Par Anne-Marie PROVOST avec Ben SIMON à Toronto.
Alors quand l’équipe nationale affronte un pays dont le président affirme que le Canada ne devrait plus exister, l’évènement dépasse largement le cadre du sport.
Cédric Bernard, comme de nombreux autres amateurs canadiens de hockey sur glace, attend avec impatience la finale du Tournoi des quatre Nations jeudi entre le Canada et les Etats-Unis.
“Quand on entend les commentaires de (Donald) Trump, on se sent ridiculisés”, lâche-t-il à l’AFP. “Et nous, notre façon de nous faire honneur, c’est de gagner au hockey”, ajoute-t-il, patins à glace aux pieds et crosse à la main sur une patinoire extérieure d’un parc de Montréal.
Dans la métropole québécoise, ils sont nombreux même de nuit, même par -25 degrés, à venir le soir se défouler et pratiquer leur sport favori sur ces équipements temporaires.
“Il y a de la fierté canadienne là-dedans, c’est un sport national ici”, renchérit à côté de lui Émile Larramée, lui aussi équipé.
Jeudi, le Canada affronte les Etats-Unis en finale du Tournoi des quatre Nations, compétition de hockey opposant les meilleurs joueurs de la NHL venus du Canada, des Etats-Unis, de la Finlande et de la Suède.
Samedi, un premier match à Montréal entre les deux pays, que les Etats-Unis ont remporté 3-1, avait été chargé d’intensité : l’hymne national américain avait été copieusement hué par les supporteurs et trois bagarres avaient éclaté en neuf secondes, un phénomène rarissime.
La première bagarre avait été déclenchée par l’ailier américain Matthew Tkachuk, qui avait expliqué quelques jours auparavant ne pas apprécier que les supporters montréalais sifflent l’hymne américain.
Un phénomène déjà observé lors de matchs de basket NBA et de hockey NHL ces dernières semaines, à la suite des attaques répétées du président Trump, qui a lancé une guerre commerciale avec le voisin canadien et répète régulièrement qu’il rêve de faire du Canada le 51e Etat américain.
Dan Guiry, humoriste et barman à Toronto, se souvient de sa réaction lorsqu’il a assisté aux bagarres: “Vous voulez faire la guerre? Allons-y !”
“Nous devons nous réveiller en tant que pays et en tant qu’équipe de hockey”, estime l’homme de 40 ans.
– “Climat de haine” –
Le climat tendu dans les arènes de hockey depuis l’entrée en fonction de Donald Trump déplaît à Serge Savard, ex-joueur canadien légendaire.
Ce dernier a notamment participé à la “Série du siècle” en 1972. Ces huit matchs avaient opposé le Canada à l’Union Soviétique en pleine guerre froide et pris des allures de bataille politique entre l’Est et l’Ouest.
Même à cette époque, “nous n’avons jamais déshonoré l’hymne national ou le drapeau de l’Union soviétique”, se remémore Serge Savard, 79 ans, auprès de l’AFP.
S’il comprend parfaitement la fureur nationale suscitée par les menaces existentielles de Donald Trump, un hymne national reste “quelque chose de sacré”.
Les huées, les bagarres et les provocations du président américain créent “un climat de haine”, déplore-t-il. “On développe de l’antipathie et cela ne devrait pas faire partie, surtout pas, des événements sportifs”.
Avant le match de samedi, un éditorial du quotidien Toronto Star expliquait que la rencontre était “plus qu’un match, et plus politique que ne l’a jamais été la Série du siècle”.
A cette époque, l’existence du Canada n’était pas remise en cause, soulignait le chroniqueur Bruce Arthur.
“Les États-Unis sont devenus une menace pour notre mode de vie… alors le match de hockey est important”, a-t-il ajouté.
La finale se déroulera jeudi côté américain de la frontière, à Boston, devant 20 000 spectateurs. Le directeur général de l’équipe américaine, Bill Guerin, a déclaré cette semaine qu’il “adorerait que le président Trump soit présent”.
Le Canada et les Etats-Unis ont “une grande rivalité” dans le monde du hockey, a-t-il dit, avec cette fois-ci “une petite touche politique” en plus, qui correspond à “l’époque dans laquelle nous vivons” et qui “inspire” les joueurs sur la glace.
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