Par Julie BELANGER BELLEY.

Le bilinguisme au Manitoba : un levier stratégique pour l’économie, l’inclusion et les ressources humaines

Je suis née au Québec, où le français est ma langue maternelle. Je n’aurais jamais imaginé, à l’époque, que cette langue me suivrait comme une force tranquille partout où la vie me mènerait.

Conjointe de militaire, j’ai habité et travaillé en Ontario, aux Territoires du Nord-Ouest (Yellowknife) et, depuis maintenant 12 ans, au Manitoba. À chaque étape de mon parcours, le bilinguisme a été une porte d’entrée vers de nouvelles opportunités professionnelles. Et j’ai aussi découvert ce que signifie vivre et travailler en situation de minorité linguistique.

Aujourd’hui, alors que le gouvernement du Manitoba mène des consultations sur un éventuel virage vers un véritable bilinguisme, je prends un moment pour réfléchir — d’un point de vue à la fois personnel et professionnel — à l’impact de cette double compétence dans la vie au travail.

Un outil de mobilité et d’employabilité

Parler français et anglais m’a permis de m’intégrer rapidement à chaque nouveau milieu. D’un emploi en ressources humaines en Ontario à un rôle de gestion à Yellowknife, jusqu’à fonder mon entreprise ici au Manitoba, le bilinguisme m’a offert non seulement plus d’emplois, mais de meilleurs emplois. Il a aussi élargi mes perspectives, m’a appris à naviguer entre cultures, à mieux écouter, à mieux comprendre.

Une opportunité de transformation collective

Aujourd’hui, je dirige Rebelleyus Consultations RH, une entreprise bilingue profondément enracinée dans la francophonie, mais ouverte à tous. Je collabore régulièrement avec des directions, majoritairement d’organismes francophones, des gestionnaires et des employés, en anglais comme en français. Ce que j’observe, c’est que le bilinguisme n’est pas un simple atout individuel : c’est un levier collectif, un vecteur d’inclusion, de performance et de développement économique.

Des défis bien réels

Soyons réalistes : le chemin vers un Manitoba véritablement bilingue est semé d’obstacles. C’est complexe. Le manque de personnel bilingue, l’insécurité linguistique bien réelle, les barrières systémiques et les coûts de formation sont présents. Trop souvent, les employés bilingues se retrouvent à traduire, interpréter ou naviguer entre deux systèmes sans reconnaissance ni soutien formel.

D’un autre côté, plusieurs jeunes issus de l’immersion hésitent à utiliser leur français au travail par peur de commettre des erreurs. Ils ont appris la langue, mais pas toujours la confiance pour la parler.

Et pourtant, tant d’avantages

Les avantages du bilinguisme sont nombreux :

Accès élargi à une main-d’œuvre qualifiée
Meilleure qualité de service, notamment en santé, éducation, services sociaux, justice
Renforcement de l’image d’inclusion et d’ouverture
Meilleure fidélisation du personnel

Dans un marché de l’emploi compétitif, valoriser les deux langues officielles devient un avantage concurrentiel.

Ce que je rêve de voir

Je rêve d’un Manitoba où les langues ne sont pas de simples étiquettes Hello/Bonjour, mais des ponts. Où un jeune diplômé francophone peut aspirer à une carrière ici, sans devoir changer de langue ou de province. Où une entreprise peut servir sa clientèle dans la langue de son choix, sans y voir un fardeau administratif, mais une force organisationnelle. Où les gestionnaires, peu importe leur langue première, sont outillés pour créer des milieux de travail bilingues, accueillants et efficaces.

Ce que nous pouvons faire, ensemble

Le bilinguisme n’est pas un miracle instantané. Il demande de la planification, de l’investissement et de l’engagement. Mais il est possible. Voici quelques pistes concrètes :

Soutenir la formation linguistique continue en milieu de travail
Valoriser officiellement les compétences linguistiques dans les descriptions de poste
Reconnaître les employés bilingues (financièrement ou autrement)
Outiller les gestionnaires à diriger en contexte bilingue
Créer une culture où l’on ose parler — même imparfaitement

Le bilinguisme n’est pas uniquement une affaire de mots ou de traduction. C’est un choix de société. Une façon d’inclure, de respecter, de connecter.

Le Manitoba a maintenant l’occasion de devenir un modèle, à l’image du Nouveau-Brunswick. Un modèle où deux langues ne s’affrontent pas, mais se complètent.

J’en suis la preuve vivante : le bilinguisme m’a permis de bâtir une carrière, de contribuer à ma communauté, et de rêver d’un avenir plus inclusif pour tous.

À nous maintenant de transformer ce rêve en réalité.