Pour Gérald Labossière, une voix respectée dans la sphère coopérative parce qu’il est vu comme un défenseur passionné de l’esprit de coopération, cette initiative permet de prendre un pas de recul bienvenu sur les limites économiques de la francophonie manitobaine.

Voici comment il fait valoir son analyse, dont les perspectives vont bien au-delà du vote pour ou contre la fusion envisagée, en sachant que pour sa part il votera Oui.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous préciser votre lien avec le monde coopératif? 

Je suis quasiment né dans une coopérative. Les cinq premières années de ma vie, je les ai passées à l’arrière d’un magasin coopératif à Saint-Léon. Mon père, Raynald Labossière, s’occupait de cette coopérative avec ma mère, Hélène. J’étais assis sur le comptoir et je regardais le monde. C’est comme ça que j’ai absorbé cet esprit si particulier de la vie coopérative. 

Un état de fait qui vous a été bien utile dans les années de crise du mouvement coopératif… 

Effectivement, j’ai été particulièrement impliqué au niveau des caisses populaires lors de la grave crise financière des années 1980. Des redressements significatifs s’imposaient. L’organisme chargé d’y veiller c’était l’assureur qui garantissait les dépôts des caisses populaires, appelé à l’époque le Fonds de sécurité. J’ai aidé, comme membre du cabinet Coopers & Lybrand, à mettre sur pied un programme d’inspection dans la province. C’était évidemment très intéressant de comprendre qu’un redressement était possible. Par la suite, j’ai été approché pour devenir directeur général de ce Fonds de sécurité. 

À cette époque, une évolution des caisses populaires a été vue comme nécessaire. Une volonté s’est manifestée pour regrouper les caisses urbaines. Saint-Boniface, Précieux-Sang et Parc Windsor sont devenues une seule caisse. D’autres regroupements ont eu lieu par la suite. Des arguments ont été présentés aux différentes institutions. Le tout s’est fait en collaboration avec la Fédération des caisses populaires et les caisses, elles-mêmes. 

C’était une période de grands changements, qui ont été appuyés par beaucoup de dialogues. Tout ne s’est pas fait en un mois! 

Quel regard portez-vous sur les débats en cours? 

Il est temps de regarder où nous sommes rendus dans notre évolution actuelle. Et d’examiner quelle direction nous voulons prendre. Ce qui exige à la fois de prendre en compte le gros portrait mondial et de revenir aux débuts du mouvement des caisses populaires, initié au Québec par Alphonse Desjardins avec l’appui solide de sa femme, Dorimène. On constate que le mouvement est basé sur des principes simples. 

Qui dit mouvement coopératif dit collaboration, respect, partage, participation, harmonie et, il faut le dire clairement, qui dit coopération dit amour. Ce sont des valeurs qui ont pu être égarées à un moment dans l’évolution du mouvement. 

Or de plus en plus de personnes cherchent à donner du sens à leur travail, quel qu’il soit. On est tellement pris partout, qu’on se demande parfois par où commencer pour aider à faire bouger les choses. Je suis convaincu que le mouvement coopératif est une piste de solution à cette réalité-là. 

Vous entrevoyez sans doute des éléments de solutions pour cheminer dans ce dossier… 

Il faut aller chercher plus profondément ce qui dérange. Tout en allant chercher d’autres perspectives, notamment féminines. Pourquoi est-ce que le dossier de la proposition de fusion suscite autant de débats? Peut-être tout simplement parce qu’il y a une réelle peur de porter un regard objectif sur la situation actuelle. Avec un regard objectif, c’est-à-dire un regard économique, nous devons nous questionner sur ce dont nous avons besoin en capital pour l’avenir. Et si les membres actuels sont en mesure de le fournir. 

Cela étant dit, il est clair pour moi, que le risque d’un réel problème de rentabilité continuera à augmenter dans les années qui viennent. La compétition occasionne des marges rétrécissantes et le capital de technologie nécessaire pour maintenir des solutions compétitives est restreint. C’est un temps opportun pour fusionner avec des credit union manitobaines. 

L’une des inquiétudes est aussi la préservation de la langue… 

Langue et technologie ne sont pas forcément ennemies. La plupart des gens font leurs opérations en ligne. Un investissement dans des technologies comme l’intelligence artificielle peut certainement aider à respecter la langue désirée par le membre. Parce que l’information pourra être disponible directement dans la langue de son choix. Il y a là des pistes de solutions très intéressantes. 

Il y a tout de même des personnes qui apprécient leurs services en personne… 

À Saint-Léon, mon père avait décidé de ne pas mettre d’obligation linguistique pour la gouvernance. En prenant cette approche, c’est devenu une question de prise de conscience pour la communauté tout entière. À mesure de la croissance, les francophones ont gardé des sièges au CA tout en ayant à leurs côtés des anglophones. Il y a d’autres moyens de travailler tous ensemble sans inscrire des éléments de contrôles dans les règlements. 

La francophonie est large. Avec le mouvement coopératif, on ne peut pas craindre ses voisins anglophones. Oui il faut protéger sa langue, mais dans un mouvement coopératif, le principe est l’harmonie. S’il y a suffisamment de passion pour notre langue et de sensibilisation sur ce que représente en vérité le monde coopératif, alors l’utilisation de la langue suit. 

Il est aussi question de compétences et de personnel… 

Le bassin de bilingues est assez réduit au Manitoba et à la baisse depuis 20 ans. Bien qu’il y ait plus de programmes d’études, il y a aussi plus d’occasions de travailler dans le monde des finances. Par contre, la jeune génération cherche aussi un emploi qui s’aligne avec ses valeurs, qui vont souvent il me semble dans le sens d’une plus grande ouverture, d’une plus grande humanité, de plus d’amour. Et donc pour moi, le mouvement coopératif peut jouer un rôle très positif dans la façon dont la gestion des employés est pensée. Une fusion telle que proposée représente une belle opportunité pour nos jeunes bilingues.