Cela englobe aussi les professionnels de la santé mentale, et notamment les psychologues, qui ne sont pas assez nombreux pour répondre à la demande.

Selon les dernières données récoltées par l’Institut canadien d’information sur la santé, le nombre de psychologues agréés, exerçant au Manitoba en 2021, était de 280.

Pour se faire un ordre d’idée, le Manitoba comptait alors 1 342 153 millions d’habitants. Il fallait donc compter 20 psychologues pour 100 000 habitants.

L’étude menée par l’Institut démontre qu’entre 2017 et 2021, quoique jamais drastiquement, le nombre de psychologues agréés au Manitoba n’a cessé d’augmenter. Il semble cependant que la tendance s’est inversée. Le dernier rapport de la Psychological Association of Manitoba comptait 260 « fournisseurs de services en psychologie ». 

Pour Zoé Therrien, psychologue au Centre de santé Saint-Boniface. La situation est claire, il y a un manque général de psychologues. « Et ce n’est pas seulement ici, je pense que la situation est la même partout au Canada. » Et effectivement, il semblerait que les violons s’accordent. Du côté de Manon Talbot, psychologue associée, on parle aussi de pénurie pancanadienne.

À ce propos, le Québec comptait 7 895 psychologues en 2021 ou 91 pour 100 000 personnes, soit l’un des meilleurs ratios du pays. Pourtant, la province souffre aujourd’hui d’une pénurie dans son système public.

En plus de reconnaître un manque général de psychologues, Zoé Therrien fait aussi état d’une demande particulièrement élevée.

Demande en hausse 

Le phénomène a aussi été observé par la docteure Karen Dyck, directrice générale de la Manitoba Psychological Society (MPS). « Les informations que nous avons recueillies auprès des psychologues au Manitoba (au travers d’enquêtes, mais aussi de discussions) suggèrent une augmentation significative de la demande. Malheureusement, parmi les provinces, le Manitoba avait déjà le moins de psychologues par habitant avant la pandémie, et l’augmentation de la demande ne fait qu’aggraver la situation. De nombreux psychologues en pratique privée au Manitoba ont des listes d’attente ou n’acceptent plus de nouveaux patients. Les délais d’attente pour les services de psychologie financés par les fonds publics sont extrêmement longs. »

Daniel Beaudette est le directeur général du Centre Renaissance, un organisme qui offre de l’accompagnement psychologique bilingue ici à Winnipeg. Selon lui, le centre recevrait entre quarante et cinquante demandes par mois. 

Aujourd’hui, le centre parvient à ne pas avoir de liste d’attente, mais cela ne veut pas dire que la situation est idéale. « Nous ne sommes pas dans une position qui nous permet d’aller cogner aux portes et proposer nos services parce que l’on risque d’être submergés », explique Daniel Beaudette. C’est un travail d’équilibriste auquel s’adonne le directeur, qui souhaiterait pouvoir faire plus. « J’aimerais pouvoir répondre à toutes les demandes. Mais je ne peux pas proposer de l’aide là où nous n’avons pas les ressources pour le faire. Je dois veiller à ne pas surcharger notre système. » Aujourd’hui, 9 consultants travaillent avec le Centre Renaissance, un psychologue et une psychologue associée, à savoir Manon Talbot.

« Je dirais que je vois 28 personnes par semaine. Je pourrais travailler jour et nuit », confie la psychologue dont la liste d’attente s’étend à près de trois mois. 

Dépression et d’anxiété

Les données les plus récentes publiées par Statistique Canada, et qui datent de décembre 2023, semblent concorder avec ce qui est observé sur le terrain, mais apportent tout de même une petite nuance. Les résultats publiés s’inscrivent dans le cadre d’une enquête intitulée Covid-19 et la Santé mentale. Cette dernière indique deux choses en particulier. En comparaison aux premières années de la pandémie, la proportion d’adultes ayant déclaré une santé mentale excellente était de 57 % entre février et mai 2023, soit une augmentation d’environ 5 % par rapport à l’année 2021. 

