L’auteur, arrivé au Manitoba il y a maintenant un an, journaliste originaire d’Haïti et très impliqué dans ses communautés, propose une exploration originale du créole haïtien, tant sur le plan linguistique que dans ses expressions corporelles, une richesse souvent négligée mais omniprésente dans la communication quotidienne.
« L’idée de ce livre est née de mes observations. J’ai trouvé fascinant que les Haïtiens n’utilisent pas seulement la langue pour communiquer, mais aussi leur corps. Ils sont incroyablement créatifs », explique Jean Rony Beaucicault.
C’est cette observation fondatrice qui l’a poussé à amorcer un travail de documentation aussi minutieux que passionné. Il ajoute : « Plus j’y réfléchissais, plus je remarquais le nombre incroyablement élevé d’expressions issues de mouvements corporels. »
Le résultat? Une collection de dialogues ancrés dans la vie réelle, illustrant l’essence créative du créole haïtien tel qu’il est parlé au quotidien.
« C’est un travail qui ne concerne pas seulement moi, mais aussi les autres membres de la communauté, les étudiants, les curieux, et peut-être même les générations futures, au cas où la langue évoluerait et que nous aurions besoin de nous rappeler à quoi elle ressemblait autrefois. »
L’auteur affirme également que même s’il faut un certain temps pour s’y habituer, le simple fait de connaître le français pourrait permettre à certains de comprendre au moins en partie le contenu du livre.
Une œuvre communautaire
Loin d’être une entreprise solitaire, KÒADEPALE, un titre qu’il a inventé à partir de la langue créole qui signifie « le corps qui parle sans arrêt », est né d’un effort collectif, explique Jean Rony Beaucicault.
Dès le début du processus, amorcé en 2023, l’auteur fait appel à ses proches : « Lorsque j’ai commencé, j’ai demandé à mes amis et à ma famille de m’envoyer toutes les expressions dont ils se souvenaient. C’était tout simplement incroyable et même amusant de voir toutes les façons uniques dont nous pouvons communiquer des idées. »
Préservation culturelle
Avec une formation en journalisme et plusieurs années passées comme directeur de la communication à l’Académie du créole haïtien, Jean Rony Beaucicault se dit un observateur attentif et passionné. Ce projet est donc aussi une manière de réhabiliter et valoriser une langue qui, bien qu’elle soit la plus parlée en Haïti, a longtemps été reléguée à un rôle secondaire.
« Le créole haïtien et le français sont les langues officielles d’Haïti. Parfois, les gens pensent qu’elles sont plus similaires qu’elles ne le sont vraiment, car le créole s’est développé lorsque les Français colonisaient la région. Elles ont donc des bases lexicales similaires, mais en réalité, elles ne sont pas interchangeables. La plupart du temps, seuls ceux qui vont à l’école parlent français, tandis que la plupart des gens parlent créole à la maison. »
En ce sens, KÒADEPALE est aussi un acte de préservation culturelle.
« Pendant longtemps, cette langue n’était pas considérée sur un pied d’égalité avec le français, mais elle a finalement pris sa place au cours des dernières décennies, et je voulais m’assurer qu’elle ne disparaisse jamais. Après tout, les langues peuvent mourir, tout comme nous. »
Une portée au-delà d’Haïti
Jean Rony Beaucicault tient à souligner que le créole haïtien dépasse les frontières de son pays d’origine.
« En réalité, le créole ne se limite pas à Haïti. Il existe de nombreuses communautés qui le parlent ailleurs. Ce serait donc toujours intéressant si quelqu’un qui parle la même langue, mais avec un dialecte différent, le lisait. Le créole haïtien reste unique en son genre. »
Dans un contexte manitobain où la communauté haïtienne ne cesse de croître, ce livre s’inscrit aussi dans un désir de transmission.
« Le Regroupement des Haïtiens du Manitoba (RDHM) veille à célébrer cette culture en organisant plusieurs évènements », mentionne-t-il avec fierté, espérant que son œuvre puisse contribuer à cette mission.
Une passion contagieuse
Même s’il a dû faire face à quelques difficultés, Jean Rony Beaucicault garde un souvenir ému et enthousiaste du processus de création.
« C’est mon premier livre publié, mais certainement pas le dernier. J’ai vraiment apprécié le processus, car c’est quelque chose qui me tient à cœur, quelque chose qui me passionne. »
En effet, son enthousiasme est tel qu’il se souvient du moment exact où l’écriture est devenue une force irrépressible : « Une fois que j’ai officiellement décidé de l’écrire, j’ai commencé à noter des expressions, et je ne pouvais plus m’arrêter. Même lorsque j’ai finalement posé mon stylo pour aller me coucher ce soir-là, je ne pouvais pas m’empêcher d’en penser à d’autres, alors je me suis relevé et j’ai repris mon stylo. »