Lors de la rencontre du comité Riel du 23 novembre 2021, une motion avait été adoptée pour ajouter les noms de Paulette Duguay et d’Ibrahima Diallo à la liste des noms réservés pour de nouvelles rues.

D’après les principaux intéressés, le projet se concrétise. Les rues Paulette Duguay et Ibrahima Diallo devraient être ajoutées à la toponymie de Winnipeg. Mais difficile de savoir quand exactement.

Interrogée à ce sujet, la Ville n’a pas pu nous éclairer davantage, puisque les rues n’ont pas encore été construites. Le courriel de réponse précisait : « Ces noms ont été proposés par le groupe McGowan Russell, pour être utilisés comme noms de rue dans un lotissement prévu. Nous n’avons pas de date précise pour la mise en place de ces noms de rue, car cela dépendra de l’achèvement du processus de demande de lotissement, dont le promoteur est responsable. L’emplacement de ces rues dépendra également des plans du promoteur pour le lotissement. »

Toponymie et représentativité

Michel Durand-Wood
Michel Durand-Wood.

Toujours est-il que les travaux de réhabilitation ont commencé sur l’immense terrain vague entre la rue Archibald et le boulevard Lagimodière. Ibrahima Diallo précise : « Ce terrain abritait les anciens abattoirs de Canada Packers, qui comprenaient des bâtiments pour la vente de bétail. Il reste encore dans le coin un vieux château d’eau en métal. D’où le nom de Tower District ou Quartier Château d’eau ».

La nouvelle est bien sûr flatteuse pour ces deux personnes. Et finalement pour toute la communauté. Winnipeg étant une ville cosmopolite et multiculturelle, il semble logique que les noms des rues, des places et des parcs reflètent la diversité.

C’est en tout cas ce que pense Michel Durand-Wood, observateur de la scène politique municipale et citoyen engagé. « Quand on parle de noms de lieux, c’est très personnel, très important pour la connexion à son environnement, à sa communauté. »

Les noms de rues permettent aussi de rendre justice à l’histoire, à l’instar du boulevard Bishop Grandin devenu Abinojii Mikanah. Du sentier Bishop Grandin renommé Awasisak Mēskanow et de la rue Grandin à Saint-Boniface renommée Chemin Taapweewin Way. Ces trois changements ont été faits dans un esprit de vérité et de réconciliation. Pour rappel, l’évêque Vital-Justin Grandin avait activement participé à la mise en place de pensionnats autochtones.

Au demeurant, Michel Durand-Wood recommande d’éviter l’utilisation de patronymes dans la toponymie. « Même si une personne est méritante et que l’idée est bonne aujourd’hui, il y a le risque que ça ne le soit plus. Parfois, la personne peut se retrouver dans la controverse. Parfois, ça prend plus de temps et l’on doit juger des personnages historiques sous la lentille de mœurs modernes. »

Il argue alors que la représentativité peut être assurée par l’utilisation de mots de diverses langues, avec toutefois des conséquences. « Ça veut dire que l’on verrait une variété de langues, qui ne seront pas toutes faciles à prononcer pour tous. »

Des critères de prononciation

De fait, en 2021, l’administration municipale s’était exprimée contre l’ajout des noms d’Ibrahima Diallo et de Paulette Duguay à la liste des noms de rues.

Les raisons invoquées alors apparaissaient dans le rapport du Comité Riel comme suit :

« Une adresse claire et concise est essentielle pour une identification rapide et une réponse rapide des services d’urgence, tels que la police, les pompiers et les services médicaux d’urgence. […] Le Service d’incendie et de secours paramédical de Winnipeg a déclaré qu’il ne soutiendrait pas les noms proposés. Sa préférence est que les noms de rue ne dépassent pas trois (3) syllabes et soient compréhensibles au niveau de la 6e année ou moins. Cela complique davantage les choses et devrait être pris en considération pour ceux qui parlent l’anglais ou le français comme deuxième langue, les appelants-enfants et les touristes de la ville. Lorsqu’une personne appelle le 911 à l’aide d’un appareil cellulaire, les services d’urgence doivent confirmer les informations de localisation à chaque fois. En cas d’urgence, lorsque les émotions sont exacerbées, une personne peut ou non savoir où elle se trouve et il y a des préoccupations concernant le fait de devoir dire ou épeler un nom long. »

Deux prononciations acceptées

Des critères qui, d’évidence, ne sont pas respectés. Pour preuve les exemples mentionnés plus tôt, comme Awasisak Mēskanow. Ou encore le boulevard Lagimodière.