Toutefois, les symptômes de dépression et d’anxiété restent élevés. En particulier chez les jeunes adultes (entre 18 et 24 ans) qui étaient les plus susceptibles de signaler des symptômes modérés à sévères de dépression (33 %), d’anxiété (25 %) et de stress post-traumatique (15 %). Les groupes les plus concernés étant les communautés 2LGBTQ+ et Autochtones. 

Le gouvernement cana-dien estime que 15 % de la population canadienne, soit 1 personne sur 7 a recours à des services de soin en santé mentale chaque année. 

Comment remédier à la pénurie? 

Devenir psychologue est particulièrement chronophage. Pour obtenir un permis d’exercer au Manitoba, la régulation actuelle exige un doctorat en psychologie ainsi que deux ans de pratique supervisée. Seule l’Université du Manitoba offre un doctorat (PhD) en psychologie, en anglais. De plus, le nombre de places est limité. Bien souvent, il faut quitter la province pour suivre un programme similaire. Et cela soulève un autre problème. « Chaque province a ses réglementations », fait valoir Manon Talbot, qui exerçait au Québec, avant de s’installer au Manitoba. Aujourd’hui, membre, à la fois, de l’ordre des psychologues du Québec et de l’association des psychologues du Manitoba, elle peut voir des patients dans les deux provinces, mais son titre n’est plus le même. Alors qu’elle exerçait comme neuropsychologue et psychologue au Québec, « au Manitoba je suis psychologue associée », ce qui signifie que son doctorat (Ph.D) n’est pas reconnu par la Province. 

Daniel Beaudette parle aussi de « barrières » lorsqu’il s’agit d’exercer d’une province à une autre.

En fin de compte, l’aspect fastidieux de la démarche peut décourager certains psychologues à s’installer ailleurs. Manon Talbot explique qu’elle a fini par obtenir son accréditation au Manitoba après une année sans travailler. Le processus comprenait, entre autres, le montage d’un dossier important, le passage d’un examen (en anglais) ainsi qu’une entrevue.

Des solutions

C’est peut-être dans les offres de pratique supervisée que se trouve la solution. « L’endroit où tu fais tes stages va souvent chercher à te garder », dit Manon Talbot. Pour elle, le meilleur moyen de retenir les psychologues serait d’aller chercher les étudiants et de les former ici, au Manitoba. Un point de vue que partage Zoé Therrien. 

À ce niveau-là, la situation est un peu paradoxale. Les offres de formation semblent manquer, alors que la demande est clairement élevée. En ce qui concerne les pistes de solution, le projet de l’Université de Saint-Boniface de mettre en place un programme de maîtrise en psychologie est encourageant pour Daniel Beaudette, qui nuance tout de même. « Ce n’est pas facile parce que premièrement, il faut s’assurer que les jeunes qui suivent la formation soient formés dans des cliniques. Et il faut du personnel pour le faire. L’autre affaire, c’est qu’il y a peu de place où l’on peut faire des stages. Où est-ce qu’on les met ces gens-là? Si l’on est la seule place au Manitoba à offrir ces services, on n’est pas en mesure d’accepter des stages de je ne sais combien d’étudiants. Parce qu’il faut les superviser, et ça exige beaucoup de ressources. » 

Reconnaissance des diplômes pour les migrants

Pour finir, la mise en place d’une reconnaissance des diplômes pancanadienne pourrait faciliter, à la fois, l’immigration depuis l’étranger, mais aussi les arrivées depuis d’autres provinces. Au mois de janvier, le ministre de l’Emploi, Randy Boissonnault, s’était déplacé à Winnipeg pour annoncer, entre autres, la mise en place d’un programme d’accélération de la reconnaissance des diplômes pour les migrants. L’annonce avait été faite dans le cadre d’un plan de lutte contre la pénurie de main-d’oeuvre médicale. La Liberté avait alors voulu savoir si la reconnaissance des diplômes au sein d’une province en particulier serait valable dans les autres provinces du pays. À cela, le ministre de l’Emploi avait répondu que c’était son rôle de faire tomber les barrières. Sans vraiment indiquer si le gouvernement tendait vers cela. 

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté