Pour celui qui découvre Saint-Léon, situé à près de deux heures de route au sud-ouest de Winnipeg, le bord du lac tient un peu de l’apparition.
On peut y apercevoir une salamandre géante dans l’ombre d’une pale d’éolienne de plusieurs dizaines de mètres. La statue de la salamandre semble monter la garde devant le Centre d’interprétation.
La façade colorée, parsemée çà et là d’oiseaux divers et d’amphibiens, donne un aperçu, à la fois des espèces qu’abrite le lac, mais aussi de ce que les visiteurs trouveront une fois passé les portes du lieu.
Le centre bilingue permet d’en apprendre plus sur l’énergie éolienne, les salamandres tigrées grises et l’écosystème du lac. Comme il se doit, l’accent est mis sur l’écologie.
Construit en 2004 (1), le centre existe depuis près de 20 ans. Le passage des ans n’y a rien fait : les résidents de Saint-Léon sont toujours aussi fiers de la galerie qui borde le lac.
À l’intérieur, autour d’une grande table, d’un café et de biscuits aux raisins, une poignée de résidents sont revenus avec La Liberté sur la genèse du projet. Richard Grenier a fait partie des négociations et des discussions qui ont permis d’aboutir à la construction de l’édifice qui deviendra le Centre d’interprétation. Il explique : « L’idée était de créer de l’emploi, d’encourager le tourisme. Mais surtout de protéger la nature et les salamandres. »
Il faut savoir qu’au moment des « tables rondes » préliminaires, trois projets occupaient les esprits : le parc éolien, le Centre d’interprétation et le Club pour aîné Simon-Nivon, auquel des logements abordables devaient être rattachés.
De belles ambitions au départ
Le début des années 2000 a donc été haut en couleur et chargé d’animations pour le petit village manitobain. Lucille Dufrèsne-Labossière, qui a initialement siégé sur le CA du Centre d’interprétation, s’en souvient comme si c’était hier.
« Tout le monde était épaté (par la ferme éolienne). Il y avait des camions qui arrivaient, qui transportaient des pales gigantesques, ils creusaient dans tous les fossés. Il y avait des machines partout, c’était vraiment impressionnant.
« Et les gens des alentours étaient curieux, ils venaient voir ce qui se passait. On s’est dit qu’il fallait vraiment capitaliser sur le fait d’avoir la seule ferme éolienne dans la région. »
Là se situe le point de départ des réflexions entourant la création du Centre d’interprétation.
« La salamandre, c’est un animal typique de notre région et de ses marais. On a le climat idéal pour que les salamandres puissent y vivre. » Et les petits amphibiens ne sont pas les seuls à occuper l’espace. « C’est aussi un bon endroit pour l’observation des oiseaux », indique Lucille Dufrèsne-Labossière, qui se tourne ensuite vers Lorraine Mabon, la « dévouée » présidente, aux yeux des personnes autour de la table, du Centre d’interprétation. Elle ajoute, dans un hochement de tête, que l’on compte « au-dessus de 100 espèces d’oiseaux ».
Des oiseaux que l’on peut observer depuis le ponton qui se jette sur l’eau, ou bien en marchant le long du sentier d’interprétation pédestre qui fait le tour du lac.
Quant aux salamandres, elles faisaient partie intégrante du quotidien des résidents de Saint-Léon. Paulette Martel, présidente du journal Le Montagnard, se souvient qu’elles étaient partout.
«Dans le temps, il y en avait tellement que les enfants à l’école pouvaient en attraper des poignées et jouer avec. Tu pouvais en trouver dans les caves, elles rentraient dans les garages, dans les maisons. Il y en avait une peste. »
Cette promenade dans le temps conduit Paulette Martel vers un triste constat : « Aujourd’hui, il n’y en a presque plus. C’est vraiment plus comme dans le temps. » De fait, la salamandre tigrée est dorénavant inscrite sur la liste des espèces en péril au Manitoba. C’est en partie pour cette raison que le Centre d’interprétation existe. Richard Grenier et Lorraine Mabon lancent d’une même voix : « C’est pour les protéger, et en même temps pour éduquer le monde. »
Les limites aux développements
De nos jours, il n’y a pas que l’avenir des salamandres qui préoccupent les villageois. Hormis Richard Grenier, que l’on présente comme « un grand optimiste », on s’inquiète quelque peu de la situation au village.
