Arrivé à l’âge de quatre ans au Canada, après une étape par le Québec, Lacina Dembélé pose ses valises au Manitoba. Son chemin se passe sans accroc jusqu’à un retour dans son pays d’origine, la Côte d’Ivoire, qui bouscule sa vie et son identité.
C’est une histoire de famille qui a amené Lacina Dembélé au Canada en premier lieu. « J’ai grandi dans le petit village de Kolia, à environ sept heures de route d’Abidjan. Mes parents étaient séparés. Après quelques années auprès de ma grand-mère paternelle, j’ai déménagé chez ma tante à Abidjan pendant une année.
« Mon père était déjà au Canada parce qu’il avait fui le pays en raison de l’instabilité politique. Il m’a donc sponsorisé pour que je puisse le rejoindre. »
Les souvenirs de Lacina Dembélé de son enfance sont heureux. « C’était une nouvelle aventure pour moi. Je vivais mon premier hiver, j’ai des photos de moi avec ma première combinaison d’hiver avec un pantalon vert et un blouson bleu. Impossible de me perdre dans la neige. Quand je pense à mon enfance, j’étais tout le temps content parce qu’il y avait toujours quelque chose de nouveau. »
En effet, entre l’âge de quatre et sept ans, Lacina Dembélé déménage plusieurs fois : Montréal, Winnipeg, Neepawa, Portage-la-Prairie, Dauphin et Brandon.
Qui dit déménagement, dit changement d’école. Lacina Dembélé partage à ce sujet quelques souvenirs. « Quand j’étais dans une nouvelle école, c’était tout le temps accueillant et chaleureux. Les enseignants faisaient tout le temps les efforts pour que je m’intègre.
« Mais, j’avais appris qu’il fallait s’assimiler pour être accepté plutôt que s’intégrer. Par exemple, lorsque j’étais à Dauphin, j’apprenais tout ce qu’il fallait sur Dauphin, j’étais donc de Dauphin. Je ne m’affirmais pas vraiment comme Ivoirien. À l’extérieur de la maison, les choses se faisaient en anglais. À la maison et à l’école, c’était le français. On ne parlait pas ma langue maternelle à la maison parce que l’idée était d’apprendre le plus vite possible à s’assimiler parmi les gens autour de moi. »
Assimilation contre intégration
Au point où quand les personnes lui demandent quelle est sa langue maternelle, Lacina Dembélé répond. « Une langue africaine. » De plus, il était souvent le seul élève noir dans les écoles. « Je n’avais pas vraiment de point de repère. Quelqu’un qui aurait pu m’aiguiller pour me permettre de m’intégrer sans m’assimiler forcément.
« Souvent, on me dit : On ne te voit pas comme Africain, on te voit comme Franco-Manitobain. Parce que, de mon côté, je faisais tout pour être Franco-Manitobain. »
Par des conversations avec son père, Lacina Dembélé comprend que c’est aussi la réalité de plusieurs immigrants. « Il était en mode survie. Plusieurs personnes qui arrivent sont en mode survie parce que l’immigration est isolante, parce qu’on est loin de son pays, parce qu’on ne reverra peut-être plus certaines personnes. Pour mon père, ce mode survie s’est traduit par essayer de s’assimiler le plus vite possible. »
Des questionnements
Puis vers l’âge de 13/14 ans, les premiers questionnements arrivent, questions qui trouvent toutefois des réponses. « Mon père n’avait aucun mal à me parler de ma vie. Il m’a expliqué que nous sommes Dioula, ce qui signifie commerçant dans notre langue. Nous sommes les commerçants du nord de la Côte d’Ivoire. Dembélé veut dire de la montagne. Lacina est un dérivé du prénom islamique Hassan. »
Ces réponses viennent combler une petite partie de sa curiosité sur son identité. Mais à l’âge de 19 ans, il décide de retourner sur sa terre natale pour en apprendre encore davantage. Un voyage qui sera le début de sa quête identitaire. « En rentrant, je suis allé chez ma mère, dans mon village à Kolia, elle était sous un baobab près de sa maison. C’est sous ce baobab que je l’ai rencontrée. C’était un moment très émouvant qui est vite venu avec de la frustration. Lorsqu’elle a commencé à parler, je me suis aperçu qu’elle ne parlait pas français, elle parlait seulement le dioula. C’est à ce moment que je réalise qu’il me manque toute une partie de ma culture. Il fallait que je passe par mon père pour de la traduction et forcément, la conversation était moins fluide. »
Frustrations et nouvelles possibilités
La frustration de Lacina Dembélé se transforme rapidement en colère dirigée vers son père, qui ne lui a pas transmis sa langue maternelle. « Il ne voulait pas que j’aie d’accent, il ne voulait pas que je sois discriminé dans ma vie de tous les jours. Parce qu’il n’avait aucune idée d’où on s’installerait dans notre vie. »
Le sentiment d’avoir manqué tout un pan de sa culture, de son identité a été un véritable choc. Mais loin de se laisser abattre, Lacina Dembélé décide de transformer ce constat en opportunité. « Je me suis mis à apprendre le bambara, une langue malienne dont s’inspire le dioula. Je peux désormais avoir des petites conversations avec ma mère. »
En novembre 2023, Lacina Dembélé se rend de nouveau en Côte d’Ivoire. Il tire alors une nouvelle leçon de ce voyage. « C’est un voyage que j’avais entamé avec ma copine de l’époque. En arrivant sur place, elle a eu un véritable choc de culture. Parce qu’elle ne m’avait jamais vraiment vu de cette manière. C’est aussi ma faute parce que pendant longtemps, j’ai été comme un caméléon pour m’assimiler. Par exemple : je n’aime pas payer pour visiter un parc. Chez moi, la nature est gratuite, je ne vois pas pourquoi je devrais payer pour être à l’extérieur. Ce sont de petites choses. Mais, qui, mises bout à bout peuvent vraiment éloigner des personnes.
« Durant ce voyage, j’ai eu une réalisation que je ne voulais plus être un caméléon. Je voulais être moi tout simplement. Je ne suis pas 100 % Franco-Manitobain, je ne suis pas 100 % Ivoirien. C’est un équilibre à trouver au quotidien. Ma leçon est que : personne n’est jamais enfermé dans une boîte. Nous créons nous-mêmes les boîtes, nous pouvons donc en sortir. »
De toute son histoire, Lacina Dembélé a décidé de le transformer en sujet de société au travers des arts. « Il faut donner l’occasion aux jeunes d’explorer leur culture, de déterminer pour eux-mêmes où ils veulent aller, tout en les guidant. Dans tout ce travail, il faut souligner que nous vivons au Canada, il y a une culture qui existe dans une mosaïque et que nous devons intégrer toutes les cultures. Les gens qui arrivent apportent à cette mosaïque et nous devons en prendre soin. »
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