Mais le voyage s’est révélé particulièrement enrichissant.
Son surnom c’est Juice. Un sobriquet qu’elle a obtenu en raison de son réel amour pour les jus de fruits? Peut-être. Il semble toutefois plus probable qu’il s’agisse simplement d’un diminutif de son prénom Justina. Jus… Juice.
D’origine crie et italienne, Justina Di Stasio se rendra à Paris cet été pour représenter le Canada sur le tapis de lutte.
Née en 1992 à Burnaby en Colombie-Britannique, elle grandit quelques kilomètres plus à l’ouest, dans la ville de Coquitlam. À l’âge de 12 ans, en 6e année, elle découvre la lutte.
« Sur le chemin de la maison, je pouvais apercevoir l’équipe de lutte s’échauffer. Ils faisaient beaucoup d’exercices de gymnastique. Ça avait l’air amusant. »
Une histoire compliquée
Cependant, entre la jeune fille et cette discipline sportive, c’est loin d’être l’amour fou.
« J’étais déjà plus grande que les autres filles de mon âge. Alors j’ai dû m’entraîner avec des filles qui étaient plus âgées. Ce n’était pas amusant pour moi, au début. »
En fait, sa première expérience de la lutte relève de la corvée. À tel point qu’elle ne remettra pas les pieds sur le tapis l’année suivante.
Elle renoue avec le sport en 8e année, pour une raison qui l’amuse encore aujourd’hui. Cette année-là, sur le coup d’une inspiration, elle décide de remporter le titre d’athlète de l’année à la Banting Middle School.
Justina Di Stasio raconte. « Mon école secondaire a un Mur de la renommée, sur lequel sont affichés tous les noms d’anciens élèves qui ont réussi. » Pour la jeune fille de 13 ans, c’est évident : son nom doit figurer sur ce mur.
« Je crois que c’était la première fois que je me fixais un objectif. Un objectif un peu ridicule pour une enfant de 13 ans. Chose certaine, je savais que je voulais exceller dans quelque chose, mais je ne savais pas encore dans quoi. »
En 8e année, Justina Di Stasio s’inscrit donc dans tous les sports que son secondaire propose.
« Je faisais du cross-country, du rugby, du volleyball, littéralement tout. Et j’ai repris la lutte. »
Résultat : elle finit bel et bien par remporter le titre tant convoité d’Athlète de l’année.
En 2005, son école accueille un nouvel entraîneur pour l’équipe de lutte. « Il est venu me trouver dans les couloirs pour me dire : Je t’ai vu lutter, tu vas rejoindre l’équipe. Il me relançait tous les jours! Alors j’ai fini par rejoindre l’équipe. »
C’est ainsi que la jeune crie s’est retrouvée à faire de la lutte pendant toutes ses années de secondaire. Sans pour autant aimer le sport.
« Il m’a fallu longtemps avant d’apprécier la lutte. Je jouais aussi au soccer, et j’aimais vraiment ça. J’essayais d’obtenir une bourse de soccer pour aller à l’université. Sans succès. »
Mais voilà que son entraîneur de lutte parvient à lui obtenir l’occasion de rejoindre l’équipe de lutte de l’Université Simon Fraser à Burnaby. Elle accepte.
« Lors de ma première année, j’ai remporté les championnats juniors nationaux et j’ai rejoint l’’équipe du Canada pour la première fois. Cet été-là, aux championnats du monde junior, je n’ai pas bien lutté et j’ai été éliminée lors des premières phases. »
Justina Di Stasio a dû assister à la finale du championnat depuis les tribunes. « J’ai regardé une fille de Russie l’emporter. Je crois bien que c’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de la lutte.
« J’ai trouvé ça tellement cool de voir une fille lutter aussi bien. Je voulais être aussi forte, je voulais lutter avec autant de compétences et d’intensité. Je ne savais pas où ça me mènerait, mais là je savais ce que je voulais. »
Sa nature compétitive a fait le reste. La lutteuse termine ses années d’université en remportant trois fois les championnats nationaux universitaires.
Après plusieurs médailles, après deux deuxièmes places d’affilée lors des sélections olympiques, « j’avais enfin atteint les Jeux olympiques ».
Des leçons de vie apprises sur le tapis
Dans une carrière sportive, les blessures sont monnaie courante. Ce ne sont pas les conséquences physiques de l’usure de son corps qui ont été le plus grand obstacle sur le chemin de Justina Di Stasio.
Plutôt les frustrations que ces blessures ont entraînées. « Pour performer au plus haut niveau de manière constante, il faut maintenir un certain niveau de forme physique. Ce qui est vraiment difficile quand on subit une chirurgie après chaque grosse saison. C’était frustrant, tout comme gérer l’anxiété liée au fait de se maintenir à un niveau mondial chaque année.
« Pendant des années, j’ai été n˚2 aux sélections olympiques. Cette place était probablement la plus grande source de doute pour moi. Je faisais tout mon possible. Je partais et je gagnais des championnats du monde, puis je revenais et je ne parvenais pas à intégrer l’équipe olympique. C’était assez dévastateur pour le moral. »
Œuvrer sans cesse pour être la meilleure peut évidemment devenir une source de pression. L’athlète confie elle-même qu’elle a dû beaucoup travailler sur sa santé mentale. Elle parle d’un « véritable voyage ».