Michel Durand-Wood commente: « Lagimodière est un exemple parfait. Il y a deux prononciations différentes acceptées. Celle en français, celle en anglais. Une personne peut dire l’une ou l’autre à n’importe qui et l’autre saura tout de suite de quoi elle parle. Et pour ceux qui ne prononcent aucune des deux versions, il y a le sobriquet Lag. »

À son sens, les Winnipégois sont parfaitement en mesure de s’adapter.

Pour Paulette Duguay, cette richesse phonétique est à célébrer. « C’est ce qui nous rend uniques, c’est ce qui ce qui fait la beauté du Canada. »

Les réactions des personnes honorées

Pour Paulette Duguay, présidente de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), la nouvelle a été surprenante. « Je n’en reviens pas! (rires) Lorsque Mathieu Allard m’a approchée avec ce concept-là en 2021, j’ai ri parce que je pensais qu’il plaisantait. Je trouvais que c’était une bonne farce. Mais là, je vois bien qu’il était sérieux. C’est flatteur, mais il y a tellement d’autres gens plus méritants que moi. »

L’Aînée métisse ne fait clairement pas dans la fausse modestie. « J’avais complètement oublié l’initiative de Mathieu. Et là, il y a quelqu’un d’Ottawa qui me félicite parce qu’on va donner nom nom à une rue. Je ne l’ai même pas encore dit à tous les membres de ma famille. Pour moi, c’est de la fantaisie. »

À la fois flattée et gênée, Paulette Duguay finit par rire de ne trop savoir quoi en penser. « Je me doute que c’est une reconnaissance de ma contribution envers les Métis francophones du Manitoba. C’est vrai que de ma part c’est un engagement de longue date et que j’apprécie vraiment le geste. Mais j’ai travaillé dur avec une équipe. Et puis il y a aussi eu bien des générations avant moi. Vraiment, ce n’est pas juste moi qui mérite cette reconnaissance-là. Je l’accepte volontiers, mais avec à l’esprit tous ceux qui étaient là avant moi. Je pense en particulier à ma mère, à mes grands-parents. Je les porte toujours avec moi, donc je partage l’honneur avec eux aussi. »

Alors qu’elle tirera sa révérence de la présidence de l’UNMSJM au mois de septembre, Paulette Duguay souligne tout de même « qu’après 10 ans à la tête de l’organisation, ça fait plaisir de partir avec ce petit velours-là. »

Ibrahima Diallo

Du côté d’Ibrahima Diallo, la réaction est similaire. Le professeur en microbiologie à l’Université de Saint-Boniface était en déplacement à Ottawa au moment d’écrire ces lignes. Il a tout de même tenu à réagir par courriel.

« Ce ne sont pas des choses dont on rêve, ou que l’on peut voir de son vivant. Je ne peux que remercier de tout cœur les personnes qui ont proposé mon nom. Je remercie spécialement notre fantastique conseiller municipal Mathieu Allard, qui a défendu ce dossier, les personnes qui l’ont appuyé, sans oublier son collègue Brian Mayes, le conseiller de Saint-Vital.

Je remercie aussi la communauté francophone du Manitoba d’avoir eu confiance en moi quand j’ai été élu au CA de la SFM en 1987 pour deux ans, et plus tard, en 2006, comme président de l’organisme durant cinq années. Je salue la communauté africaine du Manitoba, toutes langues confondues, pour leur confiance, leur respect.

Cette reconnaissance est aussi la vôtre. Elle magnifie cette ouverture et cette confiance qui m’ont permis d’apporter ma petite pierre à la consolidation d’une communauté fière, ouverte vers l’autre, inclusive, diversifiée, et donc plus forte. Ce geste traduit pleinement le fait que nous avons tous et toutes notre place dans notre terre d’accueil. Reconnaître les Georges Forest, Louis Riel, le boulevard Bishop Grandin devenu Abinojii Mikanah, Paulette Duguay et moi-même, entre autres, est un message d’espoir pour toute la société manitobaine, et ce pour des générations à venir. »