Car Saint-Léon est en proie à plusieurs défis. Le Centre d’interprétation fait partie des dernières attractions restantes. Au cours de la dernière l’année, il a attiré quelque 235 visiteurs.
Des visiteurs qui auraient pu avoir un impact plus important sur l’économie du village si le nombre d’infrastructures ne s’était pas réduit comme peau de chagrin au cours des dernières années.
Lucille Dufrèsne-Labossière vit au village depuis 1990. « Depuis que je suis arrivée, on a perdu notre épicerie, on a perdu notre caisse populaire, on a perdu notre école … »
« Et puis maintenant, on a aussi perdu le restaurant et l’hôtel », interjette Paulette Martel.
Adrien Caillier, représentant et membre du District urbain local de Saint-Léon auprès de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM) explique ces fermetures. « Nous sommes une petite communauté. Pour l’épicerie et l’hôtel, la décision a été prise parce que le volume de clients ne suffisait pas à couvrir les dépenses ».
La fermeture de l’école, il l’explique aussi par une baisse considérable des inscriptions. « Les plus grosses pertes, je trouve, sont arrivées avec la COVID-19. Ça nous a vraiment enlevé le vent dans nos voiles. »
Ainsi, même si le Centre d’interprétation attire, il est difficile de retenir les visiteurs. Et encore plus difficile d’attirer du nouveau monde. « On a perdu des services essentiels pour encourager les gens à s’établir ici », tranche Lucille Dufrèsne-Labossière.
La relève s’avère nécessaire
Alors forcément, la population de Saint-Léon, qui compte environ 120 âmes, est vieillissante. Or pour perpétuer la mission du Centre d’interprétation, il faut compter sur l’investissement des jeunes.
Pour les intéresser, le Centre reçoit « beaucoup » d’écoles et en profite pour sensibiliser ceux qui constitueront la prochaine génération. Lorraine Mabon, la présidente du Centre d’interprétation, partage qu’il y a des jeunes qui siègent sur le CA. Encore qu’elle concède volontiers : « Ils sont tous plus jeunes que moi ». Une précision qui ne manque pas de faire rire la tablée.
« Nous sommes dans une période intermédiaire, poursuit-elle. Peut-être plus tard, il y aura des personnes plus jeunes qui auront plus de temps pour s’investir. »
Autre considération d’importance si l’on veut que s’installent des nouveaux arrivants, c’est d’avoir la possibilité de les accueillir. À l’instar de Notre-Dame- de-Lourdes, à quelques kilomètres de là, le logement est aussi un problème à Saint- Léon. Tout le monde s’accorde sur ce point.
« On a de la demande, mais il n’y a rien de libre », indique Paulette Martel.
Des pistes pour plus de logements
Certes le club d’âge d’or Simon-Nivon a fait construire quatre logements abordables, qui sont occupés. Richard Grenier précise d’ailleurs que trois personnes sont déjà sur une liste d’attente pour ces appartements.
Voilà la quadrature du cercle : pour redynamiser Saint-Léon en infrastructures et en commerces, il faudrait que de nouveaux arrivants s’installent et se lancent en affaires. Mais le constat est présentement sans appel : le village n’a pas les moyens de les loger.
Richard Grenier, le président du Club Simon-Nivon, confie que le Club envisage de construire davantage de logements abordables, qui ne s’adresseraient pas seulement aux aînés.
Pour sa part, Adrien Caillier souligne que le village et ses partenaires de développement comme la CDC Lourdéon et l’AMBM travaillent ensemble à améliorer la situation.
« Il y a de belles choses qui se développent. Et il faut garder en tête que nous avons une salle communautaire, une patinoire et la caserne de pompiers. Il n’y a pas beaucoup de petites communautés qui ont tous ces services-là.
« Faire venir du monde est complexe, mais nous travaillons tous pour essayer d’améliorer notre sort. »