« Autant l’anxiété est une force lorsque je peux la gérer aux entraînements et lors des tournois. Mais j’avais besoin de pouvoir l’éteindre dans ma vie de tous les jours. C’est là que je rencontrais des difficultés. J’avais du mal à être heureuse si je n’avais pas le moyen de vérifier que je donnais le meilleur de moi-même.
« On ne devrait pas passer sa journée à se demander comment être meilleure que les autres autour de soi. »
Aujourd’hui, la lutteuse a appris à être présente dans l’instant, et « à profiter de la vie en dehors du tapis ».
De sa discipline, elle aura assurément tiré de belles leçons, qu’elle applique dans son quotidien.
« J’ai appris la persévérance et le courage de me fixer des objectifs. Plus grand est l’objectif, plus grandes sont les chances d’échouer. Je reste maintenant convaincue : que l’on atteigne son objectif ou pas, les étapes que l’on a suivies pour y parvenir nous rendent meilleurs. »
Son expérience lui a même appris à se fier aux clichés. « On dit : Les bonnes choses prennent du temps. Eh bien ce genre de cliché est vrai. Je ne suis pas brillante, je ne comprends pas tout du premier coup. Mais si l’on me donne suffisamment de temps, je vais y arriver.
« Parce que j’ai cette volonté, cette force, je ne sais pas pourquoi, je ne me contente jamais de ne pas être au top de mes capacités. Quoi que je fasse, je donne le meilleur de moi-même. »
Cette façon d’appréhender les différents aspects de sa vie est d’évidence en accord avec sa personnalité.
« Je ressens les choses de façon très intense. Je suis très énergique, très enthousiaste. Mais ça signifie aussi que lorsque je suis contrariée, que les choses ne vont pas bien, je me dis tout de suite que ça ne pourrait pas être pire. Soit j’adore ce que je fais, soit je déteste absolument ce que je fais. Chez moi, il n’y a pas de juste milieu. »
Un héritage multiculturel
Fille d’un père italien et d’une mère crie originaire de la Nation de Norway House au Manitoba, l’athlète continue d’entretenir des liens très étroits avec son héritage multiculturel.
« Je viens de deux cultures très différentes, mais qui sont toutes les deux très axées sur la famille. »
En Colombie-Britannique, elle a grandi du côté de sa famille italienne.
« Une fois par semaine, on se réunissait pour de grands diners de pâtes, simplement pour passer du temps ensemble, même si l’on s’est déjà vu plusieurs fois dans la semaine. »
Pendant les vacances d’été, la jeune athlète se rendait à Norway House pour visiter sa famille maternelle, où elle ne se sentait pas vraiment dépaysée.
« L’objectif aussi était de simplement être ensemble, de passer du temps ensemble, de se soutenir. »
En grandissant dans ces deux terreaux culturels, Justina Di Stasio a réalisé avec le temps leur importance.
« Pour moi, être membre d’une nation autochtone est normal. Être métisse [dans le sens de venir de deux cultures différentes] est normal. C’est qui je suis.
« Je n’aurais jamais imaginé avoir une tribune en tant que personne autochtone ayant réussi ». Un mot qu’elle place entre guillemets, par modestie. « Je lutte encore pour trouver les mots justes pour bien m’exprimer. »
Quoi qu’il en soit de ses scrupules, en tout temps elle partage sa conviction qu’elle doit sa réussite à la persévérance, la ténacité et la volonté de survivre des Peuples autochtones.
Elle admet qu’elle trouve parfois ridicule l’enthousiasme que les gens affichent à l’égard de son succès. Par sensibilité historique.
« Imaginez être autochtone il y a cent ans. Ce sont ces personnes-là les plus courageuses pour avoir survécu aux pensionnats, pour s’être fait arracher leurs enfants et pour avoir subi des politiques visant la restriction des droits autochtones. Je suis reconnaissante pour leur résilience. Ces fortes personnes-là m’ont donné cet espace pour réussir aujourd’hui.
« Parfois quand même, je suis un peu dépassée par le fait de pouvoir prendre la parole pour ma communauté. Parce qu’au fond, tout ce que je fais, c’est de pratiquer un sport. »
Justina Di Stasio a pourtant bien conscience qu’en participant à l’équipe olympique canadienne, elle s’est hissée au rang d’exemple.
Certes pour les enthousiastes de la lutte. Mais aussi pour les plus jeunes autochtones qui cherchent parfois un modèle.
« J’essaie de donner le meilleur exemple possible, de montrer que l’on peut réussir dans n’importe quel domaine et que nous pouvons atteindre les sommets. Je suis fière d’être cet exemple. »
À propos de sommets, il n’est pas vain de mentionner que le portrait de Justina Di Stasio orne depuis quelque temps le mur de la renommée de Banting Middle School à Coquitlam.
« Être sur le mur de mon école secondaire, pour moi, c’est du même niveau que certaines autres grandes réussites que j’ai pu avoir (rires)! »
Une remarque guère surprenante. Après tout, son ardent désir de se voir sur ce mur, c’est un peu ce qui a enclenché son aventure vers les JO de Paris 2024.
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