Par Raymond CLÉMENT.

Cher Président,

Maintenant que tu as réussi à faire voter ton Big Beautiful Bill dont tu attends des miracles, permets-moi de revenir sur certains faits vraiment incontournables.

Je veux te parler en tant que représentant d’un pays qui partage avec le tien la plus longue frontière au monde et comme économiste qui a œuvré au sein de deux Banques centrales. Ces responsabilités m’ont donné une bonne connaissance des marchés financiers et commerciaux à l’échelle mondiale.

On s’entend sur une chose fondamentale

Laisse-moi te dire que je suis tout à fait d’accord avec toi sur un point clé. Le déficit extérieur commercial américain n’est pas soutenable. Il gonfle et gonfle depuis bien trop longtemps. Le temps est venu de prendre le taureau par les cornes.

C’est vrai que le Canada a un surplus commercial avec les États-Unis. Mais je ne perds pas de vue que mon pays entretient aussi un déficit commercial avec le reste du monde. Nous avons donc un problème semblable au vôtre, même s’il n’est quand même pas du même ordre.

On s’entend aussi que vous êtes les plus gros

Tu le sais très bien : un déséquilibre commercial est le résultat d’une surconsommation par rapport à la production. Le commerce des biens entre pays se fait au niveau de la consommation et de l’investissement.

La consommation américaine représente 70 % du Produit intérieur brut (PIB), tandis que la consommation canadienne se situe à environ 57 %.

Par rapport au Canada, la population américaine et le nombre de ménages sont huit fois plus importants. C’est donc tout à fait normal que l’importation de biens canadiens vers les États-Unis soit supérieure.

Crois-moi, les droits de douane ne peuvent pas faire de miracle

Après la signature de l’accord de libre-échange (ALÉNA) entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, puis avec l’arrivée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les États-Unis ont perdu cinq millions d’emplois dans le secteur manufacturier.

Pour sa part, le Canada a perdu 500 000 emplois dans le secteur de l’automobile, parce qu’une partie de cette production a été déplacée vers le Mexique.

Réanimer le secteur industriel américain va exiger des investissements à long terme, appuyés par une main-d’œuvre bien éduquée. Les droits de douane ne vont pas permettre d’atteindre cet objectif.

Ils vont plutôt causer des dommages dans le secteur manufacturier en augmentant les coûts de production et en nécessitant une réorganisation des chaînes d’approvisionnement.

Les droits de douane ne pourront même pas aider la classe moyenne

Les droits de douane protègent une petite part de 10 % de la classe moyenne qui travaille dans la production de biens. Les autres 90 % de la classe ouvrière travaillent dans le secteur des services, là où les droits de douane s ne les protègent pas. Par conséquent, les droits de douane ajoutent aux coûts de production.

Ils nuisent au commerce international qui a si bien soutenu la prospérité globale depuis la Seconde Guerre mondiale.

Permets-moi d’enfoncer le clou : l’imposition de tes droits de douane sert à punir les pays qui, selon toi, ont volé et pillé les États-Unis. Or la réalité est bien différente.

En effet, ce sont les entreprises américaines qui ont choisi de transférer leur production vers le Mexique et les pays de l’Asie à la recherche d’une main-d’œuvre moins chère, afin de pouvoir engranger des profits plus élevés.

Crois-moi, on peut vraiment s’entendre sur le fond

Cher Président Trump, tu as bien raison. Les États-Unis doivent se réindustrialiser s’ils veulent retrouver une meilleure stabilité économique. Pour atteindre ce louable objectif, il faudra développer une politique industrielle bien ciblée.

Il faudra miser sur des industries du futur qui utiliseront nos ressources naturelles, fournies par notre main-d’œuvre.

Il n’y a aucune raison que nous ne fassions pas de bonnes affaires ensemble.