Par Antoine CANTIN-BRAULT.
Je ne prétends pas non plus du tout être original en l’identifiant. Mais il est tellement présent au Manitoba qu’il est devenu banal : il vaut la peine de réactiver son enseignement. On l’aperçoit mieux l’été, par exemple dans la région de Spruce Woods, ou tout près de Lorette et de La Broquerie, ou encore à Winnipeg même, en l’occurrence à la Fourche.
Ce phénomène, je l’appellerai le « cours des rivières ». Certes, les nombreuses rivières du Manitoba coulent selon un débit X à partir du point Y jusqu’au point Z, tous des éléments que l’on peut mesurer et rendre compréhensibles par des données mathématiques universelles. On pourra alors comparer nos rivières à celles d’autres provinces, pays, régions, etc. Mais là n’est pas la question.
Par « cours des rivières », il faut comprendre la façon dont les rivières cheminent et perdurent. Il faut entendre comment les rivières ont décidé (et décident encore aujourd’hui), parfois violemment, de changer de direction parce qu’elles se tracent dans la dureté de la terre et lui donnent un sens. Le cours des rivières au Manitoba nous enseigne, sans parler, la valeur profonde d’un méandre.
Nous aimons les lignes droites. Probablement parce qu’elles sont plus efficaces et que notre monde exige l’efficacité, la performance. La ligne droite est certainement le chemin le plus court. Nous cherchons partout la « dernière ligne droite » qui nous rassure sur notre capacité de progresser et de terminer. Nous ne voulons pas gaspiller notre temps.
Mais si la ligne droite est certainement la plus courte, est-elle plus profonde et tenace?
Les rivières ont leur propre méthode, c’est-à-dire leur propre façon d’aller leur chemin. Elles cheminent par méandres et sont, pour cette raison, résistantes et puissantes. Elles se sont refusé la ligne droite précisément parce que cette ligne droite les mettrait en péril.
Elles ont progressé en tournant, en cherchant des résistances qu’elles ont ensuite contournées. Elles n’ont pas cherché à s’économiser, elles ont marqué le sol de leur volonté et nous le rappellent encore parfois au printemps lorsqu’elles débordent.
Peut-être aurions-nous quelque chose à gagner à cheminer comme les rivières du Manitoba. Peut-être y a-t-il une leçon à tirer de ce qui a gagné sa puissance en tournant sans cesse et qui reconquiert sa place toujours encore en refaisant la même chose. Peut-être pourrions-nous apprendre à grandir en s’ancrant solidement dans le monde si nous nous laissions cheminer par méandres.
Petit à petit et peu à peu, gagner en confiance et en résilience en se donnant à soi-même les outils d’affronter la résistance pour en faire notre amie.
Et que dire de la rencontre de deux rivières, comme cela se produit à la Fourche! Deux puissances se rencontrant, une emportant l’autre, non pas parce qu’elle a défait l’autre, bien plutôt parce qu’elle s’est alimentée de l’autre sans mettre fin à son cours. Une volonté qui s’impose à une autre, mais en aimant la volonté première qu’elle ne veut pas éliminer. Travailler ensemble, plutôt : cheminer ensemble, aller jusqu’au bout de soi pour aider un autre.
Il y a tout à gagner à aller cheminer avec la rivière, à pied, en canot.