy Jourdain souligne qu’« il y a tout d’abord une obligation déontologique de la part de l’avocat. C’est quelque chose de présent dans tous les codes de déontologie au Canada. Mais, l’obligation va au-delà du code de déontologie.

« Les tribunaux et les juges ont aussi l’obligation de faire connaître ce droit aux accusés et/ou de s’assurer qu’ils ont bien eu connaissance de ce droit. »

Dans sa décision, le juge en chef, Richard Wagner a notamment rappelé l’obligation aux juges de tenir informés les accusés.

« Pour faire en sorte que l’accusé puisse choisir de manière libre et éclairée la langue dans laquelle il sera jugé, le législateur impose à cette fin une obligation d’information au juge devant lequel l’accusé comparaît pour la première fois. Le paragraphe 530(3) [NDLR : du Code criminel] consacre le droit de l’accusé d’être avisé de son droit fondamental et des délais dans lesquels il doit formuler une demande pour subir son procès devant un juge ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle de son choix. Le juge doit veiller à ce que l’accusé soit avisé de son droit fondamental et des délais en régissant l’exercice, et s’il constate que l’accusé n’en a pas été correctement informé, ou encore s’il a le moindre doute à ce sujet, il doit prendre les moyens nécessaires pour que l’accusé en soit informé. »

Respect de la dualité linguistique

Me Guy Jourdain rappelle que « les droits linguistiques sont au cœur même de notre constitution. Cependant, il semble que les gens ont tendance à les prendre un peu à la légère. Ce sont des droits inviolables, intouchables. Mais dans les faits, le respect de ces droits est très variable.

« Les juges de la Cour suprême ont donc envoyé un message clair, autant aux juges qu’aux citoyens, sur le caractère inaliénable des droits linguistiques dans les tribunaux. »

Me Rénald Rémillard et Me Guy Jourdain s’accordent sur le même message. « Ce n’est pas parce qu’une personne est bilingue qu’elle perd son droit à recevoir un procès dans la langue de son choix. »

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