Cette légitimité historique a toutefois ses limites : sa présence est parfois difficile à garantir durant le déroulement des Jeux. Si on veut bien faire exception du conte de fée des JO de Montréal en 1976.
C’est le baron Pierre de Coubertin, président du Comité international olympique (CIO) de 1896 à 1925, qui a fait du français la langue officielle des Jeux olympiques. En 1972, l’anglais a fini par co-partager ce titre. Pour autant, c’est la langue de Molière qui garde l’ascendant. Du moins sur papier.
Dans la Charte olympique, l’article 23 stipule que « les langues officielles du CIO sont le français et l’anglais ». Et encore : « En cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi, sauf disposition expresse écrite contraire. »
Si les Jeux olympiques remontent bel et bien à la Grèce antique, c’est à Pierre de Coubertin que l’on doit le retour de cette compétition à l’ère moderne, ainsi que la place éminente attribuée au français.
Il faut aussi reconnaître que la langue française est assez répandue dans le lexique de certaines disciplines sportives. Comme en escrime, où avant chaque début de manche, le célèbre « en garde » est scandé.
D’après l’historien du sport Michel Vigneault, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal au département de science de l’activité physique, en dépit de son statut officiel, la langue française a perdu un peu de terrain au passage du temps.
« Avec les derniers présidents du CIO, le français a perdu de l’espace. Certes le français reste assez présent lors des cérémonies, pendant la présentation des athlètes. Mais on ne l’entend pas dans tous les évènements. En particulier, pour certaines épreuves moins médiatisées, comme le pistolet ou le tir à l’arc. »
Le CIO compte en tout neuf présidents dans son histoire. Parmi eux, trois seulement avaient le français pour langue maternelle. L’Allemand Thomas Bach, le président actuel, ne parle qu’anglais comme deuxième langue.
En ce qui concerne l’usage des langues aux Jeux olympiques, une autre règle s’applique : « La langue du pays hôte devient troisième langue officielle lors des Jeux. Les annonces sont d’abord censées être faites dans la langue du pays hôte, puis en français et enfin en anglais. »
Une exigence qui vient ajouter de la difficulté à assurer une présence du français, moins répandu à l’international que l’anglais.
Michel Vigneault, qui se souvient des Jeux olympiques d’été de 1996 à Atlanta, explique. « Ce n’est pas toujours évident de trouver des personnes bilingues ou trilingues. Je me souviens d’avoir regardé les Jeux à la télé et on n’entendait pas beaucoup de français. Certes il y en avait. Mais pas partout. Je me souviens que pour le baseball, les responsables avaient sollicité un Québécois, qui avait pu faire les annonces dans les deux langues. »
À trois reprises, le Canada a accueilli les Jeux olympiques. Ceux d’hiver à Calgary en 1988 et à Vancouver en 2010. Et ceux d’été à Montréal en 1976.
Michel Vigneault avait 18 ans à l’époque. Il s’en souvient comme si c’était hier. « Ça a été extraordinaire! C’était quelques mois avant l’élection du Parti québécois. À l’époque, il n’y avait pas encore de Loi 101 pour protéger le fait français. Tout s’était quand même déroulé en français. »
L’historien du sport note d’ailleurs qu’aujourd’hui encore, beaucoup de compétitions de calibre se déroulent à Montréal, Calgary et Vancouver.
« Les Jeux ont apporté des infrastructures qui permettent d’avoir des compétitions internationales. Au niveau du rayonnement d’un pays, c’est important. »
De fait, accueillir les Jeux permet de donner aux villes hôtes une visibilité importante à l’international. « Montréal avait accueilli l’Exposition universelle Terre des Hommes en 1967. Mais Expo 67 n’a pas intéressé les médias étrangers autant que les JO ont pu le faire. »
Michel Vigneault va jusqu’à émettre l’hypothèse que les Jeux olympiques, et plus largement le sport, ont eu un impact sur l’immigration française au Canada, et en particulier au Québec. Il s’appuie sur le rapport Parent du début des années 1960, qui a rendu l’éducation physique obligatoire au Québec. Une obligation qui a entraîné une pénurie de professeurs d’éducation physique.
« On avait depuis 1955 une faculté d’éducation physique à l’Université Laval, puis en 1956 à l’Université de Montréal et à partir de 1963 à Sherbrooke. Mais il n’y avait pas beaucoup d’étudiants qui en sortaient.
« Cette réalité a fait qu’on est allé voir du côté de la francophonie européenne, pour voir si on ne pouvait pas attirer des professeurs. »
Beaucoup de ces professeurs embauchés sont restés au Québec par la suite et ont parfois même joué un rôle important lors des Jeux de Montréal, rappelle Michel Vigneault.
« Au moment des JO à Montréal, nous manquions de spécialistes dans certaines disciplines au Québec. Ça a été assez révélateur que tout ce que l’on connaissait ici avant 1976, c’était le baseball, le hockey et le football.
« Quand Radio-Canada est devenu diffuseur officiel des Jeux, les responsables ont fait affaire avec beaucoup de sportifs français installés au Québec.
« Je pense notamment à Jean-Paul Baert, un lanceur de javelot qui a occupé le poste de directeur général de la Fédération québécoise d’athlétisme jusqu’en 2011. Ou encore à Daniel Robin, un lutteur français qui a entraîné l’équipe canadienne de lutte gréco-romaine pour les Jeux olympiques de Los Angeles et qui a occupé le poste d’analyste à la télévision pour les épreuves de lutte.
« Les JO ont permis une ouverture sur tout un tas de disciplines. Il y a eu par la suite les Jeux de la francophonie. Avec pour résultat que tout un tas d’athlètes sont restés au Québec. »